Carlo Riccati « Processio » et « explicatio » chez Jean Scot et Nicolas de Cues

Carlo Riccati « Processio » et « explicatio » chez Jean Scot et Nicolas de Cues In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 90, 1981-1982. 1981. pp. 495-497. Citer ce document / Cite this document : Riccati Carlo. « Processio » et « explicatio » chez Jean Scot et Nicolas de Cues . In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 90, 1981-1982. 1981. pp. 495-497. doi : 10.3406/ephe.1981.18370 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_1981_num_94_90_18370 « PROCESSIO » ET « EXPLICATIO » CHEZ JEAN SCOT ET NICOLAS DE CUES par Carlo Riccati Diplôme préparé sous la direction de M. René Roques Date : 17 janvier 1982 Dans cette recherche on s'est proposé de mettre en évidence les correspondances entre Jean Scot et Nicolas de Cues sur le problème de la création. Il est frappant (et jusqu'ici on l'a peu souligné) de trouver, au début et à la fin du Moyen Age, deux positions spéculatives qui suivent une démarche commune : dans leurs présupposés, dans leurs développements et dans leurs conclusions. Une même doctrine de la création apparaît ainsi chez les deux auteurs : comme « procession » (processif), chez Jean Scot), et comme « explication » (explicatio, chez Nicolas de Cues). Tout d'abord, la création est vue comme théophanie. Pour Érigène toute créature est une théophanie, pour le Cusain le monde est l'appari tion de Dieu. La doctrine de la théophanie comporte deux traits fonda mentaux : d'un côté, la création n'est que manifestation de Dieu, de l'autre, Dieu reste en lui-même insaisissable. Dans la création, selon Érigène, Dieu seul se fait essence de tout (essentiel omnium), bien qu'il reste en lui-même suressentiel et qu'il soit le rien par excellence par rapport à tout ce qui est. Le Cusain, à son tour, présente Dieu comme l'infinité au-delà de tout, mais une infinité qui apparaît comme « quiddi- té » absolue de tout (quidditas absoluta omnium), se donnant son image finie dans la créature. Chez Jean Scot, aussi bien que chez Nicolas de Cues, cette première prise de position ouvre la voie à plusieurs considérations. La création apparaît comme une sorte de passage de l'unité, de la simplicité absol ue, à la multiplicité et à la variété des êtres. Ce qu'illustre l'image néoplatonicienne et pseudo-dionysienne du rayonnement de la monade ou du centre, qui donne naissance aux nombres et aux rayons, c'est-à- dire aux divers ordres créés. Cette image va s'enrichir encore : l'éloigne- ment de la source signifie que l'être devient composé, soumis à la divi sion, moins simple, moins semblable à sa cause ; c'est la condition 496 empirique, qui est dite, par l'Érigène et par le Cusain, accidentelle, composée, corruptible. Au contraire, la nature spirituelle reste simple, proche de la simplicité divine, rattachée à l'unité divine. Cependant, en général, toute réalité a sa signification ontologique dans l'économie du processus de diffusion, de flux, de « procession », d'« explication ». Même si l'on insiste, comme Jean Scot, à différence de Nicolas de Cues, sur la condition déchue de l'ordre empirique néan moins, cet ordre, lui aussi, appartient à un moment de la théophanie universelle. En effet, la nature intelligible et la nature sensible sont deux pôles de la réalité, entre lesquels se place, comme lien, la nature humain e. Encore les deux ordres, intelligible et sensible, communiquent-ils entre eux de telle façon que le deuxième n'est qu'une « procession », une « explication » du premier. Selon Érigène, c'est de la simplicité des incorporels que se dégage par composition l'ordre des corps matériels, et c'est hors de la simplicité de Yousia que l'ordre empirique trouve sa consistance accidentelle. Et pour le Cusain, de même que Dieu est la « complication » (complicatio) de toute « explication » (explicatio), c'est-à-dire le moment où tout ce qui rayonne dans la variété subiste dans l'unité, ainsi la nature intellectuelle est la « complication » de la nature corporelle qui en est comme P« explication ». La « procession », l'« explication », selon la logique néoplatonicienne, et par une exigence liée à la nature même du processus universel, s'achève sur le retour. Jean Scot et Nicolas de Cues donnent, l'un et l'autre, un sens ontologique essentiel au moment du reflux, du reditus, de la resolutio ; sans ce mouvement, la créature ne parvient pas à son être vrai, qui se trouve précisément en Dieu, dans l'unité et non pas dans une condition accidentelle et extérieure. La dialectique du retour est d'autant plus significative qu'elle rend compte de la place de l'homme dans la création : c'est à l'homme, en effet, qu'il revient de ramener l'ordre empirique à l'unité en Dieu, en le recueillant en lui-même, pour cette raison précisément que l'homme contient déjà en lui, par sa position privilégiée, toute nature créée, La nature humaine, en tant que « médiété » universelle, c'est-à-dire en tant que nature qui rassemble en elle et l'intelligible et le sensible, est capable de recueillir en elle tous les êtres, en les unifiant et en les rame nant de l'ordre empirique, composé, accidentel à l'ordre spirituel, simple, essentiel. Ainsi, pour Érigène comme pour le Cusain, l'homme n'est pas l'animal rationnel des aristotéliciens, mais la mens, le wj$, Yanimus, l'intelligence des néoplatoniciens à quoi se rattache une corporéité spirituelle dans l'intégrité de leur condition (corporéité qui est au contraire matérielle dans leur condition déchue). Un tel homme est l'image de Dieu, la théophanie par excellence, et il concentre en lui toute créature (microcosme). 497 On aborde enfin un dernier caractère, lui aussi commun aux deux auteurs : il s'agit de ce qu'on pourrait appeler l'intellectualisme érigé- nien ou cusain. Si l'intelligence est l'essence de l'homme et l'image de Dieu, en tant qu'elle contient tout être, si, par le mouvement de l'intell igence, le processus universel s'achève et l'émanation retourne à son être, il est évident que la contemplation la plus haute correspondra à l'état le plus parfait de l'intelligence. Mais (et nous parvenons ici à la conséquence extrême), en quoi consiste la contemplation, si Dieu, essence et vérité de tout - de toute essence comme de toute vérité - est au-delà de toute affirmation et de toute négation ? Dieu est inconnaissable et ineffable. Pareillement, son image, en tant que telle, est, dans son essence même, inconnaissable et ineffable. Ainsi, la théologie négative érigénienne engendre une ontolo gie négative : aucune essence ne peut être définie en son quid (ce qu'elle est), mais seulement en son quia (le fait qu'elle est), car l'ordre essentiel est Dieu qui se fait essence de tout Et, comme Dieu, la créature consi dérée en son essence n'est pas un quid définissable. Au niveau de l'e ssence, ou de l'image, la créature est la nature humaine dont le sommet est l'intelligence. Or, une telle intelligence est d'autant plus avancée dans la sagesse (sapientia) qu'elle proclame l'ignorance de tout quid. Pour Érigène et pour le Cusain, la plus haute contemplation est le scire nesciendo, la docta ignorantia, qui hausse l'intelligence dans la surémi- nence de Dieu. uploads/Philosophie/ processio-et-explicatio-chez-jean-scot-et-nicolas-de-cues.pdf

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