Le Bodhicaryāvatāra : Méthodes d’enseignement et Vue d’ensemble Par Alak Zenkar

Le Bodhicaryāvatāra : Méthodes d’enseignement et Vue d’ensemble Par Alak Zenkar Rinpoché Le Bodhicaryāvatāra au Tibet oriental (Kham) Dans le Kham, au Tibet oriental, les disciples des quatre écoles, Śākya, Guéloug, Kagyu et Nyingma, étudiaient tous le Bodhicaryāvatāra, ce texte classique du grand bodhisattva Śāntideva où sont rassemblés et expliqués les enseignements relatifs au chemin du bodhisattva. En fait, au Kham en particulier, ce texte était si populaire et si largement enseigné qu’on dit qu’il y était aussi répandu que les pierres et la terre elles-mêmes. Ceci était spécialement vrai à l’époque de Dza Patrul Rinpoché. Si l’on prend l’exemple de l’école Śākya, que ce soit dans le centre d’enseignement le plus important du Kham, l’incomparable Dzongsar shédra, ou à Önpo Gar, lieu de résidence d’Önpo Khyenrab ou ailleurs, l’enseignement du Bodhicaryāvatāra y était extrêmement populaire. Ces maîtres Śākya s’appuyaient spécialement sur le Commentaire interlinéaire de Khenpo Shenga auquel ils ajoutaient les enseignements oraux spécifiques de Dza Patrul Rinpoché. Dans les grands monastères Kagyu comme Palpoung, on suivait aussi la tradition de Patrul Rinpoché. En ce qui concerne les monastères Guélougpa, l’un de leurs principaux centres au Kham était Dza Shershul Gön. On y enseignait toutes les traditions authentiques des sūtra et mantras et, parmi les quatre grands manuels de débat (yigcha), on utilisait celui de Séra Jé. Là aussi, c’est la tradition de Patrul Rinpoché que l’on suivait lorsqu’on enseignait le Bodhicaryāvatāra. À Minyak, un érudit très respecté, Minyak Khenpo Künzang Sönam, avait écrit un grand commentaire du Bodhicaryāvatāra. (À Dergué, on l’appelle le « commentaire Houng » mais la seule raison semble en être que lorsqu’on a gravé les blocs de bois pour l’imprimer, on y a inscrit un Houng. Il ne semble pas y avoir d’autre raison !) Dans ce commentaire, les huit premiers chapitres suivent exactement l’approche de Dza Patrul Rinpoché alors que le neuvième suit l’approche Guélougpa. Künzang Sönam étant en relation avec ce monastère de Dza Shershul, Patrul Rinpoché lui indiqua qu’il devait écrire cette partie en suivant sa propre tradition et, spécifiquement, qu’il devait suivre le commentaire de Gyaltsab Darma Rinchen (connu sous le titre de Dar Tik). C’est pourquoi ce chapitre est un peu différent de ce que l’on trouve dans les commentaires Nyingma. Il suit une approche plus purement Sarma alors que les autres chapitres suivent tous strictement la tradition 1 d’enseignement propre à Patrul Rinpoché. Enseigner le Bodhicaryāvatāra selon cette tradition était la règle à travers tout le Kham. Prenons par exemple le cas d’Öntö Khyenrab, le plus important khenpo à Dzongsar après le grand Khenpo Shenga. Dans la plupart des shédras, on enseigne les treize grands textes l’un après l’autre, d’une année sur l’autre, mais Öntö Khyenrab enseignait le Bodhicaryāvatāra tout le temps, été comme hiver, et dès qu’il en avait terminé, dans la même session, il revenait en arrière et reprenait depuis le début. On dit qu’en fait il a enseigné le Bodhicaryāvatāra toute sa vie. La tradition à Minyak était d’enseigner le Bodhicaryāvatāra en suivant le commentaire de Khenpo Künpal. On utilisait aussi parfois le commentaire de Gyalsé Tokmé Zangpo, commode parce que ni trop élaboré, ni trop bref. La tradition de Patrul Rinpoché La tradition de Patrul Rinpoché comprend, bien sûr, un commentaire exhaustif du texte, comme dans le commentaire de Khenpo Künpal. Mais ce n’est pas une simple explication des mots du texte ; la caractéristique principale de son approche est qu’elle enseigne ce texte à la manière d’une instruction essentielle, en le reliant à l’expérience. Selon cette approche, le sens entier du texte, du début à la fin, se trouve condensé dans la fameuse prière en quatre lignes : Ô sublime et précieuse bodhicitta, Puisse-t-elle naître chez ceux qui ne l’ont pas fait naître, Là où elle est née, puisse-t-elle ne jamais décliner, Mais continuer à s’accroître toujours davantage ! Le texte entier peut être résumé intégralement et sans erreur dans ces quatre lignes. Il concerne ainsi fondamentalement la bodhicitta : faire que la bodhicitta (à la fois relative et absolue) s’élève là où elle ne s’est pas encore élevée, l’empêcher de décliner là où elle s’est élevée et faire en sorte qu’elle continue à croître encore et encore. Puis vient la dédicace des mérites qui ont été accumulés. Les dix chapitres du Bodhicaryāvatāra peuvent être ainsi groupés en quatre sections. Trois chapitres pour faire que la bodhicitta, relative et absolue, s’élève là où elle ne s’est pas encore élevée. Vient