Pratiques Linguistique, littérature, didactique 167-168 | 2015 L'exception (rev
Pratiques Linguistique, littérature, didactique 167-168 | 2015 L'exception (revue et corrigée) Faute avouée à moitié pardonnée Les figures du discours : des fautes pardonnables ? A Fault Confessed is half Redressed. Are Figures of Speech Forgivable Mistakes? Geneviève Salvan Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/pratiques/2712 DOI : 10.4000/pratiques.2712 ISSN : 2425-2042 Éditeur Centre de recherche sur les médiations (CREM) Référence électronique Geneviève Salvan, « Faute avouée à moitié pardonnée », Pratiques [En ligne], 167-168 | 2015, mis en ligne le 04 avril 2016, consulté le 21 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/pratiques/2712 ; DOI : 10.4000/pratiques.2712 Ce document a été généré automatiquement le 21 avril 2019. © Tous droits réservés Faute avouée à moitié pardonnée Les figures du discours : des fautes pardonnables ? A Fault Confessed is half Redressed. Are Figures of Speech Forgivable Mistakes? Geneviève Salvan Introduction : la relativité des jugements de la figure comme faute 1 Avec une réticence toute rhétorique, Georges Molinié (1986 : 103) évoque ainsi l’anacoluthe : « On ose à peine évoquer l’anacoluthe, traditionnellement expliquée comme une rupture de construction », avant d’ajouter malicieusement : « c’est pourtant bizarre, de donner un nom de figure à ce que tout l’enseignement du français appelle une faute. Ou plutôt, c’est intéressant ». Le « scandale » intralinguistique que constituent certaines figures a longtemps conduit à les exclure de la linguistique et à les traiter en termes d’écart ou de faute, quand ce n’est pas de vice. 2 Or, les figures sont bel et bien des « réalités langagières incontournables » (Bonhomme, 2013 : 3) et le regain d’intérêt de la linguistique contemporaine pour elles l’atteste. Elles sont prises entre grammaire et rhétorique, relevant de la grammaire en ce qu’elles affectent la structure formelle et sémantique des énoncés et de la rhétorique en ce qu’elles génèrent des marquages discursifs donnant lieu à des effets stylistiques. La remarque de G. Molinié souligne cette tension dans une figure telle que l’anacoluthe qui intègre, dans sa définition même (rupture de construction), l’entorse à la règle syntaxique. C’est cette position entre grammaire et rhétorique qui fonde la dialectique de la figure et de la faute, rhéteurs et grammairiens se renvoyant dos à dos les figures comme leurs objets propres. 3 La figure est l’objet de plusieurs types de jugement : celui qui la tolère ou la valorise comme ornement (elle est belle, appropriée mais décorative), celui qui la catégorise comme écart (elle déroge à l’usage) et, enfin, celui qui la condamne comme faute (elle déroge à la langue). Plusieurs termes sont employés pour (dis)qualifier l’inconduite des Faute avouée à moitié pardonnée Pratiques, 167-168 | 2015 1 figures : outre la faute (dite parfois d’écriture), il y a le défaut (en général de style), le vice ( d’élocution) ou encore l’entorse (à la règle). Cette dialectique de la figure et de la faute s’ancre dans l’insertion progressive des figures dans la grammaire au Moyen Âge et à la Renaissance, « insertion qui se prolongera chez les grammairiens philosophes des siècles suivants » (Gardes Tamine, 2011 : 62), notamment sous la plume de Dumarsais dans l’ Encyclopédie. Cette intégration place de fait certaines figures aux marges de la grammaticalité : plus le discours grammatical est fort et normatif, plus les figures risquent d’être perçues comme des trublions et reversées soit dans les faits de parole (singuliers, et parfois à traiter comme hapax), soit dans les fautes. 4 En fait, le jugement de la figure comme faute doit être triplement relativisé : • d’un point de vue historique : ◦1) la figure dépend de l’état de langue dans laquelle on l’envisage. L’hyperbate (Albe le veut, et Rome, Corneille), figure de perturbation syntaxique, a vu sa définition notoirement changer depuis les Grecs et les Latins, qui insistent dans le cadre de leur langue sur la perturbation par inversion, jusqu’au français où les théorisations de la figure l’emmènent plutôt vers l’idée d’une rallonge inattendue de la phrase (Stolz, 2011). L’hyperbate travaille donc la norme de manière différente, qu’elle exploite la laxité de l’ordre des mots ou qu’elle en transgresse la fixité ; ◦2) Si la figure dépend de l’état de langue et de la norme qui y est attachée, elle est aussi tributaire de l’idéologie linguistique dominante et du sentiment linguistique modelé par celle-ci. Ainsi, l’anacoluthe (Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre / Ce que je viens de raconter, La Fontaine) joue avec les règles de bonne formation de la phrase, dont on sait qu’elle est une des notions centrales dans l’imaginaire de la langue. L’anacoluthe