L'Existentialisme est un humanisme Jean-Paul Sartre Par là je pense, contrairem

L'Existentialisme est un humanisme Jean-Paul Sartre Par là je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la philosophie de Kant, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense et qui ne veut que pour ou contre moi. Ainsi, découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l'intersubjectivité et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres. En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les personnes d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu des autres et d'y être mortel. (...) En conséquence, tout projet, quelque individuel qu'il soit a une valeur universelle. Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. 1 Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l'existence. [...] L'existentialisme athée, que je représente, [...] déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine (1). Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme. [...] Nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur; rien n'existe préalablement à ce projet; rien n'est au ciel intelligible (2), et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être. (1) Réalité-humaine : traduit l'allemand Dasein (littéralement «être-là»), qui désigne le mode d'existence de l'homme, en tant que ce qu'il est reste en projet. (2) Au ciel intelligible : dans le ciel des Idées, où résident, selon Platon, les essences de toutes choses. 2 prise de notes Sartre « L’existentialisme est un humanisme » (1946) 10 L’existentialisme est une doctrine qui rend la vie humaine possible et qui déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine. L’existentialisme est assimilé, à tort, à laideur, naturalisme et tristesse alors que cette doctrine laisse une possibilité de choix à l’homme, au contraire de ce pessimisme ambiant: il ne faut pas lutter contre la force, entreprendre au- dessus de sa condition, toute action hors des traditions étant un romantisme voué à l’échec. Contrairement à cette mode qui lui a ôté tout sens, l’existentialisme est austère et destiné aux philosophes. Existentialistes chrétiens et athées et estiment que l’existence précède l’essence, ou qu’il faut partir de la subjectivité (contrairement aux outils inscrits dans une vision technique du monde où la production précède l’existence). Muni du concept de Dieu créateur, l’homme réalise un certain concept qui est dans l’entendement humain, comme pour les outils. Au XVIIIè siècle, malgré l’athéisme des philosophes (Diderot, Voltaire, Kant), l’homme reste possesseur d’une nature humaine, concept universel de l’homme. 21 L’existentialisme athée est plus cohérent : sans Dieu, un être existe chez qui l’existence précède l’essence : l’homme, la réalité humaine existent avant de pouvoir être définis par aucun concept. L’homme surgit dans le monde puis se définit après. L’homme n’est pas définissable puisqu’il n’est d’abord rien : il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Il est tel qu’il se conçoit et tel qu’il se veut, après cet élan vers l’existence; cette subjectivité qui est le premier principe de l’existentialisme apporte à l’homme une plus grande dignité : l’homme existe d’abord; il est d’abord ce qui se jette vers un avenir et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir; l’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement. L’existence précédant l’essence, l’homme est responsable de son existence et de tous les hommes. ce subjectivisme n’est pas le choix du 3 sujet individuel par lui-même mais notre impossibilité de dépasser la subjectivité humaine, ce qui est le sens profond de l’existentialisme. En se choisissant, chaque homme choisit tous les hommes : chaque acte, en créant l’homme que nous voulons être, crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être. Choisir, c’est affirmer la valeur de son choix, car ce que nous choisissons est toujours le bien, et rien en peut être bon pour nous sans l’être pour tous. L’existence précédant l’essence, et voulant exister en même temps que nous façonnons notre image, cette image a une valeur universelle : notre responsabilité engage donc l’humanité entière. En me choisissant, je choisis l’homme. 27 L’homme est donc angoisse car il ne saurait échapper au sentiment de s totale et profonde responsabilité, à moins de mentir, et donc d’attribuer une valeur universelle au mensonge. L’angoisse masquée est ce que Kierkegaard nommait l’angoisse d’Abraham : rien ne me désigne pour être Abraham et pourtant je suis obligé à chaque instant de faire des actes exemplaires. Car, qui prouve que je suis bien désigné pour imposer ma conception de l’homme et mon choix à l’humanité ? Je ne trouverai jamais aucune preuve pour m’en convaincre; et si je considère que tel acte est bon, c’est moi qui choisirai de dire que cet acte est bon, plutôt que mauvais. Tout se passe comme si, pour tout homme, toute l’humanité avait les yeux fixés sur ses actes et se réglait sur eux. Et chacun doit se demander s’il est bien celui qui a le droit d’agir de telle sorte que l’humanité se règle sur ses actes. L’angoisse ne conduit pas à l’inaction, elle est la condition même de notre action; car cela suppose d’envisager une pluralité de possibilités, et en en choisissant une, elle n’a de valeur que parce qu’elle a été choisie. 33 La non-existence de Dieu oblige à en tirer les conséquences jusqu’au bout, à l’opposé d’une morale laïque qui, ayant supprimé Dieu, en conserva les valeurs comme inscrites a priori (le radicalisme) : rien ne sera changé si Dieu n’existe pas. Or, avec Dieu disparaît toute possibilité de trouver des valeurs dans un ciel intelligible, puisque nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes. Tout est permis si Dieu n’existe pas, l’homme est délaissé, ne trouvant ni en lui ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Si l’existence précède l’essence, on ne pourra jamais expliquer par rapport à une nature humaine donnée et uploads/Philosophie/ sartre-extrait-humanisme.pdf

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