en premier le chapitre sur les bienfaits de la bodhicitta, destiné à nous inspirer. En second, le chapitre sur la confession des actions négatives, qui sont un obstacle à l’émergence de la bodhicitta. En troisième lieu, vient le chapitre sur comment pleinement se saisir de la bodhicitta, ou comment la faire sienne. Trois chapitres pour empêcher la bodhicitta de décliner là où elle s’est élevée. On y trouve le chapitre sur l’application consciencieuse, qui est le 2 soin méticuleux que l’on met à accomplir des actions positives et à éviter les actes négatifs. Puis vient le chapitre sur la vigilance, le fait de veiller continuellement sur l’état de notre esprit. Vient enfin le chapitre sur la patience. Trois chapitres pour faire croître la bodhicitta encore et encore : sur la diligence, la concentration méditative et la sagesse du discernement. Finalement, vient le chapitre sur la dédicace, le fait de dédier au bien des autres les bienfaits de faire croître la bodhicitta de cette façon. Cette façon de grouper les dix chapitres en ces quatre points est l’essence même de la tradition de Patrul Rinpoché. La bodhicitta est extrêmement importante. Il n’y a aucune chance de pouvoir atteindre l’état de bouddha si l’on ne dispose pas des moyens de la grande compassion. Ainsi, l’aspect spécial et unique du Mahāyāna est l’esprit de la bodhicitta, qui est l’union de l’amour et de la compassion. La bodhicitta est généralement définie de la façon suivante : Pour le bien des autres, le désir ardent d'atteindre l’Éveil complet. C’est la bodhicitta, avec ses deux aspects. Pour le premier aspect, l’attention se focalise sur tous les êtres vivants et l’attitude est celle de la compassion, qui est le désir qu’ils soient libérés de la souffrance, et de l’amour, qui est le désir qu’ils obtiennent le bonheur. Pour le deuxième aspect, l’attention se focalise sur l’Éveil complet. Ceci peut être clarifié de la façon suivante. L’attention se focalise sur tous les êtres vivants, mais une fois qu’ils sont devenus l’objet de notre attention, que fait-on ? On se concentre sur eux et on se dit : « Je vais tout faire pour que vous soyez libérés de la souffrance et de ses causes, pour que vous obteniez le bonheur et ses causes et pour que, tous, vous atteigniez le précieux stade de l’Éveil. » C’est la bodhicitta complète en ses deux aspects : celui de se focaliser sur tous les êtres avec altruisme et celui de se focaliser sur l’Éveil parfait avec sagesse. Ceci est la définition générale de la bodhicitta, particulièrement de la bodhicitta relative. C’est ce que l’on cultive lorsque l’on médite sur le fait de considérer autrui comme égal à soi-même, de s’échanger avec autrui, de considérer autrui comme plus important que soi-même. Le point crucial, ici, est que tous les êtres animés tournent continuellement dans le saṃsāra depuis des temps sans commencement à cause de notre amour pour nous-même. C’est pourquoi, lorsque nous faisons s’élever la bodhicitta, nous devons complètement renverser notre façon habituelle de penser et le moyen de faire se produire un changement aussi radical est de transformer progressivement notre amour de nous-même en une attitude d’amour d’autrui. C’est 3 la ligne de force de la bodhicitta. Dans le but d’éradiquer notre amour de nous-même, il nous faut aussi donner naissance à la sagesse du non-ego. Cette sagesse est très importante. On parle habituellement, bien sûr, de l’importance de la sagesse qui réalise la vacuité. Il faut, en premier lieu, étudier, réfléchir et méditer sur l’absence de soi et arriver à un certain degré de certitude à ce sujet. On présente alors cette certitude à l’esprit de façon répétée afin que s’élève la sagesse qui réalise l’absence de soi. Ce faisant, notre mode habituel de pensée, basé sur la vue du soi et sur la notion puissante d’un « soi » et d’un « autre », va progressivement s’affaiblir. En même temps, à mesure que cette vue égocentrique perd de sa force, nous nous rendons compte de plus en plus que si nous voulons vraiment atteindre l’Éveil, nous ne pouvons le faire sans le support de tous les êtres animés. Nous en arrivons ainsi à la réalisation authentique et naturelle de l’importance extraordinaire qu’il convient d’accorder à tous les êtres. Tout à fait naturellement, nous commençons à nous soucier des autres, exactement de la même manière que nous prenons habituellement soin de nous-même. Quand cela se produit, dès que nous voyons les autres souffrir, qu’ils soient la proie de souffrances flagrantes ou en train de rassembler les causes de futures souffrances, nous sentons s’élever uploads/Philosophie/le-bodhicaryavatara-methodes-d-x27-enseignement-et-vue-d-x27-ensembl.pdf

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