1 Logos ou Muthos : le défi herméneutique Victor Kouassi Gnassounou, Lycée d’Ap
1 Logos ou Muthos : le défi herméneutique Victor Kouassi Gnassounou, Lycée d’Application Nelson Mandela, Libreville, Gabon Résumé Logos et muthos sont polairement opposés dans cet article comme deux niveaux distincts mais complémentaires de notre effort pour porter au langage l’expressivité de notre situation dans le monde. Ils déterminent, depuis les présocratiques, le partage dilemmatique des voies du sens et de la vérité, de l’articulation signifiante et poétique d’un côté et, de l’autre, l’explication rationnelle et critique de notre propre rapport au langage, au monde et à nos semblables. Ils ont alimenté le conflit des interprétations du discours philosophique de notre modernité. On peut donc choisir de lire avec un réel profit intellectuel et spirituel, l’histoire de la pensée des Grecs à nous comme une tension dialectique plus ou moins apaisée, jamais résolue, entre le régime d’un comprendre mythique (muthos) et d’une explication objective et critique (logos) de notre rapport primordial au monde. Le défi herméneutique n’est rien d’autre que la reconnaissance de la déchirure profonde entre notre volonté de comprendre et notre désir de connaître. En ce sens, une philosophie herméneutique, par la prise en charge de la tension dynamique de logos et muthos, doit pouvoir faire de la recherche de la vérité une nécessité vitale, porteuse d’une espérance. Ce qui n’a jamais été explicitement le cas de Platon à Ricoeur. Il nous apparaît comme une tâche urgente, pour le philosophe, de légitimer enfin, sans ambiguïté, ces deux voies par lesquelles nous assurons notre orientation dans le monde. C’est Ricoeur qui est, à nos yeux, l’auteur qui a véritablement affronté ce défi dans une recherche qui s’est déployée à la fois comme une réflexion critique et une spéculation symbolique. Mots-clés : Allégorie, muthos, symbole, logos, compréhension, interprétation, herméneutique, langage, sens, vérité, méthode, texte, parole, écriture, signifiance, être-au-monde, sémantique Abstract Logos and muthos are diametrically juxtaposed in this article as two distinct but complementary levels in our effort to linguistically express our feelings in the world. They have, since the pre-Socratic era, determined the dilemmatic division of sense and truth, meaningful and poetic articulation on both perspectives, the rational and critical expression of our personal relationship with language in the world, and with our fellow creatures. They have fuelled the contradictory interpretations of the philosophical views of our modernity. Hence, we can choose to read with a veritable intellectual and spiritual gain, the history of Greek thought about us as a somehow appeased dialectical conflict, which has never been resolved, between the system of a mythical understanding (muthos) and an objective and poetic expression (logos) of our primordial relationship in the world. The hermeneutic challenge is simply the acknowledgement of 2 the deep rift between our determination to understand and our desire to know. In this wise, a hermeneutic philosophy, which handles the dynamic conflict between logos and muthos, should make the search for the truth, a paramount necessity and bearer of hope. Explicitly speaking, this has never been the case from Platon to Ricoeur. It seems to us an urgent task for philosophers to finally and unambiguously legitimize these two means of ensuring our orientation in the world. To us, Ricoeur is that author who has really confronted this challenge in a research that stands out as a critical reflection and a symbolic speculation. Keys words : Allegory, muthos, Symbol, logos, comprehension, interpretation, hermeneutic, language, sense, truth, method, text, word (logos), Scripture, Significance, Being-in-the-world, semantics. INTRODUCTION D’abord, qu’est-ce qu’il faut entendre exactement dans les termes muthos et logos ? Question préjudicielle pour nous mettre en chemin vers ce qui, au fond, est à l’origine de « l’humilité questionneuse » (R. Char) de cet article, à savoir : le problème de l’articulation philosophique de l’expérience de sens par laquelle nous venons au monde et qui détermine notre mode d’habitation du monde. L’articulation du sens dans le discours philosophique de notre modernité esquisse les contours des débats suscités pas le thème du langage dans la tradition en cours de constitution d’une herméneutique philosophique. La dualité muthos et logos est interne au langage lui-même et constitue sa double visée : visée de sens et visée de vérité. La perspective du débat implique donc une philosophie du langage et ponctuellement une sémantique, une théorie de la signification. Par exemple, l’usage allégorisant des mythes chez Platon témoignait déjà d’une tension entre les promesses de sens du potentiel métaphysique des mythes (muthos) et l’exigence de leur validation dans un discours rationnel et cohérent (logos). Autre exemple : le Peri hermêneias d’Aristote. La prise de vue que ce texte propose sur le langage révèle un clivage entre sa fonction sémantique et sa fonction logique. la Métaphore vive nous fournit l’ultime exemple qui va arrimer cet article au projet ricœurien d’une herméneutique philosophique. En effet, L’élaboration de la notion de muthos dans la Métaphore vive a particulièrement retenu notre attention. Mais rappelons que cet intérêt pour muthos dans le parcours herméneutique de Ricoeur se situe dans la continuité de sa thématique d’une herméneutique des symboles. Il s’agit, comme il le dit lui-même, de retrouver et de partir du plein du langage, de la plénitude métaphysique du langage pour fonder une herméneutique philosophique, de rétablir le langage comme puissance de dire l’être, de dire notre rapport à l’être, au monde. Muthos et logos, chez Ricoeur, c’est la confrontation de deux modes d’articulation de notre rapport au monde : le mode révélationnel ou symbolique (muthos ) et le mode réflexif (logos). Au passage, Ricoeur répudie l’allégorisme des Stoïciens et la gnose qui escamotent l’enjeu de l’articulation de muthos et logos. Soit muthos est 3 considéré comme une gangue qui recouvre logos et qu’il faut briser, soit muthos s’oblige à mimer logos, accréditant une « mythologie dogmatique ». Ricoeur se démarque de Dilthey : ce n’est pas du côté des sciences de la nature mais dans une philosophie du langage qui intègre le plan linguistique qu’il faut reconnaître la requête fondamentale d’une herméneutique philosophique. Dans cette mesure, la Métaphore vive sera notre référence paradigmatique et ceci, à un double titre. D’abord, elle est le résultat d’une lecture majeure de Ricoeur : la Poétique d’Aristote. Elle s’inscrit dans une stratégie de réhabilitation, contre Platon, de la mimesis. Muthos est corrélé à la mimêsis. « T oute mimêsis, même créatrice, surtout créatrice, est dans l’horizon d’un être au monde qu’elle rend manifeste dans la mesure même où elle l ‘élève au muthos »1. Il découle donc de cette élaboration de la notion muthos, l’affirmation et la généralisation du principe de la référence sous la double influence de Frege et de Husserl2. On peut déplorer qu’il n’a pas résulté de ce principe la reconnaissance, sans arrière-pensée, de la pluralité des modalités du dire sur le monde : le dire poétique, le dire scientifique, et le dire philosophique. Malgré la découverte de la « véhémence ontologique » du muthos (poésie) il n’est pas question, selon la problématique assumée par Ricoeur, de faire une réponse sereine à la question : Qu’est-ce que la réalité, le monde, la vérité ?3 La puissance ontologique de muthos, comme la vérité métaphorique, ne sont, en définitive, que des propositions de sens que le logos, le discours philosophique peut ou non avaliser. Aucune philosophie, écrira-t-il, ne procède directement de la poétique. Ensuite, Ricoeur va mettre en évidence les affinités de l’herméneutique avec la linguistique et déboucher sur l’idée d’ouverture de l’univers des signes. Dernier avatar de muthos : il présente le caractère d’un discours signifiant irréductible à la compréhension méthodique et réflexif des signes. En élargissant les visées référentielles du muthos au récit historique, l’herméneutique de Ricoeur s’ouvre sur les horizons du monde du texte et du monde de la vie de l’auteur selon cette fois-ci la dialectique du lecteur et du texte. Ainsi, nous abordons véritablement le problème philosophique de l’herméneutique chez Ricoeur à partir de l’articulation du muthos et du logos, c’est à dire d’une philosophie qui repose sur deux principes : le langage et la réflexion. Mais cette articulation se justifie par une posture tensionnelle qui fait à la fois la fascination et la perplexité de l’entreprise herméneutique de Ricœur à cette étape-bilan du milieu des années 70. A la différence de l’herméneutique ontologique de Heidegger et de Gadamer, Ricoeur ne se résout pas à un mode d’articulation du sens qui serait en deçà ou au-delà de la logique de la philosophie, ou d’une épistémologie de l’interprétation, même si l’ontologie est posée comme le lieu d’ancrage et le garde-fou des dérives éventuelles du conflit des interprétations. 1 P. RICŒUR, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 6. 2 P. RICŒUR, Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969, p. 87. 3 P. RICŒUR, La Métaphore vive, op. cit., p. 279. 4 La philosophie, au cours de son histoire, de Platon à Ricoeur, s‘est régulièrement trouvée en butte aux dualismes : la poésie et la prose, le mythe et la dialectique, l’imagination et la raison, l’intuition et le concept, la révélation et la démonstration, sémantique et logique, herméneutique et philosophie, ou muthos et logos. Muthos et logos, n’est, dans uploads/Philosophie/ logos-ou-muthos-2.pdf
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- Publié le Apv 25, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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