1 Wolfgang Wildgen (2019) Morphologie et dynamique des mythes: Une nouvelle lec
1 Wolfgang Wildgen (2019) Morphologie et dynamique des mythes: Une nouvelle lecture de Lévi-Strauss Résumé: Lévi-Strauss est un des pères du structuralisme (avec Ferdinand de Saussure, Roman Jakobson et Louis Hjelmslev). Sociologue, ethnologue et philosophe, il est à l’origine d’une œuvre considérable, dont L'Anthropologie Structurale (I et II) et les quatre volumes des "Mythologiques". René Thom est peut-être le dernier des structuralistes ; tout en mettant la morphologie (forme et structure) au premier plan, il a remplacé les moyens d'une logique minimale par les résultats sophistiqués de la topologie différentielle, surtout celles de la théorie des catastrophes (TC). Je vais d'abord passer en revue les moyens formels utilisés par Lévi-Strauss et ses relations avec les sciences naturelles mathématisées. Cette méthode correspond souvent à la méthode du "bricolage" dont il fait l'éloge. Au vu du vaste matériel qu'il analyse dans ses livres (plusieurs collections de mythes enregistrés dans des parties majeures du monde), l'analyse structurale qu'il propose permet un défrichement systématique de ce matériel immense. Je veux montrer qu'une analyse morphodynamique peut saisir les intuitions de l'ethnologue (sans pourtant donner une vue globale et unitaire). La ré-analyse morphodynamique concerne d'abord les échelles linéaires aux polarités binaires et les types d'oppositions sémantiques. Je veux remonter au continuum cognitif et sémantique derrière ces polarités et les possibilités diverses de leur segmentation (pas seulement binaire). Dans cette entreprise, les catastrophes élémentaires, dites cuspoïdes, jouent un rôle. Comme l'analyse catastrophiste est locale (et non globale), se pose la question de l'organisation globale, c'est-à-dire de l'ajustement des échelles locales. Les analyses de Lévi-Strauss concernent des groupes de traditions mythiques qui sont voisins et couvrent souvent des séries d'ethnies voisines et le transfert des structures mythiques à longue distance (de l’Amérique du Sud à l'Amérique du Nord par exemple). Il faut, pour en rendre compte, considérer une dynamique spatiale et temporelle. Le structuralisme de Lévi- Strauss a, comme les autres structuralismes (dans la tradition de Saussure), la tendance de négliger (ou de subsumer) cette dynamique secondaire. Pour la TC, la question de la genèse et du déploiement est pourtant centrale, quoique ses modèles restent locaux. Pour la distribution globale des mythes et des langues, il faudra considérer des modèles synergétiques et stochastiques. Dans une deuxième partie, je vais discuter la "formule canonique des mythes", son emploi par Lévi-Strauss dans plusieurs de ses œuvres et différents essais pour mieux comprendre et préciser cette formule. Je me réfèrerai surtout aux publications de Jean Petitot et son utilisation du double cusp (X 9). Finalement, je veux discuter les conséquences, d'une part pour une sémantique morphodynamique et, d'autre part, pour une sémiotique des religions. 2 Qu’est-ce la sémantique catastrophiste ? Je veux, pour circonscrire mon point de départ, mentionner les traits pertinents de la sémantique issue des idées de René Thom (1970, 1972, 1988 et autres). L’épithète « catastrophiste » renvoie à la théorie des catastrophes, on parle aussi d’une sémantique topologique, dynamique ou morphodynamique. Elle inclut la théorie des prégnances (voir Thom, 1988 et les contributions dans Wildgen et Brandt, 2010), la physique du sens (Petitot ; 1992) et les spécifications linguistiques par Wildgen (1982, 1985 et la suite) et sémiotiques par Brandt (1992, 1995). Voici quelques traits qui distinguent cette approche des sémantiques traditionnelles ayant recours à des conceptualisations logiques ou logico-mathématiques : Comme arrière-fond mathématique, notre approche utilise la topologie différentielle et la théorie des systèmes dynamiques développée au cours du XXe siècle (en partant du concept de stabilité chez Poincaré), qui embrassent les théorèmes de Whitney et Thom, les attracteurs étranges et la théorie du chaos, la synergétique de Haken et les modèles d’auto-organisation de Prigogine. La sémantique est d’abord locale, c’est-à-dire on recherche les instabilités qui sont à la base de la création des structures. Les archétypes sémantiques dont René Thom a fait le tableau, donnent le fondement au lexique des verbes, et aux structures actantielles et narratives (voir Wildgen, 1981, 1999 et Petitot, 2011). Pour les structures globales, donc les grands systèmes de régularité mis en avant dans la grammaire traditionnelle et la linguistique structurale (en linguistique les systèmes phonologiques, lexicaux, morphologiques, syntaxiques et textuels), on cherche les principes de création, d’auto-organisation, de sélection et de variation des constructions. Dès que ces constructions (phonologiques, morphologiques et syntaxiques) ont acquis une mesure de ritualisation et sont figées dans la mémoire collective, on peut considérer une dynamique secondaire qui