Les origines du νόος « De là vient que νόος et νοῦς ne signifient pas originell

Les origines du νόος « De là vient que νόος et νοῦς ne signifient pas originellement ce qui se dessinera plus tard comme la Raison. Νόος signifie le Sentiment, qui se sent porté à quelque chose et le prend à cœur. C’est pourquoi νοεῖν signifie aussi ce que nous entendons par « flairer » et « flair ». Il est vrai que nous employons ce mot plutôt pour les animaux, les bêtes sauvages »17. « [...] νοεῖν semble correspondre à quelque chose comme, par exemple, l’action du chevreuil qui se met à flairer et qui « décèle » quelque chose, au sens où nous dirions : « il y a là quelque chose ». Telle est la façon dont les animaux repèrent le danger, non certes en reconnaissant ce que c’est, mais en sentant qu’il y a là quelque chose de menaçant. Il s’agit ici d’une perception très sensible, si bien qu’elle demeure individuelle et complètement cachée aux autres êtres ».18 « Je tiens à le répéter : νοεῖν signifie : on sent qu’il y a là quelque chose. C’est comme le flair de la présence du gibier, ce vers quoi nous oriente peut-être aussi l’étymologie du terme ».19 La genèse du couple νόος-νοεῖν demeure encore aujourd’hui plutôt obscure. Depuis l’étude séminale de Leo Mayer, parue en 18561, nombreuses ont été les tentatives d’en établir l’origine et le développement. Pourtant, malgré nombre de suggestions, parfois extrêmement intéressantes, aucune des solutions proposées n’a su faire l’unanimité2. Preuve en est l’entrée “νόος” du Dictionnaire de Pierre Chantraine3, où l’on peut lire : « nom d’action à vocalisme 0, mais sans étymologie ; voir des hypothèses chez Frisk »4. Chantraine fait là référence au Wörterbuch de Hjalmar Frisk, où l’on trouve en effet un large éventail d'hypothèses, aucune d’entre elles ne faisant pour autant autorité5. Et – pour s’en tenir pour le moment à la seule lecture de dictionnaires étymologiques – l’on peut également évoquer le très récent Etymological Dictionary of Greek par Robert Beekes et Lucien van Beek, qui n’ajoute rien à la question : « No doubt an old inherited verbal noun (cf. λόγος, φόρος, etc.), though there is no certain etymology »6. Malgré une telle obscurité7, il est néanmoins possible d’identifier deux hypothèses principales qui ont le mérite d’avoir contribué à éclaircir la question de l’origine du couple νόος-νοεῖν d’une manière soit sémantique soit étymologique. Cependant, à l’heure actuelle, il manque toujours une hypothèse unitaire qui fonctionnerait correctement dans les deux cas. Les deux hypothèses en question partagent néanmoins une idée centrale : celle d’un lien étroit entre l’activité du νόος et le registre de la vision. Dans les pages qui suivent, après avoir présenté les grandes lignes de ces deux hypothèses, nous essayerons de les rapprocher sur le plan sémantique en proposant une nouvelle conjecture : le νόος comme schéma d’action. Nous procéderons de la manière suivante. Dans un premier temps, nous essayerons de dégager notre position par une confrontation avec trois conceptions du νόος particulièrement stimulantes, à savoir celles de Károli Kerényi8, Bruno Snell9 et James H. Lesher10. Cela nous permettra de préciser les éléments généraux de la notion de “schéma d’action” Nous nous tournerons dans un deuxième temps vers les sciences cognitives en discutant notamment la notion d'action- oriented representation” développée par Andy Clark11 et la position fort originale de Rossana Stefanelli12. Cette étape devrait nous permettre de montrer dans quelle mesure les avancées récentes dans ce domaine peuvent contribuer à confirmer notre conjecture. La première et plus ancienne des deux hypothèses sur l'origine du νόος doit sa popularité aux recherches menées par Kurt von Fritz dans les années 194013. L’auteur commence d’abord par identifier deux pistes étymologiques principales : l’une qui mène au νέυειν (« acquiescer », « faire signe avec la tête »), geste typique de Zeus, par lequel celui-ci « accomplit sa volonté » ; l’autre, suivie déjà par Eduard Schwyzer14, qui conduit à la racine *snu (« flairer”) et suppose pour νόος une forme originelle σνόϝος, et, pour νοεῖν, σνέϝεν15. Après avoir étudié les deux alternatives, von Fritz penche finalement pour la deuxième, en appuyant son choix notamment sur les arguments suivants : 1) Dans la mesure où le couple νόος-νοεῖν a assurément le sens de « réaliser une intention » ou « comprendre une situation » (dangereuse avant tout), cela semble renvoyer tout naturellement au sens primitif de « flairer ». Par la suite, ces deux termes auraient acquis d’abord un sens proche de « percevoir intuitivement », pour signifier plus tard tout ce qui relève du « voir ». Et c’est bien ce dernier sens qui finalement serait devenu prépondérant, au point de remplacer le sens originel. 