21/12/2014 PROGRAMME FORT ET PROGRAMME FAIBLE EN SOCIOLOGIE DE LA http://stl.re

21/12/2014 PROGRAMME FORT ET PROGRAMME FAIBLE EN SOCIOLOGIE DE LA http://stl.recherche.univ­lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20072008/macherey02042008.html 1/12 Groupe d'études "La philosophie au sens large" animé par Pierre Macherey (02/04/2008) PROGRAMME FORT ET PROGRAMME FAIBLE EN SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE Appliquée à la sociologie de la connaissance, la formule « Programme fort », aujourd’hui entrée dans l’usage, a été pour la première fois utilisée par l’épistémologue anglais David Bloor, dans son ouvrage Knowledge and Social Imagery (« Figures sociales de la connaissance ») publié en 1976 (trad. fr. sous le titre, franchement bizarre, Socio logie de la logique – Les limites de l’épistémologie, éd. Pandore, 1982) ; elle a été aussi développée dans un ouvrage de Barry Barnes, Interests and the Growth of Knowledege (« Le rôle des intérêts dans le développement de la connaissance ») publié en 1977 (cet ouvrage n’a pas été trduit en langue française) ; en France, c’est le recueil édité par Michel Callon et Bruno Latour, La science telle qu’elle se fait. Une anthologie de la sociologie des sciences de langue anglaise (éd. Pandore, 1982, donc la même année et dans la même maison d’édition que celle qui avait vu paraître la traduction du livre David Bloor ; ensuite repris sous une forme revue et augmentée aux éditions La Découverte, 1991), qui a fait connaître la tradition « fortiste ». Tel que Bloor le détaille dans le premier chapitre de son livre, le programme fort assigne à la sociologie de la connaissance les quatre obligations suivantes : « 1/ Etre causale, c’est­à­dire s’intéresser aux conditions qui donnent naissance aux croyances ou aux stades la croyance observés. Les croyances ont bien sûr d’autres causes que sociales. 2/ Etre impartiale vis­à­vis de la vérité ou de la fausseté, de la rationalité ou de l’irrationalité, du succès ou de l’échec. Chacun des termes de cette dichotomie doit être expliqué. 3/ Etre symétrique dans son mode d’explication. Les mêmes types de causes doivent expliquer croyances « vraies » et croyances « fausses ». 4/ Etre réflexive : ses modèles explicatifs doivent s’appliquer à la sociologie elle­même. Ce principe, comme les précédents, répond à la nécessité de disposer d’explications générales. C’est une condition évidente, sans laquelle la sociologie serait en contradiction permanente avec ses propres théories. » (Socio logie de la logique – Les limites de l’épistémologie, p. 8) Se conformer à ce programme pris à la lettre signifie donc expliquer la production des connaissances en les prenant sur un plan où celles­ci ne se distinguent en rien de croyances ordinaires, qui s’imposent indépendamment du fait que puisse être établi de manière irréfutable leur caractère de vérité et de fausseté ; il signifie en conséquence rester indifférent à cette distinction et faire part égale au vrai et au faux dans l’établissement de convictions scientifiques qui sont de ce fait dépossédées de la possibilité de s’arrimer à un point fixe à partir duquel leur caractère de certitude soit définitivement assuré ; enfin il doit s’appliquer à lui­même sa capacité d’explication, ce qui est la condition pour que soit définitivement éliminée la fiction d’un savoir surplombant, dont l’objectivité puisse être garantie dans l’absolu en fonction de critères transcendants tirant leur valeur explicative du fait de se placer eux­mêmes au­dessus de toute explication : de là la nécessité pour la sociologie de se faire elle­même à terme sociologie de la sociologie. 21/12/2014 PROGRAMME FORT ET PROGRAMME FAIBLE EN SOCIOLOGIE DE LA http://stl.recherche.univ­lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20072008/macherey02042008.html 2/12 Avant même d’examiner ce sur quoi débouche leur mise en œuvre, remarquons que ces quatre règles présentent, davantage qu’un caractère constitutif, qui les rende effectivement opératoires, un caractère critique, proprement déconstructeur : en balayant un certain nombre d’idées reçues, comme par exemple celle d’une distinction tranchée entre croyance et connaissance ou celle du caractère absolu de la vérité, elles déblaient le terrain, en vue de reconstruire à neuf une théorie générale de la science expurgée de ces a priori ; mais elles ne permettent en rien de comprendre comment il faut procéder pour élaborer cette théorie, ni quels sont les concepts à l’aide desquels celle­ci sera en mesure de conduire ses investigations en vue d’expliquer dans tous les cas de figure sans exception la production de connaissance, ce qui constitue son projet déclaré. On s’étonne en conséquence de l’insistance avec laquelle ce programme réaffirme la nécessité d’élaborer des explications ayant une valeur causale, avec à l’arrière­plan une conception philosophique implicite de la causalité dont on ne voit pas, en bonne logique, comment elle