L'HÉNOLOGIE COMME DÉPASSEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE Author(s): Reiner Schürmann So

L'HÉNOLOGIE COMME DÉPASSEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE Author(s): Reiner Schürmann Source: Les Études philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE GRECQUE (JUILLET-SEPTEMBRE 1982), pp. 331-350 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/20847919 Accessed: 29-03-2019 01:25 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques This content downloaded from 132.204.9.239 on Fri, 29 Mar 2019 01:25:17 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L'HENOLOGIE COMME DfiPASSEMENT DE LA METAPHYSIQUE Quand des metaphysiciens parlent d'un etre supreme, ils l'appellent ? le Bien ?,? le Beau ?,? le Vrai? ou ? PUn ?. Chacun de ces titres resulte d'une experience theoretique specifique. C'est elle qui donne lieu a Finteret cognitif sous Tangle duquel on considere cet 6tre. II apparait comme le Bien pour autant que le d?sir de possession irrevocable trouve en lui son repos1; comme le Beau, dans la mesure ou il ordonne toutes choses en un cosmos, en un ordre que la raison peut maitriser2; comme le Vrai, puisqu'il est connu par le retour de Pesprit sur lui-meme3. Au depart de ces trois points de vue se trouve chaque fois un interet deter mine : appropriation, domination ou reflexion. Mais par quel interet, par quel temperament intellectuel, des metaphysiciens ont-ils pu appeler Petre supreme ? l'Un ? ? Je voudrais montrer que le hen neo-platonicien, du moins selon quelques textes decisifs de Plotin, ne doit pas d'abord se comprendre comme un predicat de ? Petre supreme ?, ni d'ailleurs d'aucun etant. Si la metaphysique est la doctrine de la nature des choses et de leur fondement dernier, alors un discours sur PUn, une henologie, aura d6passe la metaphysique. L'Un ne sera pas le noumene le plus eleve. II faudra decouvrir sa ? nature ? plutot dans sa maniere de fonctionner au sein des phenomenes. II sera ? premier ? seulement comme facteur d'ordre parmi les ?tants et leurs constellations. Sa fonction ne consistera a procurer un fondement ni aux choses, ni a la connaissance que nous en avons. Les Etudes philosophiques, n? 3/1982 1. Cf. Platon, L,a Republique 358 a, 571 a, 580 b. 2. Cf. Platon, Phittbe 64 e. 3. Cf. saint Augustin, Confessions, livre VII, chap. 10, 16. This content downloaded from 132.204.9.239 on Fri, 29 Mar 2019 01:25:17 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 332 Reiner Schurmann Henologie negative on theologie negative ? L'Un n'est pas quelque chose, n'est pas un etant. Les premieres lignes du traite de Plotin De VXJn Pindiquent clairement : ? C'est par l'Un que tous les etants sont des etants ?4. Pourquoi ne peut-on pas dire de PUn qu'il est quelque chose, un etant ? ? L'Un est premier a tous egards, mais l'Intelligence, les idees et Vetant ne sont pas premiers ?5. Le caractere derive de Petant resulte de sa qualite principale, Fintelli gibilite. Tout ce qui est, ou existe, peut etre compris. Mais l'Un echappe a notre comprehension. II n'est done pas un etant. Inversement, Petant est secondaire puisqu'il est du meme rang que l'Intelligence (nous) et les idees. En soutenant ainsi Fincognoscibilite et le non-etre6 de l'Un, les neo-platoniciens retournent Platon contre lui-meme. En accord avec Platon, Plotin maintient qu'etre, c'est etre intelligible. Mais a Pencontre de Platon, il decouvre que, quand nous parlons de ce qui est intelligible, nous parlons toujours de choses multiples, ne serait-ce que de la dualite connaissant/connu. Or, rien de ce qui implique Palterite ? ni, a plus forte raison, le multiple ? ne peut ?tre premier. L'inteiligence et Petant sont des derives parce que intrinsequement multiples. Voila pourquoi, dans Punivers plotinien, aucun etant ne peut pretendre au rang supreme. Si c'est ? par l'Un ? que tous les etants sont des etants, il ne figurera pas parmi eux. L'etre est bien un singulare tantum, chez Plotin; mais comme on le verra, c'est l'Intelligence, la deuxi&ne hypostase, qui est l'etre des etants (plus precisement, leur ? etance ?). L'expression ? etre supreme ? est done un non-sens et Pexpression ? etant supreme ? ? parfaitement adequate pour les metaphysiciens du Bien, du Beau et du Vrai ? est ici une contradiction dans les termes. Seule une lecture precipitee verra dans les declarations d'incognosci bilite et de non-etre un discours negatif sur un Premier divin, une theo logie negative. Telle est pourtant Popinion regue concernant les neo platoniciens : puisque