Le scepticisme "Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses

Le scepticisme "Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses qui apparaissent aussi bien que celles qui sont pensées, de quelque manière que ce soit, capacité par laquelle, du fait de la force égale qu'il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arrivons d'abord à la suspension de l'assentiment, et après cela à la tranquillité. […] Nous ne prenons pas « raisonnements opposés » dans tous les cas au sens de l'affirmation et de la négation, mais simplement dans le sens de raisonnements en conflit. Nous appelons «force égale» l'égalité selon la conviction et la non-conviction, de sorte qu'aucun des raisonnements en conflit n'ait préséance sur un autre parce qu'il serait plus convaincant. La suspension de l'assentiment est l'arrêt de la pensée du fait duquel nous ne rejetons ni nous ne posons une chose. La tranquillité est l'absence continue de tourment et le calme de l'âme. […] La suite de cela pourrait être de considérer la fin de la voie sceptique. Or une fin est ce en vue de quoi tout est fait ou pensé, mais qui n'est elle-même en vue de rien d'autre ; c'est aussi l'objet final des désirs. Nous disons jusqu'à présent que la fin du sceptique, c'est la tranquillité en matière d'opinions et la modération des affects dans les choses qui s'imposent à nous. Car ayant commencé à philosopher en vue de décider entre les impressions et de saisir lesquelles sont vraies et lesquelles sont fausses en sorte d'atteindre la tranquillité, il tomba dans le désaccord entre partis de forces égales ; étant incapable de décider, il suspendit son assentiment. Et pour celui qui avait suspendu son assentiment, la tranquillité en matière d’opinions s’ensuivit fortuitement." Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes (IIe-IIIe siècle), Livre I, § 8, 10, 25-26, tr. fr. Pierre Pellegrin, Seuil, Points essais, 1997, p. 57-59 et 69-71. "Il serait ensuite à propos d'exposer la fin de l'orientation sceptique. La fin, c'est le but de toute action ou considération, elle est elle-même sans but et c'est le dernier point où l'on tend. Nous disons jusqu'à présent que la fin du Sceptique est l'ataraxie en matière d'opinion et la modération dans ce qui est nécessaire. Après avoir commencé à philosopher sur la distinction des représentations et sur la connaissance des vraies et des fausses, de manière à atteindre l'ataraxie, il est tombé sur une discordance d'égale force qu'il s'est abstenu, faute de pouvoir le faire, de trancher ; à cette suspension du jugement, par un heureux hasard, a fait suite l'ataraxie à l'égard de ce qui est objet d'opinion. Car celui qui croit qu'une chose est par nature bonne ou mauvaise se trouble à tout propos ; lorsque ce qui lui semble un bien n'est pas à sa disposition, il pense qu'il subit en châtiment des maux réels, et il poursuit le bien, à son avis ; après l'avoir précisément atteint, il tombe dans de plus nombreux troubles pour s'élever contrairement à la raison et sans mesure, et dans la crainte de tout changement, il fait en sorte de ne pas perdre ce qu'il estime un bien. Mais celui qui est dans l'incertitude de la nature des biens ou des maux ne fuit rien, ne poursuit rien avec effort ; aussi jouit-il de l'ataraxie. Ce que l'on raconte du peintre Apelle arrive d'ordinaire au Sceptique. Peignant, dit-on, un cheval et ayant voulu reproduire par le dessin l'écume du cheval, il échoua au point de renoncer et de jeter sur le tableau l'éponge avec laquelle il enlevait les couleurs des pinceaux ; et celle-ci, par contact, reproduisit l'écume du cheval. Les Sceptiques espéraient donc parvenir à l'ataraxie en jugeant de la différence qui existe entre les apparences et les Philo52 - Le scepticisme https://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=799&prt=2 1 sur 11 27/08/2019 à 11:00 concepts ; faute de pouvoir le faire, ils suspendirent le jugement ; par un heureux hasard, l'ataraxie suivit pour eux la suspension du jugement, tout comme l'ombre suit le corps." Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, I, chap. 12, § 25-29, trad. De J. Grenier et G. Goron, Paris, Éd. Aubier-Montaigne, 1948, p. 163-164. "Les sceptiques plus récents[1] nous ont transmis cinq modes de la suspension de l'assentiment: le premier qui part du désaccord, le second, selon lequel on est renvoyé à l'infini, le troisième selon le relatif; le quatrième est l'hypothétique, le cinquième le diallèle. Celui qui part du désaccord est celui par lequel nous découvrons qu'à propos de la chose examinée il s'est trouvé, aussi bien dans la vie quotidienne que parmi les philosophes, une dissension indécidable qui nous empêche de choisir quelque chose ou de le rejeter, nous menant finalement à la suspension de l'assentiment. Celui qui s'appuie sur la régression à l'infini est celui dans lequel nous disons que ce qui est fourni en vue d'emporter la conviction sur la chose proposée à l'examen a besoin d'une autre garantie, et celle-ci d'une autre, et cela à l'infini, de sorte que, n'ayant rien à partir de quoi nous pourrons commencer d'établir quelque chose, la suspension de l'assentiment s'ensuit. Le mode selon le relatif ; comme nous l'avons dit plus haut est celui dans lequel l'objet réel apparaît ici tel ou tel relativement à ce qui le juge et à ce qui est observé conjointement, et sur ce qu'il est selon la nature nous suspendons notre assentiment. Nous avons le mode qui part d'une hypothèse quand les dogmatiques étant renvoyés à l'infini, ils partent de quelque chose qu'ils n'établissent pas mais jugent bon de prendre simplement et sans démonstration, par simple consentement. Le mode du diallèle arrive quand ce qui sert à assurer la chose sur laquelle porte la recherche a besoin de cette chose pour emporter la conviction ; alors n'étant pas capables de prendre l'un pour établir l'autre, nous suspendons notre assentiment sur les deux." Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, 15, tr. fr. Pierre Pellegrin, Seuil, Points essais, 1997, p. 141-143. [1] Notamment Agrippa et ses partisans, d'après Diogène Laërce (IX, 88). "Comme il y a un désaccord au sujet du vrai parmi les dogmatiques[1], puisque les uns disent qu'il existe quelque chose de vrai, alors que d'autres disent qu'il n'existe rien de vrai, il n'est pas possible de trancher ce désaccord; en effet celui qui dit qu'il existe quelque chose de vrai n'emportera pas la conviction s'il le dit sans démonstration, à cause du désaccord, et s'il veut apporter une démonstration et qu'il convient qu'elle est fausse, il n'emportera pas la conviction, mais s'il dit que la démonstration est vraie, il tombe dans l'argument du diallèle[2], et on lui demandera aussi,une démonstration de ce que cette démonstration est vraie, et une autre pour celle-là, à l'infini. Mais il est impossible de démontrer à l'infini; il est donc aussi impossible de savoir s'il existe quelque chose de vrai. De plus le « quelque chose », dont ils disent qu'il est la classe la plus générale, est soit vrai, Philo52 - Le scepticisme https://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=799&prt=2 2 sur 11 27/08/2019 à 11:00 soit faux, soit ni faux ni vrai, soit et faux et vrai. S'ils disent qu'il est faux, ils conviendront que tout est faux, car de même que tous les animaux particuliers sont animés, puisque l'animal est animé, de même si le plus général de tout – le « quelque chose » - est faux, toutes les choses particulières seront aussi fausses et rien ne sera vrai. Nous en conclurons que rien n'est faux ; en effet les expressions elles-mêmes « tout est faux » et « il existe quelque chose de faux », appartenant à l'ensemble de toutes les choses, seront fausses. Mais si le « quelque chose » est vrai, tout sera vrai. D'où on conclura à nouveau que rien n'est vrai, s'il est vrai que cela – je veux dire « que rien n'est vrai » -, étant une chose qui existe réellement, est vrai. Si le « quelque chose » est à la fois faux et vrai, chaque chose particulière sera aussi fausse et vraie. De là on conclura que rien n'est vrai par nature ; en effet ce qui a une nature telle qu'il est vrai ne saurait en aucun cas être faux. Et si le « quelque chose » n'est ni faux ni vrai, on conviendra que toutes les choses particulières elles aussi, dont on dira qu'elles ne sont ni fausses ni vraies, ne seront pas vraies. Et pour ces raisons l'existence du vrai nous demeurera obscure." Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes (IIe-IIIe siècle ), Livre II, § 85-87, trad. Pierre Pellegrin, Seuil, Points Essais, 1997, p. 247-249. [1] Sextus Empiricus nomme ainsi les philosophes rationalistes, qui admettent la possibilité d'une connaissance de la réalité (plus particulièrement : Aristote, Épicure, les stoïciens). [2] Diallèle : équivalent d'un "cercle vicieux" qui mène à une suspension de l'assentiment. "Quiconque cherche une chose en arrive à ceci : ou à dire qu'il l'a trouvée, ou qu'elle ne peut pas être trouvée ou qu'il est encore à chercher. Toute la philosophie est divisée entre ces trois genres. Son dessein uploads/Philosophie/ philo52-le-scepticisme.pdf

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