ne sera perçue comme « dystaxie » qu’à partir du moment où s’impose la norme de la « netteté mécanique des rapports » syntaxiques. Fortement dévalorisée, elle prête alors son nom aux grammairiens qui en « affublent tout ce qui n’est pas mathématiquement conséquent » (Seguin, 1999 : 333) ; • d’un point de vue stylistique : à partir du moment où la figure prête sa saillance1 à un marquage expressif, remarquable et révélateur d’une « tension singularisante » (Bonhomme, 2008 : 1491), la prétendue faute sur laquelle elle repose est résolue par sa motivation stylistique. Ainsi l’oxymore (Cette obscure clarté qui tombe des étoiles, Corneille), une fois dépassé l’acte de prédication non pertinent et la « violation apparente de la logique » (Fromilhague, 1995 : 54), peut-il libérer son potentiel figural dans un texte qui développe par exemple la vision d’une réalité à double fond, pour la dénoncer ou en montrer la complexité ; • d’un point de vue linguistique enfin : il n’y a pas de coupure épistémologique entre grammaire et stylistique, mais un continuum entre « les structures générales de la langue et les procédés particuliers d’expression » (Bonhomme, 2000 : 11). Autrement dit, la figure ne se construit pas en marge de la langue, mais elle tire parti de ses potentialités, en exploite les zones non entièrement codées, et la figuralité nait « dès qu’une virtualité de la langue échappe aux contraintes normatives pour donner lieu à un marquage discursif idiolectal » ( ibid.). 5 Les figures, malgré leur composante rhétorique forte, sont donc souvent l’objet de discours grammaticaux normatifs et de jugements axiologiques qui opèrent comme des filtres : ce sont ces jugements d’exclusion, et les stratégies de réintégration dans l’analyse linguistique actuelle, qui nous intéresseront ici. Dans chacune des deux parties, consacrées à une figure en particulier, seront examinés (1) un certain type de jugement Faute avouée à moitié pardonnée Pratiques, 167-168 | 2015 2 négatif et son rapport à la norme sous-jacente et (2) l’apport de l’analyse linguistique et stylistique dans la réévaluation de la figure. Nous avons retenu deux figures, le pléonasme et l’hypallage, l’une plus connue que l’autre, qui ont une définition et une réception ambigües du fait de leur positionnement problématique entre grammaire et rhétorique et de leur lien avec la pratique rédactionnelle normative. 1. Le pléonasme, aux marges ou aux marches de la figuralité ? 6 Les jugements dévalorisants sont à l’origine de l’éviction pure et simple de certaines figures quand elles dérogent à un possible de la langue, ou de leur marginalisation, quand on les cite sans leur reconnaitre le statut de figure. Ce type de jugement est typique de la manière d’appréhender le pléonasme, figure injustement mal aimée, et régulièrement bannie de la figuralité. 1.1. Le pléonasme en procès 1.1.1. La redondance indue 7 Lorsqu’il n’est pas purement et simplement évincé des traités, le pléonasme fait l’objet de jugements ambivalents, dépréciatifs ou valorisants, excluants ou récupérateurs. Classé dans les figures de construction par redondance, il est généralement condamné pour deux défauts majeurs, relevant (1) d’un possible de la langue et (2) de la conduite des échanges verbaux : (1) la redondance sémantique, qui fait de lui une « faute de logique verbale » (Robrieux, 2010 : 148) ; et (2) la superfluité discursive, infraction à la maxime de quantité (Grice, 1979), qui veut qu’un énoncé donne un nombre restreint mais juste d’informations. Les définitions actuelles s’appuient toutes sur une longue tradition rhétorique que Beauzée résume ainsi dans son article « Pléonasme » de l’Encyclopédie, en citant Dumarsais : (1) Il y a pléonasme, dit M. du Marsais, article figure, lorsqu’il y a dans la phrase quelque mot superflu, ensorte que le sens n’en seroit pas moins entendu, quand ce mot ne seroit pas exprimé ; comme quand on dit, je l’ai vù de mes yeux, je l’ai entendu de mes oreilles, j’irai moi-même ; mes yeux, mes oreilles, moi-même sont autant de pléonasmes. 8 Bien avant lui, les rhéteurs de l’Antiquité et de la Renaissance dénonçaient déjà le pléonasme comme « solécisme par addition » (Quintilien, Institution oratoire) et « superfluyté du langaige » (Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique). Privilégiant un sens étymologique au détriment de l’autre, ces définitions sont partielles et partiales : le mot vient en effet du grec πλεονασμòς du verbe πλεονάζειν, en latin redundare ou abundare. Il signifie aussi bien abondant, et même surabondant, excessif, que redondant, et donc superflu, ce qui conduit Beauzée à préciser uploads/Philosophie/ pratiques-2712.pdf
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- Publié le Jul 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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