Déjà parus dans la même collection : CHANSON Philippe, La blessure du nom. Une
Déjà parus dans la même collection : CHANSON Philippe, La blessure du nom. Une anthropologie d'une séquelle de l'esclavage aux Antilles-Guyane LAZARO Christophe, La liberté logicielle. Une ethnographie des prati ques d'échange et de coopération au sein de la communauté Debian À paraitre dans la même collection: VUILLEMENOT Anne-Marie, La yourte et la mesure du monde. Avec les nomades au Kazakhstan Jean-Pierre Olivier de Sardan LA RIGUEUR OU QUALITATIF Le§ contraintes empiriques de I' interprétation socio-anthropologique ANTHROPOLOGIE PROSPECTIVE • N° 3 ACADEMIA 11111IB BRUYlANT I INTRODUCTION. , , . ADEQUATION EMPIRIQUE, THEORIE, ANTHROPOLOGIE I IL'approximative rigueur de l'anthropologie A. L'approximative rigueur ... Cette expression n'est paradoxale qu'en apparence, et il y a moins là une contradiction qu'une conjonction 1 Le propos de cet • ouvrage est en effet tout entier consacré à décliner diverses formes ou conditions du constat suivant: un texte anthropologique ou sociologique se doit d'être rigoureux, car sinon nous renonce rions à toute prétention scientifique, et se situe pourtant dans un registre de l'approximation, car la véridicité de nos assertions ne peut se prétendre vérité et releve plutôt de la plausibilité. On peut simultanément affirmer que c'est une propriété de la rigueur sou haitable de notre discipline que d'être inéluctablement approxima tive, et que les approximations que produit notre travail de recherche tirent leur sens d'une exigence de rigueur «malgré tout ». Cette fatalité de l'approximation, dont on examinera ici quel ques propriétés, rend le texte anthropologique d'autant plus vul z o nérable aux biais interprétatifs et aux dérives idéologiques. Mais t U ::) i1 n'est pas question pour autant de se résigner à ces biais et ces o o a: t 1. Une premiere ébauche de ce chapitre a été publiée dans Espace-Temps, Z 2004, 84-86, pp. 38-50. dérives, et d'abandonner la quête de rigueur, aussi inaccessible soit-elle en derniere instance. On s'attachera donc aussi à décliner diverses figures de celle-ci. Pour parodier la formule de Gramsci, nous devons en l'occurrence conjuguer le pessimisme de l'ap proximation inéluctable et l'optimisme de la quête de rigueur. Il n'est en effet pas de science, même sociale, sans quête de rigueur. Dans le cas d'une science sociale empirique, la rigueur se situe à deux niveaux. D'une part, elle doit bien sur être une rigueur logique (on ne peut dire une chose et son contraire), argumentative (il s'agit de convaincre), et théorique (les énoncés prennent place dans un débat érudit). Mais, d'autre part, il s'agit en outre d'une rigueur empirique, qui porte sur le rapport entre les virtuosités interprétatives et leur ancrage empirique, entre les théories pro duites et leur «réel de référence », c'est-à-dire le petit «morceau» d'espace social et de temps social dont le chercheur veut rendre compte et qu'il se donne pour tâche de comprendre. Cette exigence d'une combinaison de rigueur logique et de rigueur empirique se retrouve dans toutes les sciences sociaks fondées surJ'enquête 2 • Certes, on ne peut souscrire à la vision positiviste classique d'une réalité essentielle extérieure aux individus et qui surplombe rait les sujets connaissants. Certes, la phénoménologie, en parti culier, a abondamment souligné que toute connaissance du monde peut, ou doit, être rabattue sur une connaissance par un sujet, et qu'il n'est en derniere analyse d'autre réalité tangible que celles de la conscience ou de l'expérience. Mais le projet de compréhension du monde propre aux sciences sociales ne peut se contenter d'un tel constato Même si le monde (ou ses «morceaux») est au sens propre in-connaissable, en derniere instance opaque ou incertain, et philosophiquement inaccessible comme réalité externe, les LI.. sciences sociales reposent sur un pari: «malgré tout », le monde ~ t -' peut être l'objet d'une certaine connaissance raisonnée, partagée « :;) et communicable. Autrement dit, les chercheurs supposent tous o :;) Q a: 2. Howard Becker avait décrit à sa maniere cette combinaison: «Créer :;) une théorie ou une explication scientifique d'un phénomene donné fait UJ :;) peser deux types de contraintes sur l'élaboration de l'histoire qu'on racon ~ a: tera. Tout d'abord cette histoire doit être cohérente [ ...l. La seconde contrainte « est que notre histoire doit être conforme aux faits que nous avons décou -' verts.» (Becker, 2002, p. 48). pratiquement, même si aucun ne peut le prouver théoriquement, qu'une réalité sociale de référence, extérieure à notre conscience et à notre expérience individuelle, existe bel et bien. Les sciences sociales se fondent donc sur ce qu'on a appelé parfois «l'hypo these réaliste »3, selon laquelle la réalité des autres (du moins celle que le chercheur a prise com me objet d'investigation, et que nous appelons ici le réel de référence) doit être considérée comme exis