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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Compte rendu par Lionel Ponton Laval théologique et philosophique, vol. 48, n° 1, 1992, p. 127-128. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/400667ar DOI: 10.7202/400667ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 16 February 2014 09:56 Ouvrage recensé : DERRIDA, Jacques, L’autre cap, suivi de La démocratie ajournée COMPTES RENDUS liberté (p. 184). Évidemment, il souligne que l'«éthique de Heidegger» doit être critiquée. Mais ici le problème se situe à un autre niveau. Il est bien connu que Heidegger n'appréciait pas que Être et temps soit interprété dans un sens éthique (il le répète à deux reprises (au moins) dans l'ouvrage même). Si l'on ne peut plus éprouver de sympathie pour Hei- degger, il faut pourtant reconnaître l'originalité et la profondeur de sa pensée. L'auteur sait que l'éthique devient une question dans la mesure où se pose un souci de l'autre. Mais ce qui prime chez Heidegger, c'est le souci de soi, et cela non parce que Heidegger ne s'y entendait pas en éthique, mais parce que ce n'était pas d'éthique dont il voulait parler. Si l'on veut faire une lecture éthique de Être et temps, il sera de toute façon difficile de concilier le projet ontologi- quement éthique de Heidegger et le projet métaphy- siquement éthique de Kant. Le mot «éthique» deviendrait radicalement équivoque. En terminant, nous soulignerons deux aspects du cheminement philosophique de l'auteur qui sont par- ticulièrement significatifs pour comprendre la ten- dance générale de l'ouvrage. L'un des grands mérites de cette introduction est de consacrer une section à la Méthodologie (de la première Critique). L'auteur en avait souligné l'importance dans son livre Kant et le problème de la philosophie : l'a priori [1989]. La thèse principale de ce livre était de considérer le Canon de la raison pure comme conclusion de l'œuvre maîtresse de Kant. Cette remarque permet de mieux comprendre les propos de l'auteur concer- nant le cheminement kantien vers une métaphysique de la liberté (ce qui, du reste, n'est pas si évident, puisque Kant n'a jamais cessé de travailler sur une «Métaphysique de la nature»). Dans son interpréta- tion, cependant, l'auteur ne cesse de creuser le fossé entre la philosophie théorique et la philosophie pra- tique en accentuant le rôle de l'éthique. Il s'agit là bien sûr d'un aspect fondamental pour la compréhen- sion de la philosophie de Kant. Pourtant, le philo- sophe de Kônigsberg parle de la détermination des conditions formelles pour un système complet de la raison pure (la comparaison des Méthodologies des trois Critiques permettrait d'accentuer le fait que Kant vise toujours la compréhension systématique de la philosophie). L'auteur n'insiste pas suffisamment sur cet aspect systématique et pour cette raison, l'in- terprétation de la troisième Critique, celle qui vise justement l'approfondissement de l'aspect systéma- tique de la philosophie, est insuffisamment valorisée. Les résultats de la troisième Critique devaient pour- tant être mis de l'avant, même au détriment de ceux de la première. Ainsi, par exemple, on aurait pu insister sur l'importance de l'intersubjectivité communicationnelle dans la constitution du réel (sphère théorique). On aurait pu aussi voir dans le sentiment esthétique un analogon de la sensibilité pour la liberté, et, par là, comprendre la possibilité de la systématique philosophique au sens de Kant dans le nouvel horizon de l'analogie. Si l'auteur n'insiste pas sur l'importance du sys- tème chez Kant, préférant considérer l'originalité de la philosophie kantienne dans le dévoilement de l'his- toricité de la situation humaine, cela peut mieux se comprendre par celui qui lira aussi Einfuhrung in die philosophische Hermeneutik [ 1991 ], du même auteur, dont l'une des thèses principales est de présenter l'herméneutique philosophique comme prima philo- sophia. L'oubli de l'aspect systématique (et critique) de la philosophie kantienne a ses conséquences pour expliquer la structure de la dernière partie, Après Kant. Le lecteur cherchera en vain des remarques concernant Peirce, Russell ou Wittgenstein, ou quelque représentant de la philosophie anglo-saxonne que ce soit. La raison en est que l'«épistémologie» (regroupant, semble-t-il, l'ensemble de ces philo- sophes) ne serait qu'une philosophie de second plan. Pourtant, l'interprétation des textes de Kant et la compréhension de la science en général restent ouvertes. Les progrès de la logique et de la science ne sont pas achevés, et ces progrès ne sont pas sans rapport avec la façon actuelle de comprendre