Langue française La grammaire de texte : une linguistique impliquée ? Denis Leh
Langue française La grammaire de texte : une linguistique impliquée ? Denis Lehmann Citer ce document / Cite this document : Lehmann Denis. La grammaire de texte : une linguistique impliquée ?. In: Langue française, n°68, 1985. Descriptions pour le français langue étrangère. pp. 100-114; doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1985.6357 https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1985_num_68_1_6357 Fichier pdf généré le 29/03/2019 Denis Lehmann E.N.S. de Saint-Cloud, CREDIF LA GRAMMAIRE DE TEXTE : UNE LINGUISTIQUE IMPLIQUÉE »? Les lignes qui suivent sont moins le fruit d'un regard linguistique porté sur Pobjet-texte que d'un regard didactique porté sur les implications possibles des grammaires de texte. Les conditions d'un usage problématique L'exposé des « termes du contrat » montrera que cette relation ne va pas de soi. Elle n'est d'ailleurs guère ancienne. D'abord parce que les grammaires de texte elles-mêmes ne sont point très anciennes. Leur pénétration en France est encore plus récente, comme on peut en juger aussi bien par les dates des rares publications en français 2 que par l'absence à peu près totale de travaux français dans les bibliographies sur la question, notamment allemandes. Enfin, les didacticiens du français langue étrangère ne se sont sentis concernés que lorsque l'on a cessé de considérer, dans ce champ, que la compréhension des écrits viendrait d'elle-même aux apprenants, comme de surcroît, une fois acquises les capacités de communiquer oralement et d'écrire. Mais à rechercher les indications bibliographiques que livrent les principaux ouvrages consacrés à la lecture en français langue étrangère (Vigner, 1979, Moirand, 1979, Lehmann et al., 1980, Cortèse éd., 1980, Portine, 1983, Beacco et Darot, 1977, 1984) on ne relève que deux références : Peytard et Charolles (1978) ainsi que Combettes (1975) à quoi il faut ajouter de plus nombreuses références (surtout à la Perspective 1. L'expression « linguistique impliquée » est empruntée à Kahn, Porquier, Vives (1980). 2. Charolles (1978) fait remarquer que celles-ci sont la plupart du temps accueillies par des revues ou collections consacrées de près ou de loin aux rapports de la linguistique et de l'enseignement; il y voit un signe des résistances des milieux de la linguistique « théorique » en France à la grammaire de texte. 100 Fonctionnelle de la Phrase) dans un ouvrage consacré à la production écrite (Vigner, 1982). Quant à leur « popularisation » hors du cercle restreint des linguistes de profession, c'est d'abord dans le domaine de l'enseignement du français langue maternelle qu'elle a produit des effets. Cependant, il s'avère que la grammaire de texte était moins absente qu'il y paraît au seul vu des références bibliographiques. A partir du moment où le regard que les pédagogues portaient sur un texte ne le réduisait plus à un réservoir d'items lexicaux et de structures morphosyntaxiques susceptibles de prendre place au sein d'un ensemble organisé de connaissances devant être acquises sur la langue-cible, mais qu'il s'agissait de construire une méthodologie de la compréhension et de son apprentissage, les conceptions générales des grammaires de texte venaient étayer le développement de formes de grammaire de texte spontanées (comme il y a des sociologies spontanées), implicites, en tout cas ne référant pas clairement aux tendances scientifiquement légitimées. A ce que bien des linguistes considéreraient — sans nul doute avec d'excellents arguments - comme un inacceptable abâtardissement, on peut trouver de multiples raisons liées d'une part à la logique didactique, qui est tout sauf la logique linguistique, et d'autre part à l'état et la diffusion semi-confidentielle des grammaires de texte. La logique didactique en méthodologie de la lecture (i) En matière de méthodologie de la lecture, la demande théorique porte vers les processus de compréhension avant de porter vers les procédures de description de l'objet-texte. Vieux débat, dans lequel l'évolution générale de la didactique n'a pas manqué de peser, qui a conduit à rejeter des conceptions trop exclusivement linguistiques de l'activité de lecture (propres notamment à Greimas), selon lesquelles la démarche du lecteur interprétant un texte serait analogue à celle du linguiste analysant la structure de ce même texte, et à prendre en compte des approches psychologiques de type cognitiviste. (ii) Dès lors que la tendance est, en didactique, non seulement au rejet des modèles linguistiques structuralistes mais aussi et surtout à la redistribution des cartes entre les disciplines fondamentales auxquelles on a recours, se pose nécessairement la question : la linguistique pour quoi faire? et donc ici, les grammaires de texte pour quoi faire? A cela - pour prendre un exemple — les travaux menés au CREDIF sur la lecture (Lehmann et al., 1980) proposaient deux réponses : -S'agissant