2) Nόος ne signifie jamais, même dans les cas où il correspond à l’aoriste du verbe νοεῖν, une décision momentanée mais implique toujours une sorte de vision à long terme16. Selon cette première hypothèse, l’on peut donc rapporter aussi bien νόος que νοεῖν à un usage qui était, en premier lieu, de type technique, issu sans doute de la langue des chasseurs. Un tel propos a été soutenu non seulement par von Fritz, mais également par Heidegger et Gadamer. En effet, dans Qu’appelle-t-on penser ?, Heidegger remarque : Il n’en va pas autrement pour Gadamer, avec toutefois des nuances différentes: Nous nommerons cette première hypothèse “hypothèse *snu”. Elle tire sa force d’analyses issues du champ sémantique des termes en question, mais qui montre cependant des faiblesses sur le plan strictement étymologique. La deuxième hypothèse part du rapport entre νόος et νέομαι. Elle est brillamment illustrée par les travaux de Douglas Frame20, qui prolongent à leur tour les recherches de Peter Frei21 et Hugo Mühlestein22. À « The meaning “return to life” suggests more than mere vision. Perhaps “consciousness” would be the closest equivalent, inasmuch as one “returns” to consciousness, or consciousness “returns” to one. Consciousness is also closely related to vision, but is at the same time broader and more internal than vision alone. The term includes the other senses as well, and it suggests the mental quality inherent in nóos ».24 Le νόος, un organe-fonction à la fois cognitif et émotionnel-opérationnel « […] le verbe n’est lui-même pas trop éloigné des verbes désignant la simple vision. […] Le sens fondamental de νοεῖν est « connaître » dans le sens de « saisir, avoir l’intuition, épier, percevoir » – étymologiquement peut-être : « flairer » ».28 À travers l'analyse du terme ἄσμενος (« sauvé par la mort », « revenu de la mort »), attesté chez Homère, Frame montre que la racine indo-européenne *nes peut être ramenée non seulement au sens « revenir à la vie et à la lumière », mais aussi à « être heureux » (valeurs liées ensemble par le fait que, souvent, la lumière, φῶς, apporte métaphoriquement le sens du bonheur). L’auteur en conclut que le sens du νόος doit ainsi être lié à la lumière et à la vision, et non seulement à la vision oculaire, mais aussi à celle déjà plus élevée issue du « retour » à la conscience au sens physique du terme23. Le νόος exprime ainsi un certain type de « vision », différente de celle de l’œil – une vision qui peut être autant voilée que regagnée : Nous appellerons cette deuxième hypothèse “hypothèse *nes”. Elle tire sa force d’une plus grande cohérence étymologique que l'“hypothèse *snu”, et c’est notamment pour cette raison qu’elle a connu un franc succès à la fin du siècle dernier. Elle demeure néanmoins une simple hypothèse parmi d’autres, notamment en raison des difficultés qu’elle présente d’un point de vue sémantique25. Bien que très éloignées sur le plan linguistique, l’hypothèse *snu et l’hypothèse *nes, ne nous semblent pas, pour autant, aussi irréconciliables au niveau sémantique. Il nous semble pouvoir, en effet, formuler une conjecture à même de les rapprocher de manière avantageuse, bien qu’il nous ne soit pas possible pour l’instant d’établir avec certitude si une telle superposition26 a effectivement eu lieu sur le plan historique. Remarquons tout de suite que l’hypothèse *nes nous semble très convaincante. Et pourvu qu’on la libère du résidu « intellectualiste » qui veut que le νόος soit « une qualité mentale » et qu’on lui donne une dimension plus « vitaliste »27, elle nous apparaît tout à fait appropriée pour exprimer le sens originel de νόος d’un point de vue sémantique. Une telle dés-intellectualisation de l’hypothèse *nes aurait, en outre, l’avantage de ne pas faire appel à un quelconque « sens figuré » pour justifier l'équivalence entre « retour à la vie » et « bonheur ». Le νόος serait ainsi « une vision de la lumière arrachée aux ténèbres et à la mort qui me fait sentir vivant avec conscience » quoique pas « rationnellement conscient » ; quelque chose comme un sentiment d’être « conscient d'une manière vitale », c’est-à- dire « prêt et réactif ». Cette réactivité fait ainsi écho au flairer quasi animal de l'hypothèse *snu. La position que nous allons essayer de défendre est donc que le verbe νοεῖν uploads/Philosophie/ l-x27-origine-des-termes-noos-noin-fabio-stella-article.pdf

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