les problèmes éthiques. Lorsque Kant a établi son sys- tème des catégories (dans la première Critique, c'est- à-dire dans une perspective théorique), il savait que ces catégories concernaient l'ensemble de la pensée et devaient être à l'œuvre même dans la constitution de la philosophie morale. Il faudrait certainement approfondir le rapport entre théorie et pratique chez Kant, c'est-à-dire insister sur l'aspect systématique de sa philosophie. La pragmatique contemporaine (dont l'originalité a ses bases théoriques dans l'ana- lyse de Speech Acts) pourra peut-être permettre de mieux comprendre ce rapport. François MOTTARD Jacques DERRIDA, L'autre cap suivi de La démo- cratie ajournée. Paris, Les Éditions de minuit, 1991, 124 pages. Cet opuscule reprend en la complétant une conférence que Jacques Derrida a prononcée à Turin, le 20 mai 1990, lors d'un colloque sur «L'identité culturelle de l'Europe» et qu'il a publiée par la suite dans Liber, 127 COMPTES RENDUS la Revue européenne des livres, que diffuse le journal le Monde. Le titre est pleinement justifié. L'Europe n'est- elle pas une avancée, le cap de l'Asie, et la réunifi- cation de l'Europe ne pose-t-elle pas le problème d'une capitale, d'un capital (la culture) et d'un telos ou d'un cap, puisqu'il importe de déterminer sur quoi la réunification de l'Europe doit faire cap? Et en plus du cap que nous décidons, n'y a-t-il pas le cap de l'autre, «devant lequel nous devons répondre, que nous devons et dont nous devons nous rappeler!» Le mot de capital est emprunté à Paul Valéry qui, dans son essai intitulé La liberté de l'Esprit, l'em- ploie précisément pour désigner la culture euro- péenne: «une civilisation est un capital dont l'accroissement doit se poursuivre pendant des siècles comme celui de certains capitaux, et qui absorbe en lui ses intérêts composés» {Regards sur le monde actuel, p. 266). Selon Jacques Derrida, la situation qui prévalait en 1939 et qui amenait Paul Valéry à parler de l'imminence d'un péril pour la culture européenne se présente de nouveau aujour- d'hui: «C'est aujourd'hui le même sentiment d'im- minence, d'espoir et de menace, l'angoisse devant la possibilité d'autres guerres aux formes inconnues, le retour à de vieilles formes de fanatisme religieux, de nationalisme ou de racisme». Jacques Derrida soutient que l'identité de l'Eu- rope ne passe pas inconditionnellement par le biais de «l'homogénéité d'un médium, de normes de dis- cussion, de modèles discursifs». Il dénonce le dis- cours qui, sous prétexte de transparence, d'univocité de la discussion démocratique, de communication dans l'espace public, d'«agir communicationnel», tend «à imposer un modèle de langage prétendument favorable à cette communication». Un tel discours ne peut que négliger ce qui complique ce modèle et même réprimer ce qui questionne «cette idée du langage». Avec la même fermeté, Jacques Derrida nous invite à «résister avec vigilance à l'exploitation néo-capitaliste de l'effondrement d'une dogmatique anti-capitaliste dans les États qui l'ont incorporée». Il faut avoir «le courage et la lucidité d'une nouvelle critique des nouveaux effets du capital (dans des structures techno-sociales inédites)». Il récuse aussi l'hypothèse d'un programme qu'il suffirait d'appliquer de façon mécanique. Cette façon de procéder équivaudrait à abdiquer toute forme de responsabilité et à occulter la perspective éthique. Il insiste à bon droit sur la dimension humaine du problème de l'Europe. L'identité culturelle se pré- sente toujours, soutient-il, «comme l'irremplaçable inscription d'un universel dans le singulier». Qu'elle prenne « une forme nationale ou non, raffinée, hos- pitalière ou agressivement xénophobe, l'auto affir- mation d'une identité prétend toujours répondre à l'appel ou à l'assignation de l'universel». Le devoir de rappeler ce qu'a été l'Europe se double donc du devoir d'ouvrir l'Europe «sur ce qui n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais l'Europe». Le même devoir dicte «d'accueillir l'étranger», de reconnaître «que la démocratie reste à penser et à venir», de respecter «la différence, l'idiome, la minorité, la singularité en même temps que le droit formel, le désir de traduction, l'accord et l'univocité, la loi de la majorité, l'opposition au racisme, au nationalisme, à la xénophobie». Nous sommes ainsi introduits à l'éthique authentique, celle du «même et double devoir», à la responsabilité d'agir et de penser «conformément à un impératif qui paraît contradic- toire». La solution de ce dilemme uploads/Philosophie/ sobre-l-x27-autre-cap-suivi-de-la-democratie-ajournee.pdf

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