Le congrès international en Haïti 87 LE CONGRÈS INTERNATIONAL EN HAÏTI Cornéliu
Le congrès international en Haïti 87 LE CONGRÈS INTERNATIONAL EN HAÏTI Cornélius Krusé 1 Moun - Revue de philosophie 7 (2008) 87-101 Il est difficile d’exagérer la signification du Congrès International de Philosophie qui s’est tenu à Port-au-Prince, Haïti, du 24 au 30 septembre 1944. Nos lecteurs savent que, pendant un certain nombre d’années, l’As- sociation Philosophique Américaine a essayé de réunir le premier Congrès Inter-Américain de Philosophie dans ce pays et y aurait réussi n’était-ce [l’attaque de] Pearl Harbor et la brusque interfé- rence avec tous ses plans qui en résulta, rendant nécessaire l’ajour- nement indéfini du Congrès. On se rappellera également que, profi- tant de la présence dans ce pays d’un nombre considérable de sa- vants latino-américains, dont plusieurs avaient un intérêt marqué pour la philosophie, la première Conférence interaméricaine de Philosophie s’est tenue à Yale University, sous la présidence du professeur Charles W. Hendel, du 30 avril au 1er mai 1943. Toute- fois, l’honneur d’avoir réussi à convoquer le premier Congrès de philosophie interaméricain, revient maintenant à la Société Haï- tienne d’Études Scientifiques qui, sous la direction remarquable- ment compétente et audacieuse du Dr. Camille Lhérisson, a refusé de se laisser intimider par les difficultés presqu’insurmontables que présente la réunion d’un tel congrès en temps de guerre. Na- turellement, il n’y avait pas autant d’invités étrangers qu’on avait 1 Compte-rendu du congrès publié en 1945 par le Dr. Cornélius Krusé de la Wesleyan University (Middle Town, Conn.), dans le Journal of Philosophy, 42/2 (18 janvier, 1945), pp. 29-39. Il considère surtout l’apport des participants nord-américains, mais présente un résumé de la communication de J. Maritain. Nous mettons entre crochets la pagination du texte anglais. Le Dr. Catts Pressoir en a publié une traduction françai- se dans les Cahiers d’Haïti, 2/12 (juillet 1945), pp. 28-33. La présente traduction a été faite par Marlène R. Apollon. Nous signalons en note les modifications apportées vo- lontairement ou non par Catts Pressoir au texte de Krusé. Cornélius Krusé 88 espéré et qu’il y en aurait eu en temps normal, mais on réussit néanmoins à avoir une excellente représentation, comme dans le cas de l’Association Philosophique Américaine, par les mémoires envoyés au congrès et lus par procuration. L’auteur a eu le privilège d’assister aux quatre derniers Congrès internationaux de Philosophie à Harvard, Oxford, Prague et Paris. Tous s’écoulèrent dans un cadre brillant, mais nul n’était plus brillant que ce congrès tenu à Port-au-Prince. Pendant la guerre, des réunions philosophiques de toutes sortes, soit internationales ou nationales, ont été restreintes, sinon omises entièrement. À ma connaissance, c’était le premier congrès international tenu dans le monde civilisé depuis le congrès Descartes à Paris en 1937. La détermination et la profonde dévotion aux choses intellectuelles et spirituelles manifestées par les organisateurs du congrès et ceux qui les aidaient sont très encourageantes. Pendant toute la semaine, les comptes-rendus faisaient la une dans tous les principaux [30] journaux de Port-au-Prince. La participation de notre Association à ce congrès était devenue la grande préoccupation de la Division de Coopération Culturelle de notre Département d’État. Sans le stimulus et l’aide de cette Division, il n’y aurait pas eu une repré- sentation effective de l’Association à ce congrès. À Port-au-Prince même, notre ambassadeur, l’honorable Orme Wilson, et notre At- taché aux Relations Culturelles, M. Horace D. Ashton, avaient consacré beaucoup de temps et d’attention à la préparation du con- grès et conséquemment ont donné leur précieuse assistance durant son déroulement. Le mérite d’avoir soutenu ce congrès revient en grande partie, non seulement à notre Département d’État, à ses représentants sur place et au gouvernement d’Haïti, mais égale- ment aux membres de notre Association qui, en une période d’in- tense activité, ont tout mis de côté pour faire de ce congrès un suc- cès. Un simple examen des titres et des noms des auteurs des mémoires qui suivent montrera à quel point les participants améri- cains avaient pris le congrès au sérieux. W. T. Stace : Le problème des croyances irraisonnées. John Wild : Le réalisme naturel et l’épistémologie contemporaine en Amérique du Nord. Cornelius Krusé : La connaissance et la valeur. William Seifriz : La connaissance et la compréhension. Paul Weiss : Notre connaissance du bien et du mal. Le congrès international en Haïti 89 Wm. Pepperell Montague : Le premier mystère de la conscience. A. Cornelius Benjamin : Quelques principes de l’Empirisme. On remarquera que tous les