l'Un transcende l'Intelligence et les etants, il est ? au-dessus ? d'eux. Sa simplicite le rend inconnaissable pour nous, mais supreme en soi. De la distinction entre l'Un et Petant intelligible resultent certaines equations conceptuelles dont les preuves ne manquent pas dans le corpus neo-platonicien, chretien et non chretien : etre un, c'est etre inconcevablement actuel, spirituel, permanent, puissant, efficient, eternel. L'henologie serait une metaphysique de la transcendance radi cale, mais l'Un resterait bel et bien quelque chose. II serait seulement hors de portee d'intellection : etre au-dela de l'etre, esprit au-dela de 4. Plotin, Les Bnneades VI, 9 [9], 1,1. Le numero entre crochets renvoie a rarrangement chronologique des oeuvres de Plotin. Je ne suis pas toujours la traduction de Breliier. 5. Ibid., 2, 30 (soulign? par moi). 6. Ibid., 3, 39. This content downloaded from 132.204.9.239 on Fri, 29 Mar 2019 01:25:17 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Uhenologie, depassement de la metaphysique 333 l'esprit, cause au-dela des causes. Malgre son apophatisme, pareille metaphysique ? emanationiste ? reste solidement onto-theologique, un discours sur I'etre ? en tant que tel? qui cherche sa legitimation dans un etant. Celui-ci serait inaccessible, mais neanmoins un fondement : supreme, divin. Or, Plotin, par la distinction entre l'Un et I'etre, dejoue la collusion entre ce qui est premier et ce qui fonctionne comme fondement. II recouvre par la un trait de I'etre, perdu sous la predominance de l'onto theologie depuis Platon. Le participe francais ? etant?, comme le parti cipe grec on, recele une ambiguite. Un participe est la forme grammaticale qui? participe ? a la fois du nom et du verbe. On, ou plus anciennement eon, est ainsi un concept essentiellement equivoque. De cette equivocite Heidegger ecrit : ? On dit " etant " au sens de : etre un etant; mais en meme temps, on dit un etant qui est. Dans la dualite de la signification verbale de on se cache la difference entre " etre " et " l'etant " ?7. Chez Plotin, Yon de la deuxieme hypostase a une signification nominale. De la son caractere derive. II est Vetant par excellence, l'etant fondateur (ce qui le rend intelligible), mais pour cela meme, il ne sera pas premier. Heidegger pense que, depuis Platon, l'identification entre Yon nominal et l'etant supreme a obscurci la connotation verbale du participe on. La distinction entre l'Un et I'etre chez Plotin interdit de reduire la condition premiere de toutes choses a la forme nominale de I'etre ? a Yousia, comme il dit encore8. Sans doute, pour lui, Yon, c'est Dieu, theos9. Mais Fonto-theologie de Plotin est son avant-dernier mot. La recherche du fondement n'est pas son dernier mot. Cette recherche ne constitue pas l'henologie, le discours sur l'Un. L'onto-theologie differe de l'henologie comme la seconde hypostase, nous, de la premiere, hen. Plotin a vu que tout discours qui vise a ancrer les phenomenes dans un fondement inconditionne tombe dans un mauvais cercle. Chercher la raison des etants dans un autre etant, c'est tourner en rond parmi le representable. II a vu, autrement dit, la difference entre une cause enti tative et representable, et une condition non entitative et non representable. A l'encontre des metaphysiques platonicienne et aristotelicienne de la forme, Plotin maintient que ce n'est pas leur forme substantielle qui fait que les etants sont des etants : ? C'est par l'Un que tous les etants sont des etants. ? II deplace ainsi la difference par laquelle Platon et Aristote isolent la substance (divine ou sensible) dans l'etant. Le nerf de toute henologie est la difference entre YUn et l'etant. Aussi, comme j. Martin Heidegger, Holz^ege, Francfort, 1950, p. 317; trad. W. Brokmeier, Cbemins qui ne mtomt nulle part, Paris, 1962, pp. 380 s. Au sujet de la dualite dans le participe, cf. M. Heidegger, Was heisst Denken?, Tubingen, 1954, pp. 133 s.; trad. A. Becker et G. Granel, Qt?appelle-t-onpenser?, Paris, 1959, pp. 202-204. 8. La substance, Yousia, est ce qui? est?le plus intensement ou authentiquement, ontds on> En., VI, 3 [44], 6,1 et 30. 9. Par exemple, En., IV, 7 [2], 8 (3), 12. This content downloaded from 132.204.9.239 on Fri, 29 Mar 2019 01:25:17 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 334 Reiner Schiirmann l'Un est non-etant, me on, vaudra-t-il mieux parler d'henologie negative10. Elle uploads/Philosophie/ schurmann-henologie-comme-depassement-de-la-metaphysique.pdf

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