de la détermination des contenus, l'un des domaines traditionnels d'intervention de la linguistique en didactique : « Le contenu linguistique n'est plus... ce qui doit être appris mais ce avec quoi l'on apprend... il importe donc, à ce moment-là, que le ce avec quoi Von apprend, c'est-à-dire le matériau linguistique en présence duquel 1 apprenant sera placé, soit défini avec une grande précision ; il importe notamment que ce contenu pour l'apprentissage, qui est en somme un corpus, soit bien représentatif des discours qui se tiennent dans le domaine de l'activité 101 langagière sur lequel porte l'apprentissage » (Lehmann, in Lehmann et al., op. cit.). Dans cette optique - « représentativité » et « domaine d'activité langagière » — la détermination des contenus est affaire de sociologie et de sociolinguistique, et non pas d'analyse linguistique de l'objet-langue; - S agissant maintenant de l'analyse de ces objets pour l'apprentissage que sont les textes, est avancée la notion toute empirique d'« analyse prépédagogique » : « Le traitement préalable du texte ou analyse prépédagogique... permet finalement - et c'est là sa fonction principale - d'imaginer des stratégies d'enseignement... A la différence des analyses théoriques, l'analyse prépédagogique ne vise ni à construire ni à tester une théorie... Nous n'avons donc aucun scrupule à nous inspirer parfois de théories différentes dans la mesure où nous ne cherchons ni à confirmer leur bien-fondé ni même à établir une quelconque cohérence entre elles » (Moirand, m Lehmann et al., op. cit.). Cette prise de position, qui n'est pas toujours partagée en didactique (Beacco et Darot, 1977, 1984), précise quelque peu les raisons de l'« abâtardissement », et éclaire un propos qui aura pu paraître longuement préliminaire : la place qu'occupent les grammaires de texte en méthodologie de la lecture ne saurait dépendre de leur statut de théories dominées ou dominantes mais des possibilités d'utilisation qu'elles offrent aux enseignants. Les nécessités de cette utilisation conduisent parfois à passer des compromis au bénéfice de la clarté et de la simplicité, où la rigueur scientifique ne trouve pas toujours son compte : Gueunier (1980) critiquant l'usage fait par Moirand (1979) des modalités d'énoncé en pédagogie de la lecture. (iii) Un facteur conjoncturel ayant plaidé, à l'inverse de ce qui vient d'être dit, pour le renforcement du rôle des grammaires de texte fut l'introduction par Van Dijk (1972), contre Chomsky, du concept de compétence textuelle, à un moment où le terme de compétence (de communication) devient le passage obligé, sinon le pont-aux-ânes, de tout renouvellement méthodologique (voir Coste, 1978 ou encore Lehmann et Moirand, 1980). Avait également joué sur la connaissance des enseignants la première publication en français, dans une revue largement diffusée, d'un article de Kintsch et Van Dijk (1975). L'état des grammaires de texte (i) La multiplicité des écoles et la rapidité des évolutions font que seuls des principes assez généraux — qui, parce que généraux, sont affectés d'une plus grande inertie - parviennent à retenir l'attention des « usagers ». Mais, tout d'abord, quelle grammaire de texte choisir, parmi deux courants principaux, à l'origine du moins nettement distincts? Celui qui se réclame, successivement ou non, de la grammaire generative, de la sémantique interprétative, de la pragmatique, de la logique naturelle et 102 de la psychologie de la compréhension, qu'illustrent, par-delà leurs différences et parmi tant d'autres, Dressier, Petôfi, Van Dijk ainsi que Charolles en France. Ou celui de la Perspective Fonctionnelle de la Phrase (P.F.P.), avec surtout Firbas, Danes, Halliday, et en France Combettes et Slakta (du moins pour Slakta, 1975). Ou encore recourir à des travaux plus descriptifs et moins théorisés ou formalisés, tels que ceux de Halliday et Hasan (1976), en dépit du fait qu'ils ne livrent pas une théorie satisfaisante du texte. (ii) Dès lors que, comme on Га vu, les didacticiens attendent surtout de la linguistique qu'elle leur fournisse des outils de description, on se demandera si les grammaires en général, et les grammaires de texte en particulier, sont bien faites pour décrire. Il se trouve que, sur cette question, les réserves — pour ne pas dire plus — proviennent des grammairiens de texte. Charolles (1982) indique en effet que si les grammaires de texte sont des grammaires, elles le sont au sens générativiste du terme : « Les problèmes de cohérence ne paraissent dans toute leur ampleur que lorsque l'on aborde les phénomènes discursifs sous un angle génératif ou quasi génératif en essayant de formuler des lois ou des règles et en confrontant les prévisions qui découlent de leur application au sentiment des sujets parlants. » A uploads/Philosophie/ lfr-0023-8368-1985-num-68-1-6357.pdf
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- Publié le Jan 23, 2022
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