mémoires ont traité des problèmes de la connaissance. C’est parce que, sur demande des organisateurs, tout le Congrès était consacré à ce sujet. Une journée entière a été réservée pour la réception des mémoires nord-américains, qui ont été lus par l’auteur et par le Dr. Lhérisson. La lecture était retransmise par ondes courtes aux États-Unis et le Dr. Lhérisson en avisa chaque participant nord-américain par câble. Dans son mémoire, le professeur Stace a soulevé le problème des sources et de la validité des croyances « irraisonnées » (y compris les prétendues « croyances instinctives », les « croyances de sens commun », les « intuitions » morales et scientifiques et les « pres- sentiments » en affaires) – qui constituent une part si étendue et si importante des croyances humaines dans la vie quotidienne, aussi bien que dans la philosophie et la science – , et dont l’acceptation sans discernement occasionne souvent des conséquences désas- treuses en théorie comme en pratique. Le professeur Stace a décla- ré que le but principal de son mémoire était double: protester con- tre les philosophes qui proclament comme évidentes en soi, des croyances dont, jusqu’ici, ils n’ont pas pu expliquer le fondement; [31] et suggérer des solutions possibles qui, espère-t-il, inciteraient des philosophes à considérer sérieusement ce problème, jusqu’ici négligé. La solution qu’il propose c’est que les croyances irraison- nées sont le résultat d’associations d’idées et de raisonnements non explicites agissant sur l’expérience humaine, individuellement et socialement. Ces raisonnements non explicites peuvent devenir explicites et doivent être vérifiés suivant les canons ordinaires de raisonnement logique, si on doit s’y fier. Les « intuitions », a-t-il conclu, « ne sont pas ordinairement aussi fiables que le croient ceux qui les ont ». Dans son mémoire sur « Notre connaissance du bien et du mal », le professeur Weiss s’est engagé à étudier la nature et les sources de l’autorité des idéaux ou normes de morale auxquels tacitement ou explicitement nous faisons appel dans nos jugements moraux. Il a soutenu que sans la reconnaissance de normes universellement valides, la morale ne serait pas possible et l’homme ne pourrait pas non plus agir d’une manière morale ; il ne pourrait que réagir. Il a Cornélius Krusé 90 successivement examiné puis rejeté, l’affirmation selon laquelle les normes morales ont leur origine dans la religion ou dans la société dans laquelle on nait. Le bien est bien parce qu’il est bien, pas parce que Dieu ou la société le déclare tel. Les nihilistes de la morale ou bien rétablissent secrètement un dogmatisme qui se réfute lui-même ou bien sont réduits, par leur propre logique, « à poser des questions et à éviter les réponses ». Entre la position des conventionnalistes selon laquelle la bonté ou la malice d’un acte dépend simplement d’un cadre de référence sociale donné, et le refus de la part des absolutistes d’admettre que le temps et le lieu affectent les jugements moraux, le professeur Weiss a pris une voie moyenne, en soutenant que certains actes sont mauvais en tout lieu et en tout temps : ainsi, on ne peut jamais approuver le meurtre délibéré et gratuit d’un ami. Il est vrai que les hommes s’entendent mieux et plus clairement sur ce qui ne devrait pas être fait que sur ce qu’ils devraient faire. Ils n’ont pas de connaissance innée de l’idéal qu’ils invoquent mais ils savent dans quelle direction le chercher. Cet idéal, désigné avant d’être connu, n’est rien de moins que la perfection ; car savoir que les choses sont imparfaites implique nécessairement une référence à un idéal de perfection. Dans son mémoire, le professeur Benjamin s’est appliqué à clari- fier le terme « empirisme » lequel est généralement reconnu comme ayant bien besoin d’une définition dans la philosophie d’autrefois comme dans celle d’aujourd’hui. L’empirisme est par- fois défini comme la théorie épistémologique selon laquelle toute connaissance dérive de l’expérience et s’y rapporte. Cette défini- tion soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout car les expres- sions « dérivé de », « se rapporter à », et, surtout le terme « expé- rience » sont pleines d’ambiguïté. Le terme « empirisme » est sou- vent employé dans un sens si large qu’en fin de compte tout le monde finit par être un empiriste. En plus des données actuelles des sens, le domaine de « l’expérience », doit inclure aussi [32] les objets physiques, les « faits » passés et futurs, Dieu, soi-même, les sociétés, les Gestalten [schèmes] spatiaux et temporels, les va- leurs, et même les « faits négatifs » (Russell) 2. Alors, ou il faut 2 Catts Pressoir traduit ainsi ce passage : « Le uploads/Philosophie/ sur-congres-international-de-haiti-2.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1139MB