Fernand Renoirte La théorie physique. Introduction à l'étude d'Einstein In: Rev
Fernand Renoirte La théorie physique. Introduction à l'étude d'Einstein In: Revue néo-scolastique de philosophie. 25° année, N°100, 1923. pp. 349-375. Citer ce document / Cite this document : Renoirte Fernand. La théorie physique. Introduction à l'étude d'Einstein. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 25° année, N°100, 1923. pp. 349-375. doi : 10.3406/phlou.1923.2353 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-555X_1923_num_25_100_2353 xvî LA THÉORIE PHYSIQUE INTRODUCTION A L'ÉTUDE D'EINSTEIN Avant de porter un jugement sur les théories d'Einstein, il convient de se demander de que] point de vue ce jugement devrait être formulé. On colporte sous le nom d'Einstein des énoncés qui heurtent le sens commun et la saine philo sophie : tout le scandale ne vient-il pas de l'imprudence avec laquelle on a donné aux propositions d'une théorie physique un sens qu'elles ne peuvent comporter ? Qu'est-ce donc qu'une théorie physique? Nous ne recher cherons pas aujourd'hui ce qu'elle fut au sens des anciens, ni ce qu'elle pourrait être dans l'esprit de la tradition thomiste l). Il se fait que la physique moderne s'est con- 1) « Les sciences positives, dit le P. Garrkïou-Lagrange, ne peuvent jamais que classer des faits généraux par des hypothèses provisoires (hypothèses repré sentatives et non explicatives) .. » (Le sens commun, la philosophie de l'être, p. 70). De son côté, M. J. Maritain écrit : « Ne pourrait-on pas accorder l'interpré tation mathématique des phénomènes à une conception du monde conforme aux principes d'une saine philosophie de la nature ?... Besogne presque surhumaine et qui, au surplus, n'intéresse point les savants... Ce qu'on appelle de nos jours la science obéit plus à la loi de l'art qu'à celle de la science elle-même, et cherche moins la conformité au réel et la cohérence logique, qu'une fabrication de con cepts ou de formules offrant le meilleur rendement en découvertes de faits nou veaux et en applications pratiques » (Théonas, p. 101). Le P. Rousselot considère aussi que < les sciences, telles que maintenant oit 1 350 F. Renoirte stituée selon une méthode très spéciale dont les physiciens contemporains prétendent avoir pris plus clairement con science : essayons de saisir le sens très limité, mais parfaite ment défini, qu'il faut, d'après eux, donner aux énoncés de la science physique. Nous ne nous proposons pas, dans cette courte introduct ion, de faire un exposé même rapide des diverses théories de la valeur de la physique ; nous ne voulons pas davan tage justifier un système. Mais, sans prendre parti et sans même vouloir critiquer ou approuver certaines idées, nous voudrions montrer où aboutit logiquement la tendance qui inspire le mouvement de la physique moderne, telle que la récente critique des sciences la conçoit. Nous croyons qu'en marquant fortement le point de départ très épuré que l'on accepte et le but très limité que l'on veut atteindre, nous aiderons nos lecteurs à constater que plusieurs critiques faites aux systèmes physiques actuels tombent à fauxt que bien des prétentions sont illusoires, que beaucoup d'oppositions viennent de quiproquos, que la limitation du domaine de la physique n'implique aucun agnosticisme et que les généralisations paradoxales ne sont- pas imputables à la théorie physique. * * * Les mathématiques pures sont entièrement composées d'affirmations construites sur le modèle suivant : Si telle proposition est vraie d'une chose quelconque, telle autre les entend», devraient être dites, selon le vocabulaire de saint Thomas, «des arts», tandis que seule la synthèse philosophique répond au sens ancien du mot < science» (L'intellectualisme de saint Thomas, p. 153). M. le Professeur Nys marque très nettement la différence entre les sciences et la philosophie : « Reconnaître à l'intelligence humaine Je pouvoir d'atteindre non seulement la réalité du sensible, mais les réalités plus profondes, substant ielles et accidentelles, c'est du même coup distinguer les sciences de la cosmo* logie et attribuer à celle-ci un objet qui est, en fait, inaccessible aux autres ». (Cosmologie, 1916, pp. 51-52). La théorie physique 351 proposition est vraie de cette même chose. Il est inutile de chercher à savoir si la première proposition est vraie et de spécifier la nature particulière de la chose dont il s'agit. On peut donc définir les mathématiques pures : une étude où l'on ignore de quoi on parle et où on ne sait pas si ce qu'on dit est vrai ] ) . La mathématique pure est un ensemble d'implications formelles. La physique théorique moderne ne mérite certes pas une définition aussi tranchante ; mais, peut-on dire cependant qu'un physicien sait toujours ce que