pourrait s’imposer au titre d’une évidence, ce qui reviendrait à la soustraire au principe de réflexivité promulgué par la sociologie de la connaissance, principe auquel elle s’oblige par ailleurs à soumettre toutes ses démarches sans exception : de ce point de vue, sautent immédiatement aux yeux certaines des faiblesses que présente, du moins sur le plan de son exposition, ce programme qui, avec peut­être un excès de prétention et d’audace, et porté avant tout par le souci de marquer son territoire, se déclare « fort ». En réalité, le véritable enjeu de la mise en circulation du programme fort est moins de savoir comment expliquer et à quel niveau les explications ainsi produites peuvent être validées que de savoir quoi expliquer. S’agit­il uniquement de rendre compte, selon les termes utilisés dans la première règle formulée par Bloor, des « conditions qui donnent naissance aux croyances », ou bien s’agit­il, ce qui va beaucoup plus loin, et peut­être dans une autre direction, de pénétrer le contenu de ces « croyances », au nombre desquelles la connaissance scientifique, en vue de rendre compte de la manière dont celui­ci est constitué organiquement, et non seulement exposé formellement par les moyens d’une rhétorique dont les procédures demeurent extérieures à son noyau dur, si l’on suppose que celui­ci n’est pas réductible à ses conditions de formation ni non plus à la présentation langagière qui sert à sa communication ? Or c’est bien dans ce second sens que s’oriente la démarche initiée par David Bloor, qui déclare expressément s’appuyer sur les recherches entreprises à la fin du XIXe siècle par Durkheim et son école. En examinant le contenu du Mémoire publié en 1903 sous les signatures conjointes de Durkheim et de Mauss, « Des formes primitives de classification – Contribution à l’étude des représentations collectives » (auquel a été consacrée la séance du 27/2/2008 de « La philosophie au sens large »), nous avions vérifié que celui­ci se proposait, en effet, de montrer « la genèse et, par suite, le fonctionnement des opérations logiques », projet qui nous avait alors suggéré le commentaire suivant : « A leur point de vue, montrer quelle est la genèse des opérations de la connaissance, donc révéler les conditions dans lesquelles celles­ci se sont peu à peu élaborées, ce n’est pas seulement, en en faisant l’histoire, les replacer dans le contexte social en dehors duquel elles n’auraient pu apparaître, donc faire apparaître la connaissance comme le résultat d’une activité non pas individuelle mais collective, mais c’est également, par voie de conséquence, comme le souligne le « par suite » de la formule citée qui en constitue sans doute l’élément le plus important, en expliquer les modalités internes de fonctionnement, en tant que celles­ci répondent à une nécessité venue de la société qui, en tant que telle, donc telle qu’elle existe et est organisée, les marque en profondeur de son empreinte en leur fixant des normes dont elles ne peuvent plus s’écarter. Ceci revient à dire que la société ne constitue pas seulement un cadre extérieur pour des pratiques de connaissance à la formation desquelles elle contribuerait uniquement en leur fournissant l’appui matériel dont elles ont besoin, sans toutefois intervenir dans leur constitution propre, donc sans remettre en question leur autonomie, mais que, en formant ces pratiques, proprement elle les informe, elle leur donne forme, de telle façon que leur fonctionnement interne, leur ordre propre, demeure en grande partie incompréhensible en dehors d’elle. Autrement dit, la société serait le véritable sujet de la connaissance humaine, dont elle explique la constitution, au double sens de sa formation et de sa structure. » Vu sous cet angle, il s’agit effectivement d’un programme « fort », fort par son extraordinaire ambition, qui est de faire rentrer les règles de la logique dans le cadre d’un déterminisme social, qui représente lui­même, si on peut dire, de la connaissance à l’état pratique, quelque chose qui fait penser à la fois à la « pensée sauvage » de Lévi­Strauss et au « sens pratique » de Bourdieu. Mais nous avons vu aussi que, en tentant de justifier leur programme à partir d’éléments empruntés à l’ethnographie de leur temps, où la référence au totémisme occupait une place essentielle, Durkheim et Mauss avaient été entraînés dans le sens d’une vision évolutionniste de l’histoire de la pensée humaine, vision dont les ambiguïtés sont 21/12/2014 PROGRAMME FORT ET PROGRAMME FAIBLE EN SOCIOLOGIE DE LA http://stl.recherche.univ­lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20072008/macherey02042008.html 3/12 patentes, ce qui la rend fort peu « scientifique », contrairement à ses prétentions affichées. Nous avons vu aussi que, dans ce contexte évolutionniste, Durkheim et Mauss avaient uploads/Philosophie/ programme-fort-et-programme-faible-en-sociologie-de-la-connaissance-pdf.pdf

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