1/19 January 26, 2018 L’espace et le temps existent-ils ? implications-philosop
1/19 January 26, 2018 L’espace et le temps existent-ils ? implications-philosophiques.org/lespace-et-le-temps-existent-ils/ L’espace et le temps existent-ils ? Le mystère de la gravité quantique [box type= »bio »] Baptiste Le Bihan, chercheur postdoctorant à l’Université de Genève dans le groupe de recherche Geneva Symmetry Group et au sein du projet Space and Time after Quantum Gravity.[/box] I La physique contemporaine pourrait bien nous livrer un enseignement incroyable, à savoir que l’espace et le temps n’existent pas fondamentalement. Le lecteur peu familier avec la physique aura probablement néanmoins entendu parler de la mécanique quantique et ses histoires étranges à propos de superpositions de chats morts et vivants, ou à propos de la relativité et de la dilatation du temps en fonction de la localisation dans l’espace-temps, et de l’environnement gravitationnel. Ces bizarreries, propres à ces théories, ne sont probablement qu’un début. En effet, ces deux théories, réputées incompatibles, ont motivé plusieurs tentatives de développer une nouvelle approche permettant de les unifier, en concevant celles-ci comme des approximations d’une théorie plus fondamentale. Et ces nouvelles théories nous décrivent un monde encore plus étrange. Ces tentatives s’insèrent dans deux axes. Le premier axe vise à unifier la relativité générale et le modèle standard de la physique des particules[1], aboutissant à certains programmes de recherche dont le plus connu est celui de la théorie des cordes. Une motivation très forte derrière ce type de programmes est de trouver une théorie physique fondamentale, peut-être ultime, finale, qui décrive la réalité physique dans sa totalité. Le second axe vise à expliquer la gravité quantique, c’est-à-dire les phénomènes qui font intervenir à la fois des effets quantiques et des effets gravitationnels. Il existe au moins trois types de phénomènes de ce genre : les deux types de singularité que sont le big bang et les trous noirs, et la structure fondamentale de l’espace-temps. A cette échelle, l’énergie présente est suffisamment élevée pour faire intervenir des effets quantiques dans la fibre même de l’espace-temps. À la différence du premier axe, les théories relevant du second axe n’ont pas la prétention de se présenter 2/19 comme des théories du tout, c’est-à-dire comme des théories finales, qui donneraient un point final à la physique théorique en exhibant la structure fondamentale de la réalité. Il est commun de nommer l’ensemble des programmes appartenant à ces deux axes « gravité quantique », une expression qui désigne ainsi non pas une théorie particulière mais l’ensemble des entreprises visant à progresser dans notre compréhension des phénomènes faisant intervenir gravité et aspects quantiques. Par-delà la physique extrêmement compliquée que l’on trouve dans ces programmes, il existe une idée relativement simple à appréhender mais provoquant un niveau de fascination rarement atteint dans toute l’histoire du développement scientifique. Je parle ici d’un émerveillement au moins aussi fort que les idées de non-localité, ou d’univers multiples composant un multivers. Cette idée est que, fondamentalement, l’espace et le temps n’existent pas[2]. Cette hypothèse que l’espace et le temps tels que nous les percevons ordinairement, ou même que l’espace-temps relativiste décrit par la relativité générale, « émergent »[3] d’une autre structure peut signifier deux choses. Ou bien que l’espace, le temps et l’espace-temps n’existent tout simplement pas, qu’il s’agit d’illusions perceptives, et d’artefacts conceptuels et mathématiques logés dans nos théories physiques actuelles les plus fondamentales (la relativité générale et la théorie quantique des champs). Ou bien que l’espace, le temps et l’espace-temps (ou l’une ou l’autre de ces trois entités) existent bel et bien, mais de manière dérivée, non-fondamentale. Que l’espace et le temps soient des illusions, ou des sortes d’entités non-fondamentales quelque peu mystérieuses, les conséquences ontologiques sont massives et méritent d’être étudiées par les philosophes. Dans cet essai, nous allons présenter succinctement deux approches en gravité quantique qui entraînent vraisemblablement que l’espace et le temps n’existent pas fondamentalement, et discuter ensuite les interprétations philosophiques possibles de cette émergence de l’espace-temps. Ces points seront discutés selon une approche philosophique[4]. La première question qui vient en tête lorsqu’on rencontre cette idée que le temps et l’espace n’existent pas est de savoir ce qui existe à la place de l’espace et du temps. À quoi ressemble la structure fondamentale, qui déclenche d’une manière ou d’une autre, notre monde spatio-temporel ? Que trouve-t-on derrière le voile spatio-temporel ? À quoi ressemble la structure non-spatio-temporelle du monde dans lequel nous semblons évoluer ? L’ontologie et les mathématiques de ces structures dépendent de chaque programme en gravité quantique, et leurs élucidations est toujours en