Pratiques Linguistique, littérature, didactique 137-138 | 2008 La didactique du
Pratiques Linguistique, littérature, didactique 137-138 | 2008 La didactique du français Le français entre rénovation et reconfiguration Jean-François Halté Édition électronique URL : http://pratiques.revues.org/1150 DOI : 10.4000/pratiques.1150 ISSN : 2425-2042 Éditeur Centre de recherche sur les médiations (CREM) Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2008 Pagination : 23-38 Référence électronique Jean-François Halté, « Le français entre rénovation et reconfiguration », Pratiques [En ligne], 137-138 | 2008, mis en ligne le 15 juin 2008, consulté le 03 octobre 2016. URL : http:// pratiques.revues.org/1150 ; DOI : 10.4000/pratiques.1150 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Tous droits réservés 1. Un problème épistémologique Dans sa conférence d’ouverture, Ahmed Chabchoub distinguait trois domai- nes de réflexion : « [...] si la référence du chercheur en didactique est évidemment l’épistémologie de cette discipline, celle du formateur s’appuierait surtout sur la réussite de l’ac- tion pédagogique des maîtres, voire sur le développement des compétences des élèves. Quant au discours normatif du personnel d’encadrement, il n’aurait de ré- férence que celle qui rappelle aux enseignants l’autorité de l’institution. » Si les distinctions d’A. Chabchoub cernent bien trois types différents de pré- occupations, impliquant chacun un certain rapport à la didactique, elles sont en réalité profondément interdépendantes. Une réflexion épistémologique sur la matière français, pour peu qu’elle mette en cause la matière elle-même dans sa définition, a nécessairement des implications dans la formation des maîtres et, pour peu qu’elle soit prise au sérieux, est susceptible de faire bouger le discours normatif de l’institution. La didactique du français s’est développée jusqu’ici bien davantage dans l’é- laboration didactique des savoirs de la matière français, que dansl’élaboration des savoirs didactiques généraux. Pour l’heure en effet, elle est plus une em- prunteuse, critique, de concepts didactiques produits dans d’autres disciplines, que propositrice de notions exportables. Cette situation s’explique par diverses raisons. L’une d’entre elles, la seule sur laquelle nous nous arrêterons, est le mouvement de rénovation permanente dans lequel la matière est embarquée de- 23 PRATIQUES N° 137/138, Juin 2008 Le français entre rénovation et reconfiguration (*) Jean-François Halté (*) Nous présentons ici le texte (non publié à ce jour) de la contribution de Jean-François Halté au Symposium international de didactique des disciplines qui a eu lieu à Tunis, en novem- bre 1998. puis une trentaine d’années. Ce mouvement lui-même est la conséquence directe de l’état de la discipline. La problématisation de cet état constitue le principal objet de cette communi- cation. Au stade où en est la réflexion, nous nous proposons seulement d’ins- truire partiellement le dossier. A en croire l’épistémologue Thomas S. Kuhn (1), « l’incapacité de l’activité normale technique à résoudre des énigmes » (p. 104) est l’un des symptômes ma- jeurs d’une « crise paradigmatique » affectant une discipline. Et, toujours selon Kuhn, ce sont les échecs caractérisés et réitérés de « l’activité normale de résolu- tion de problèmes » (p. 111) qui précipitent généralement l’apparition d’une nouvelle théorie. Toutes différences gardées – le français n’est pas un paradigme scientifique –, l’enseignement du français connaît une telle crise, publiquement ouverte dans les années 1970, jamais réellement refermée depuis et poursuivant son approfondissement aujourd’hui de manière larvée. La matière ne parvient pas à résoudre ses problèmes – si l’on veut bien nommer ainsi les défis de perfor- mance auxquels elle est confrontée – dans le cadre de son activité « normale ». Elle connaît des échecs réitérés en dépit de ses réaménagements constants, en dépit de l’activité quasi fébrile qu’elle déploie dans l’élaboration didactique de ses savoirs. Le français, en un mot, connaît une crise paradigmatique. La rénovation, terme officiellement retenu pour nommer les réaménagements auxquels nous faisions allusion, est le destin normal de toute matière scolaire. Celle-ci est affaire d’adaptation à l’évolution des publics, des structures du Sys- tème éducatif, des champs de référence, etc. Dans le cas du français cependant – notre inculture concernant les autres disciplines ne nous permettant pas de re- vendiquer l’exclusivité – nous opposerons la pertinence d’une reconfiguration à l’insuffisance de la rénovation. L’opération envisagée est de plus grande ambi- tion, mettant fondamentalement en cause la matière et touchant à la définition même de la discipline. Nous évoquerons tout d’abord, trop rapidement sans doute, quelques symptô- mes de cette crise. Nous nous arrêterons ensuite sur l’image de la discipline que renvoient des non spécialistes. Nous confronterons cette image à celle des didac- ticiens du français, pour peu que cette désignation ait un sens (2). Nous aborde- rons alors, enfin, la crise épistémologique proprement dite, et nous poserons qu’il y a de bonnes raisons de s’interroger sur le passage d’une conception réno- vatrice à une conception reconfiguratrice de l’enseignement du français. 