tant per se, non réductible à la subjectivité de celui qui en parle, et pouvant être l'objet d'intelligibilités partageables, soumises à des débats scientifiques, qui portent entre autres sur l'adéquation empi rique des énoncés, c'est-à-dire sur l'adéquation entre le réel de réfé rence pris comme objet etles interprétations et théorisations qu'en propose le chercheur. L'hypothese réaliste, qui postule l'existence d'un réel de réfé rence relativement et partiellement connaissable par l'enquête, ne doit pas être confondue avec l'illusion réaliste, qui croit en un acces direct et objectif à ce réel de référence, et oublie que ce dernier est une construction sociale. L'illusion réaliste est l'expression de la posture positiviste classique 4• Même si cette illusion a sévi long temps et sévit parfois encore, on peut quand même penser que la posture constructionniste, prenant comme postulat «la construc tion sociale de la réalité» 5, tant par les acteurs que par les cher 3. Cf le débat entre Duby et Lardreau, 1980. 4. George Murdock en est un emblématique représentant: «The data of cultural and sociallife are as susceptible to exact scientific treatment as are the facts of the physical and biological science» (Murdock, 1949, p. 183). Rares sont ceux qui défendraient aujourd'hui une telle affirmation. 5. Titre de l'ouvrage célebre de Berger et Luckmann, 1986..Le terme de «constructionnisme» (ou parfois «constructivisme») a été, il est vrai, employé dans des sens trop emphatiques ou systématiques, com me s'il s'agissait d'un véritable programme de recherche, alors qu'il ne définit qu'une posture de rupture avec le naturalisme et le positivisme. Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, qui font un constat similaire (Passeron/Revel, dir., 2005, p. 40), évo quent une série de courants théoriques qui ont convergé vers cette rupture: z o « Le positivisme à l'ancienne, avec ce qu'il retient de réalisme à l'antique, s'est t effacé des pratiques scientifiques, sinon toujours des idéologies savantes, au U profit d'une représentation profondément différente [ ...l. Cette révolution :;) Q épistémologique souterraine a d'ailleurs changé plusieurs fois d'appellation, o a: selon ses argumentaires: conventionnalisme, nominalisme, pragmatisme, arbi t Z traire axiomatique» (id., p. 15). Pour Alex Mucchielli, le constructivisme est peu hétéroclite de données commentées et interprétées, nous sommes bien dans de l'à-peu-pres. Mais cet à-peu-pres n'a rien (ne devrait rien avoir) d'un n'importe quoi 8. Nous tenterons donc d'analyser certaÍnes des différences fondamentales qui, en anthro pologie, séparent I'à-peu-pres du n'importe quoL B. ... de l'anthropologie L'anthropologie n'est cependant pas une science sociale vrai ment dístincte des autres, et, en particulier, bien malin celui qui pourrait tracer une frontiere claire entre anthropologie et socio logie. Plus généralement, l'anthropologie partage le régime épis témologique commun à toutes les scíences sociales. Elle est traversée par les mêmes paradigmes. Elle subit les mêmes modes et se confronte aux mêmes idéologies. On y voit à l'reuvre les mêmes rhétoriques, les mêmes effets d'écriture. Et pourtant il y a une certaine « marque» propre au travail anthropologique, un certain «style~~, un certain «parfum »9. Pas grand-chose, certes, et on a toujours tendance àsurestimer ce petit quelque chose qui signale «malgré tout» l'anthropologue. Mais c'est assez pour qu'on ne puisse proclamer purement et simplement l'abolition défínitive de toute distinction entre ces disciplines cousines germaines que sont l'histoire, la socíologie et l'anthro pologie. Nous tenterons dans cet ouvrage d'appréhender simultané ment l'arrimage fondamental de l'anthropologie dans les sciences socíales, ou même dans ce qu'on pourrait appeler la science sociale, et cette singularité discrete qui lui colle à la peau. Nous nous refuserons la facilité d'en rendre compte par l'éventuel exotisme ~ de ses objets. LL ~ -' ::> '" 8. «We do not have perfeet theoretical and epistemological foundations, o ::> we do not have perfeet or transparent modes of representations. We work in Cl a:: the knowledge of our limited resourees. But we do not have to abandon the ::> w attempt to produee the disciplined aeeounts of the wodd that are eoherent, ::> ~ methodical and sensible» (Atkinson, 1992, p. 51). a:: 9. Lendud (1993, p. 8) évoque ainsi, à la suite de Mare Bloeh et de ses « effluves émotives des eoneepts historiques », 1'« odeur» des mots en seienees -' '" humaines, qui est «eelle de leur eontenu intuitif». 1 I Cette introduction développera plus particulierement cinq themes, dont on trouvera les échos dans les chapitres ultérieurs 10: I le rapport entre anthropologie et sciences sociales ; l'épistémologie t anthropologique uploads/Philosophie/ sardan-rigueur-du-qualitatif-pdf.pdf
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- Publié le Sep 14, 2021
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