Lectures Les comptes rendus / 2011 Nancy Fraser, Qu'est-ce que la justice socia

Lectures Les comptes rendus / 2011 Nancy Fraser, Qu'est-ce que la justice sociale ?. Reconnaissance et redistribution MAXIME PERREAULT https://doi.org/10.4000/lectures.5207 Nancy Fraser, Qu'est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », 2011, 178 p., EAN : 9782707167897. Vous pouvez commander cet ouvrage sur le site de notre partenaire Decitre Texte intégral Nancy Fraser, professeure à la New School for Social Research à New York, est une auteure dont la pensée critique a fortement inspiré les récents mouvements sociaux aux États-Unis. Malheureusement, l’absence d’une traduction française de ses principaux écrits a privé plusieurs lecteurs francophones d’un regard incontournable sur la modernité et la démocratie. Le livre Qu’est-ce que la justice sociale ? (première édition en 2005) tente de corriger la situation et propose de découvrir la pensée de cette philosophe à partir d’un ensemble d’articles parus entre 1992 et 2004 et dont le fil d’Ariane est une réflexion sur la justice sociale et l’espace public. On peut souligner d’emblée le travail remarquable d’Estelle Ferrarese qui a réussi à rassembler ces textes diversifiés, certains écrits à plus de dix ans d’intervalle, dans un ensemble cohérent et relativement homogène avec l’objectif d’offrir au lecteur néophyte une introduction simple à la pensée critique de cette philosophe américaine. En ce sens, la démonstration s’y déploie 1 lentement, avec le souci constant d’éviter une surcharge conceptuelle, et les chapitres se terminent habituellement sur une synthèse, ce qui pourrait agacer les initiés, qui auront tout intérêt à consulter plutôt ses écrits parus en anglais. Le premier constat de l’auteure est que désormais, « l’identité collective remplace les intérêts de classe comme lieu de la mobilisation politique, et l’injustice fondamentale n’est plus l’exploitation, mais la domination culturelle » (p. 13). Elle cherche donc à réhabiliter une conception de la justice sociale fondée sur deux dimensions complémentaires, la redistribution et la reconnaissance, associées à deux types d’injustice, l’injustice socio-économique (exploitation, marginalisation ou exclusion économique) et l’injustice de type symbolique (domination culturelle par imposition de modèles sociaux). Mais ces injustices sont, à des degrés divers, enchevêtrées. Fraser affirme alors : « Nous nous trouvons ainsi devant un dilemme complexe, que j’intitulerai dilemme redistribution/reconnaissance : les personnes qui sont objets simultanément d’injustice culturelle et d’injustice économique ont besoin à la fois de reconnaissance et de redistribution ; elles ont besoin à la fois de revendiquer et de nier leur spécificité » (p. 21). L’exemple des femmes ou des autochtones est représentatif de cette situation. 2 Pour sortir de cette dichotomie, Fraser nous invite à réinterpréter la reconnaissance en remplaçant l’identité par le statut. Ainsi, ce n’est plus l’identité spécifique de l’individu ou d’un groupe qui nécessite une reconnaissance, mais plutôt le statut de partenaire à part entière de l’interaction sociale, ce qu’elle traduit par la « norme de la parité de participation » (p. 50). Le déni de reconnaissance, dès lors, ne signifie pas la dépréciation de l’identité, mais plutôt une relation de subordination sociale ou subordination statutaire, au sens d’un empêchement à participer en tant que pair à la vie sociale qui résulte d’un ensemble institutionnalisé de codes et de valeurs culturelles. 3 L’analyse serait toutefois incomplète si elle n’était pas arrimée à une réflexion plus large sur l’espace public moderne où, comme le rappelle Ferrarese dans l’introduction, « s’expriment et se forment les identités sociales » (p. 9). Après avoir proposé de traiter le déni de reconnaissance comme une « subordination statutaire », cause et conséquence de modèles institutionnalisés régulant l’interaction en fonction de normes culturelles entravant la parité de participation, Fraser étend sa critique à l’espace public habermassien afin d’introduire le pouvoir au cœur de la problématique de la reconnaissance. En utilisant l’exemple des femmes et des minorités ethniques, Fraser montre que la conception de l’espace public bourgeois chez Habermas, même s’il postule l’égalité formelle des participants, masque des formes élémentaires de domination. En ce sens, elle affirme que « l’espace public officiel fut donc – et demeure d’ailleurs – le premier site institutionnel de construction du consentement définissant le nouveau mode de domination, de nature hégémonique » (p. 118). On peut toutefois regretter le trop bref exposé de la pensée de Jürgen Habermas, qui ne rend pas justice à la finesse de l’analyse. 4 À cet espace public unique dominé par l’idéologie bourgeoise et fondé sur l’exclusion, Fraser oppose un espace public composé d’une pluralité de publics parallèles qu’elles nomment « contre-publics subalternes » (p. 127) afin de signaler la relation de subordination, mais aussi de contestation par rapport aux publics dominants. Ces contre-discours constituent pour elle une des conditions essentielles favorisant l’idéal de parité de participation. Enfin, il nous semble que Ferrarese souligne avec justesse, dans la postface, l’importance que Fraser attribue aux structures et aux institutions dans le déroulement des interactions. En insistant si fortement sur le rôle décisif des institutions sans tenir compte de la subjectivité des individus engagés dans les interactions sociales, l’auteure nous prive ainsi d’une compréhension complète de la dynamique de la reconnaissance. 5 Pour citer cet article Référence électronique Maxime Perreault, « Nancy Fraser, Qu'est-ce que la justice sociale ?. Reconnaissance et redistribution », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 avril 2011, consulté le 16 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5207 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5207 Rédacteur Maxime Perreault Étudiant à la maîtrise en sociologie, Université Laval (Québec, Canada) et membre du Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones (CIÉRA) Droits d’auteur © Lectures - Toute reproduction interdite sans autorisation explicite de la rédaction / Any replication is submitted to the authorization of the editors uploads/Philosophie/ nancy-fraser-qu-x27-est-ce-que-la-justice-sociale-reconnaissance-et-redistribution.pdf

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