2. Quelques symptômes de la crise La crise générale et publique des années 70 a frappé le système éducatif dans son ensemble. Elle a été à la fois structurelle : elle a touché à l’organisation même du système éducatif : réseaux, filières, orientation sélection... ; politique : elle a interpellé la puissance publique, les gouvernements et leurs politiques 24 (1) T.S. Kuhn : la structure des révolutions scientifiques, Champs Flammarion, édition origi- nale 1970, 1983. (2) Le moyen de faire autrement, en l’absence d’institution, que de désigner ici par le terme de « didacticiens », ceux des agents noosphériques qui revendiquent l’appellation ? éducatives ; et sociale : elle a interrogé l’état de la partition sociale et les rap- ports de force à l’intérieur de cette partition (une école pour la réussite de qui ?). Cette crise, générale, a été (et est encore) aussi une crise du français, qu’elle a suspecté dans ses savoirs, dans ses enjeux et dans ses résultats. Sous ce rapport plus restreint, la crise a consisté spécifiquement en une critique de la configura- tion didactique de l’époque, notamment à propos du fonctionnement et des ef- fets du couplage littérature et langue, organisateurs majeurs de la matière. Les trente années d’aménagements successifs, entérinés progressivement par les textes officiels, n’ont pas résorbé la crise, qui perdure et se traduit globale- ment par la pérennisation d’une sélectivité par l’échec (3) et des résultats jugés communément insuffisants tant par des enseignants d’autres disciplines que par les évaluations nationales ou les enquêtes et recherches menées notamment par l’INRP en lecture, en écriture, plus généralement en activités langagières. Tout au long de la période, on a pu soutenir, entre autres : – que les objectifs effectivement atteints sont peu clairs, voire confus, en tous cas facilement éloignés des objectifs prétendument poursuivis (L. Le- grand, Pour un collège démocratique, rapport au ministre, 1981) ; – que l’enseignement de français perdait sa crédibilité (A. Prost : Eloge des pédagogues, 1re édition : 1985, édition revue : 1990) ; – que les bagages de connaissances factuelles, conceptuelles, pratiques de deux élèves de troisième issus de deux classes différentes peuvent être tout à fait incommensurables (J.-F. Halté : Perspectives didactiques en français, Université de Metz, 1990) ; – que les références culturelles impliquées dans les pratiques sont très lar- gement hétérogènes et conditionnent la réussite scolaire (B. Charlot et alii : Ecole et savoir dans les banlieues... et ailleurs, Armand Colin 1992) ; – qu’il n'y a pas, en dépit des programmes, de référentiel véritablement commun aux enseignants de français, a fortiori aux enseignés. C'est en fin de compte, le système des examens certificatoires qui met téléologiquement de l’ordre en annulant le disparate des pratiques, exigeant ici des savoir- faire très complexes à l'élaboration desquels l'enseignement aura peu con- tribué (ex : la dissertation), demandant là des connaissances à l'utilité con- testable (ex. d’exercices de connaissance du lexique), aplatissant l’exigible sur des compétences de bas niveau (ex. : savoir orthographier), (Baudelot et Establet : Le niveau monte, Seuil Paris 1989). Un bel exemple actuel serait donné par les sujets de concours d’entrée à l’IUFM... ... Ces jugements divers convergent. Le plus net, pour la thèse qui nous inté- resse, est sans doute celui que font C. Baudelot et R. Establet : si les pratiques d’enseignement sont si hétéroclites et inefficaces, alors le diagnostic d’incon- sistance configurationnelle peut avoir quelque pertinence. Nous disions (4) pour notre part, en 1992, que la matière français dans son état contemporain se caractérisait par une certaine incohérence configurationnelle 25 (3) Mesurable notamment, désormais, dans les premiers cycles universitaires et imputables au défaut de maîtrise langagière. (4) La didactique du français, Que-Sais-Je ?, PUF, Paris, 1992, première édition. et nous déplorions qu’y étaient à l’œuvre deux logiques différentes, l’une issue de la configuration ancienne, celle qui a prévalu de la création du Système édu- catif moderne aux années 70, l’autre issue de la rénovation du français entreprise depuis ces années. Près de dix années plus tard, la seconde logique, ni ne s’est imposée, ni n’a évincé l’ancienne : elle l’a seulement pervertie. Pour prendre un exemple indicatif des ambiguïtés générées par la collision de ces deux logiques, apparemment très mince, les termes toujours en usage d'« ex- pression écrite » et d'« expression orale » (5), conjuguent, inconciliablement au- jourd’hui, ce sens primitif, de « belle expression » que donnait jadis uploads/Philosophie/ reconf-fle 1 .pdf
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- Publié le Fev 02, 2021
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