cours. Dans la suite, je présenterai succinctement les ontologies suggérées par les deux principaux programmes de recherche en gravité quantique : la théorie des cordes (section II) et la gravité quantique à boucles (section III)[5]. Je soutiendrai ensuite qu’il est fructueux de prendre les différentes conceptions ontologiques de la conscience en philosophie de l’esprit en modèles pour la construction de solutions au problème de l’émergence de l’espace-temps (sections IV et V)[6]. II 3/19 La théorie des cordes est un nom générique qui correspond à un grand nombre de théories, chacune d’entre elle répondant aussi au nom de « théorie des cordes » ou « théorie des supercordes ». Ces différentes théories, qui se sont accumulées depuis les années 1980, résultent de la tentative de combiner la relativité générale avec le modèle standard de la physique des particules. Dit de façon très simplifiée, ces théories décrivent des entités à une dimension, les cordes, ou des entités à plusieurs dimensions, les branes, qui peuvent être ouvertes ou fermées sur elles-mêmes, et vivent dans un espace étrange, suffisamment étrange pour que l’on se demande si cette structure mérite bel et bien le nom « d’espace ». En effet, cet espace n’est pas structuré par trois dimensions spatiales et une dimension temporelle, mais par un nombre bien plus élevé de dimensions (dix ou onze suivant les versions de la théorie). Ces cordes peuvent vibrer selon une certaine fréquence. Les dimensions supplémentaires découlent des contraintes de cohérence posées par le développement mathématique de ces théories. Une idée intéressante est que ce que nous appréhendons comme des particules matérielles (les fermions tels que les électrons ou les quarks) et les particules vectrices des forces (les bosons tels que le gluon, le photon, et peut-être le graviton) ne sont pas réellement des particules. Ce sont des propriétés des cordes, à savoir des vibrations selon une certaine fréquence de ces cordes. Actuellement, cinq théories des supercordes ont été formulées : les théories des supercordes de type I, type IIA, type IIB, hétérotique E et hétérotique O. Ces dernières, à la différence des premières théories des cordes qui ne permettaient de rendre compte que des bosons, permettent également de rendre compte des fermions et supposent l’existence d’un espace constitué de dix dimensions. À première vue, on pourrait croire que le problème de l’émergence de l’espace-temps dans le cadre de la théorie des cordes n’est pas problématique. En effet, il existe une notion, la compactification, qui permet de rendre compte de la relation entre la structure fondamentale, et l’espace-temps relativiste. Le terme de « compactification » désigne des propriétés topologiques des dimensions supplémentaires (j’entends par là les dimensions qui s’ajoutent aux quatre dimensions de notre bon vieil espace-temps relativiste) : ces dimensions ont la forme topologique d’un cercle en étant fermées sur elles-mêmes. Les effets de ces dimensions ne seraient perceptibles qu’à une échelle très petite, ce qui explique pourquoi nous ne les observons pas à notre échelle. Le lecteur pourrait s’interroger sur la prétendue disparition de l’espace et du temps dans ce modèle. En effet, il semble que l’espace n’est pas éliminé de notre représentation du monde, mais plutôt qu’il subit des révisions conceptuelles importantes. Certes, cet espace est étrange de par son nombre de dimensions. Mais ce simple fait justifie-t-il de parler de disparition de l’espace ou de l’espace-temps ? Plutôt que de soutenir que l’espace ordinaire, ou que l’espace-temps relativiste, n’existe pas, pourquoi ne pas soutenir, plus vraisemblablement, que notre espace est différent de la manière dont nous nous le représentons usuellement ? La compactification ne montre-t-elle pas que les étrangetés de l’espace des cordes se résorbent lorsqu’on prend du recul, en « dézoomant » pour considérer des morceaux de réalité un peu plus gros ? 4/19 Toutefois, cet espace dans lequel vivent les cordes ne semble pas être l’espace-temps relativiste, et encore moins notre espace ordinaire (cf. Branderberger & Vafa 1989 ; Witten 1999 dans la littérature physique, et Huggett 2017, pour une discussion philosophique)[7]. Afin de pouvoir comprendre pourquoi il en va ainsi, il faut introduire le concept de dualité. Ce terme désigne le fait très surprenant que parmi les différentes théories des supercordes que l’on a construit, on trouve des descriptions duales d’un même système physique. Ces descriptions sont duales en ce sens que si l’on prend deux grandeurs G et G dans l’une des théories, et ces mêmes grandeurs dans la théorie duale, on observe une relation entre les deux grandeurs. La dualité désigne cette relation qui lie les deux théories duales dans leur ensemble, en liant systématiquement les grandeurs physiques impliquées dans les uploads/Philosophie/ lespace-et-le-temps-existent-ils.pdf
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- Publié le Sep 11, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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