sont les choses dont il parle ? Celui qui demanderait à un physicien : qu'est-ce que l'électricité ? qu'est-ce que la chaleur ? qu'est-ce que la lumière ? se verrait certainement éconduire. Et pourtant la physique est^ l'étude de l'électricité, de la chaleur, de la lumière. Les physiciens savent sans doute, dans certains cas, de quoi ils parlent, mais alors c'est qu'ils l'ont défini. Leurs définitions sont pourtant d'un genre assez particulier. Définir en physique c'est énoncer, montrer le procédé que l'on emploie pour mesurer. « Quand on dit que la force est la cause du mouvement, on fait de la métaphysique, et cette définition, si on devait s'en contenter, serait absolument stérile. Pour qu'une défi nition, puisse servir à quelque chose, il faut qu'elle nous apprenne à mesurer la force ; cela suffit d'ailleurs, il n'est nullement nécessaire qu'elle nous apprenne ce que c'est que la force en soi, ni si elle est la cause ou l'effet du mouve ment »2). « Ce qui importe, ce n'est pas de savoir ce que c'est que la force, c'est de savoir la mesurer »3). « La mesure est pour moi [le physicien] le seul moyen 1) Eddington, Espace, temps, gravitation. Paris, Hermann, p. 18. — Russell, Recent Work on the principles of mathematics. The International Monthly. Vol. IV, n° 1, p 84. 2) Poincarê, La Science et l'hypothèse. Paris, Flammarion, p. 120. 3) Poincaré, ibid., p. 129, 352 F. Èenoirte de trouver les lois de la nature » 1). « Une expérience se traduit par un tableau de nombres » 2). « La science d'aujourd'hui est une science qui mesure et qui prédit » 3). «... Ces données doivent être complétées par une défini tion du temps qui permette de considérer. . . les valeurs du temps comme des grandeurs soumises en principe à l'obser vation (résultats de mesure) » 4). « ... Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on définisse la masse d'un corps en décrivant la façon dont on fait une pesée (une double pesée, si l'on veut), au moyen d'une balance : si l'on équilibre avec des grammes, on dira que la masse est exprimée en grammes, ou encore qu'on a pris le gramme pour unité de masse : c'est la même chose. Quant au gramme, il ne me gênerait nullement que les élèves pensassent aux petits cylindres de cuivre que l'on sait » 5). Les propriétés sont définies par les procédés de mesure. Cette proposition conduirait à demander ce que sont les propriétés que l'on va mesurer, quel rapport elles ont avec notre connaissance sensible Voyons plutôt comment on justifie l'affirmation. Les éléments de connaissance qui ser viront à constituer notre physique doivent être, dit-on, communicables, précis, objectifs, c'est-à-dire indépendants de l'état de l'observateur. Pour mettre d'accord un fiévreux qui grelotte et son voisin qui s'éponge, il faut leur montrer un thermomètre. Mais si, ayant des sensations différentes, ils conviennent sans discussion aucune que la température de la chambre est évidemment celle qu'indique le thermo mètre, c'est que la connaissance qu'ils prétendent avoir du « chaud » ou du « froid » extérieur, ou mieux de la températ ure, n'est pas fondée sur les sensations mais sur la définition 1) Eddington, Espace, temps, gravitation. Paris, Hermann, p. 3. 2) Bouasse, De la méthode dans les sciences Paris, Alcan, p. 152. 3) Painlevé, De la méthode dans les sciences. Paris, Alcan, p. 73. 4) Einstein, La théorie de la relativité. Paris, Gauthier-Villars, p. 9. 5) Tannery, Science et philosophie. Paris, Alcan, p. 323. La théorie physique 353 admise par tous deux : la température est ce qui est mesuré par ce petit instrument. Il paraît bien évident qu'il n'est nullement nécessaire d'avoir perçu des sensations qualitatives de couleur pour faire ou pour comprendre la physique de la lumière. Il n'est pas davantage nécessaire de savoir ce que c'est que la lumière. Mesurer l'angle de réfraction d'un rayon lumineux est une opération totalement indépendante de nos sensa tions de couleur et de la nature de leur objet. Il convient, en effet, de ne pas s'arrêter aux mots : les noms que l'on donne aux attributs étudiés en physique ont un rapport évident et immédiat avec des hypothèses sur la nature de ces attributs. L'expression « longueur d'onde d'une lumière » a un sens obvie dans la théorie de l'ondulation et elle ne répondrait à rien dans la théorie de l'émission. Mais elle correspondra toujours à un procédé opératoire par lequel on trouve un nombre-mesure. Quoi qu'on imagine sur la nature de la matière, le procédé fera trouver le même uploads/Philosophie/ renoirte-fernand-la-theorie-physique-introduction-a-l-x27-etude-d-x27-einstein.pdf
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- Publié le Jan 12, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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