prend cette base mnémonique comme point de départ d’une morphogenèse plus complexe dans l’art langagier (poésie, littérature épique et dramatique). Le domaine global et les systèmes mnémoniques ne sont pas seulement le résultat d’une morphogenèse individuelle, ils dépendent aussi des contextes (de la pragmatique du discours, de la structure sociale du groupe). Ses résultats, constatés par la linguistique descriptive, ont leurs sources dans les décisions, les choix des locuteurs (et auditeurs) et les préférences collectives dans la communauté sémiotique et linguistique qui contrôlent sa diffusion. À ce niveau il faudra considérer les relations contractuelles (voir le contrat social chez Rousseau), la dynamique du consensus (voir l’arbitraire du signe chez Saussure), la problématique de la convention (voir les travaux de Lewis) et le statut des « règles » (voir les réflexions de Wittgenstein au sujet de la règle et l’école de Chomsky pour le schéma de la règle grammaticale). Dans une perspective morphodynamique, l’organisation globale et contextuelle a un caractère en partie stochastique, en partie dynamique, c’est-à-dire à la recherche d’un équilibre, d’un attracteur ; voir la théorie des jeux chez von Neumann1 et les dynamiques stochastiques chez Prigogine et Haken.2 La synergétique traite la coordination d’un nombre de sous-systèmes et l’effet d’un petit nombre de facteurs contraignants qui peuvent régir et réduire la complexité des interactions entre sous- systèmes et contextes, et faciliter une théorisation systématique et accessible à la formalisation. 1 von Neuman a publié une première version en allemand en 1928: "Zur Theorie der Gesellschaftsspiele" et en 1944 (avec Morgenstern) le livre classique: Theory of Games and Economic Behavior“. 2 Les travaux de von Neumann au début du XXe siècle ont inspiré Lévi-Strauss dans ses travaux (voir : Loyer, 2017 : 549, note 88). 3 De ces traits, nous pouvons déjà déduire le caractère de notre analyse des mythes qui se place dans la continuité de la recherche de systématisation et de formalisation chez Lévi-Strauss (L- S par la suite), tout en mettant en œuvre des concepts et stratégies qui ne furent pas disponibles dans la période majeure de sa production scientifique, dans les années 50 à 70 du XXe siècle (L-S est parti à la retraite en 1968).3 On peut distinguer : Les structures élémentaires, par exemple les oppositions binaires, ternaires, etc., les échelles continues qu’elles présupposent, les médiations et les changements brusques de niveau qui font l’objet d’une modélisation strictement catastrophiste. Les interactions entre populations adjacentes, les transferts entre ethnies et les changements diachroniques qui sont au centre des reconstructions de L-S, demandent le renvoi à des systèmes dynamiques globaux ou bien à des dynamiques chaotiques et fractales. Ceux-ci furent au centre des développements scientifiques des années 1980 à 2000 (voir Wildgen, 1987/2005 et Petitot, 2011). Je vais commencer avec une ré-analyse des résultats majeurs de L-S. Au vu de la masse de ses publications (entre 1949 et 1968, date du livre « La potière jalouse »), je vais mettre l’accent sur la constitution et l’interprétation des structures de base, échelles, oppositions et réseaux de relations. Le climax de l’entreprise « structurale » est donné par la « Formule canonique des mythes », telle qu’elle fut utilisée par L-S dans « La potière jalouse » et dans d’autres exemples d’application à l’intérieur des quatre volumes des « Mythologiques ». La dynamique des mythes (dans l’œuvre de Lévi-Strauss) L-S travaille sur un grand corpus de mythes, collectés par lui-même et par la communauté des anthropologues et ethnologues depuis le milieu du XIXe siècle. Les groupes majeurs, auxquels répond L-S, sont le corpus des mythes de l’Amérique du Sud et celui de l’Amérique du Nord (L-S a pu travailler avec les ethnologues américains lors de son exil à New York pendant la Seconde Guerre Mondiale et jusqu’à son retour en France en 1949). Ces corpus sont complétés par des mythes d’Australie et les mythes de la Grèce classique (par exemple le mythe d’Œdipe, y compris son interprétation par Freud). Il ne s’agit donc, ni de l’analyse faite à la base d’un mythe (avec ses variantes à l’intérieur d’une ethnie), ni d’une analyse quasi littéraire d’un texte issu des traditions orales (comme les contes de fées analysés par Vladimir Propp, dont L-S a fait la critique) ou d’un roman. La dynamique observable dans ce corpus (ou dans certains sous-corpus) a trois niveaux : 1. Dans une société ou dans une langue apparaissent des mythes, qui mettent en œuvre des échelles sémantiques souvent bipolaires. On peut parler d’un « lexique », d’une liste de mythèmes, d’un réseau ou d’un champ de mythèmes comparable aux champs lexicaux qui furent au centre des travaux en lexicologie depuis les années 20 du XXe siècle. Ils uploads/Philosophie/ morphologie-et-dynamique-des-mythes-une.pdf
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- Publié le Aoû 15, 2021
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