Revue théologique de Louvain Lytta Basset, Le pardon originel. De l'abîme du ma
Revue théologique de Louvain Lytta Basset, Le pardon originel. De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner. 2e éd. (coll. Lieux théologiques, 24), 1995 André Wénin Citer ce document / Cite this document : Wénin André. Lytta Basset, Le pardon originel. De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner. 2e éd. (coll. Lieux théologiques, 24), 1995. In: Revue théologique de Louvain, 28ᵉ année, fasc. 1, 1997. pp. 98-102; https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1997_num_28_1_2870_t1_0098_0000_1 Fichier pdf généré le 29/03/2018 Comptes rendus Lytta Basset, Le pardon originel. De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner. 2e éd. (coll. Lieux théologiques, 24), Genève, Labor et Fides, 1995. 500 p. 22,5 x 15. 180 Frf. Isbn 2-8309-0720-5. L'étude de L. Basset, publiée une première fois en 1994, a rapidement fait l'objet une seconde édition. C'est sans doute un signe de l'intérêt qu'elle a suscité. Mme B. s'affronte en effet, et de manière très originale, à la question du mal, terrain difficile s'il en est tant pour le philosophe que pour le théologien. En réalité, il s'agit d'une thèse de doctorat. Mais l'auteur, pasteur à Genève, a voulu que sa réflexion, sans rien céder quant à la rigueur, reste accessible aux non-initiés. Et le pari semble tenu. Car même si le livre n'a rien de facile - comment le serait-il sur un sujet aussi ardu? - et s'il suppose par conséquent une lecture soutenue, il reste parfaitement abordable pour quiconque est prêt à se mesurer à la question du mal en soi-même et pas seulement au plan théorique. Une autre manière de poser la question et de parler du mal Le mal est l'écueil contre lequel vient buter tôt ou tard toute recherche du Sens de la vie humaine. Toujours, l'expérience du mal radical vient rappeler à la raison qu'il y a de l'impensable, de l'indicible, quelque chose qu'elle ne peut saisir car cela confine à la folie, au non-sens. Le mal signe donc en quelque sorte l'échec de la raison raisonnante, lui imposant de reconnaître une limite à sa tentative de dire le Sens. Tout au plus peut-on chercher un sens. Mais vouloir le faire en tentant de penser le mal à partir de la faute - en particulier du péché originel - se révèle une impasse car la faute s'enracine dans le terreau obscur d'un mal indicible qui est de l'ordre du malheur, du mal subi sur lequel nul n'a prise. C'est de ce mal-là qu'il faut partir, avec son caractère abyssal, pour tenter de démêler l'écheveau du malheur et de la faute dans lequel tout humain se trouve pris dès son accès à la vie consciente. Aussi, penser le mal revient à voir ce que l'on peut en faire. Mais quel langage convient à une telle entreprise? Dans la mesure où le mal est en même temps ce qui est le plus universel et objectif dans sa présence visible et le plus subjectif et singulier dans son vécu concret, le langage conceptuel se révèle inadéquat parce qu'il noie l'expérience individuelle dans sa prétention à l'universel. En recourant à l'abstraction, ce langage ne peut rendre compte d'un mal qui, chez un sujet, est sans doute ce qu'il y a de moins objectivable. Le langage du témoignage en revanche donne la parole au sujet souffrant et à sa manière de percevoir le mal. En même temps, il se tient à la frontière de l'expérience et de la pensée puisque celui qui témoigne de son expérience cherche à rendre celle-ci accessible à COMPTES RENDUS 99 autrui de manière à se faire comprendre. De cette façon, le témoignage offre un chemin de réflexion à celui à qui il est adressé tout en le renvoyant à sa propre expérience et à celle d'autres humains, ce en quoi il s'ouvre à l'universel. Du reste, le témoignage porte en lui la trace de l'échec de la raison face au mal, car il met la pensée au défi: celui de rendre compte d'une vérité qu'elle n'a pas définie elle-même mais qui fait partie du réel puisque quelqu'un en parle. Ainsi, B. entre en dialogue avec des textes bibliques lus comme témoignages d'êtres aux prises avec un mal qui les dépasse mais où elle voit se frayer un chemin obscur vers la paix. Recueillant dans son propre témoignage celui des auteurs bibliques, elle s'adresse au lecteur qui, lui aussi, vit une expérience où malheur et faute, mal subi et mal commis s'entrelacent de manière souvent incompréhensible. À partir de là, elle invite le lecteur à un cheminement, posant «des jalons sur le chemin qui mène de l'abîme indicible du mal subi à une contrée de liberté où le pardon est un pouvoir» (p. 42). Ces jalons sont autant de textes bibliques, du monologue de Job 3 où s'exprime l'expérience subjective d'un mal abyssal jusqu'au discours de Matthieu 18 où est affirmé le pouvoir qu'a l'homme de laisser aller le mal subi, un pouvoir qui s'enracine dans un pardon tout aussi originel que le mal. Les autres textes sont Jb 10 où B. voit dénoncées les impasses de la culpabilité, Gn 2-3 qui illustre l'échec humain dans sa tentative de se rendre maître du mal par la connaissance, et le poème du serviteur souffrant en Is 52-53 où s'ébauche une issue que Christ concrétise, mais de telle sorte que tout humain soit invité à y entrer à son tour s'il le veut. De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner Pour B., le mal est une expérience d'abord subjective: est mal pour moi ce qui me fait mal. Or, tout être humain fait l'expérience d'un mal déjà-là dans lequel il se trouve plongé dès le début de son existence et qui génère non-sens et angoisse. De ce chaos originel, chacun doit émerger pour devenir humain. Mais au départ, l'absurde du mal subi est insupportable, et la culpabilité permet d'y échapper dans la mesure où elle donne un certain sens à ce qui est vécu en l'expliquant par une faute du sujet lui-même ou des autres. En réalité, elle n'est que ré-activation d'un mal auquel elle ajoute l'inculpation de quelqu'un qui ne fait le mal que parce qu'il en a été d'abord victime. Une autre manière de chercher à en sortir est de céder au fantasme de pouvoir discerner bien et mal et de se rassurer en pensant acquérir ainsi la maîtrise sur le mal. Mais prétendre savoir ce qui est bien et mal, c'est se poser au centre comme critère de référence et se couper par là-même d'une authentique relation à l'autre. C'est l'essentiel de Gn 2-3 que de mettre en garde contre cette pseudo-connaissance qui tue la vie, annexe Dieu en l'assimilant à ses propres notions du Bien et du Mal et finit par enfermer le sujet en lui-même. Pour construire un sens à travers le mal, il n'est d'autre voie que d'assumer le mal subi, d'accueillir son moi blessé sans prétendre expliquer ou 100 COMPTES RENDUS trouver un coupable. Au fond, il s'agit de déjouer la stratégie du mal qui passe par cette propension qu'a tout être humain à tenter de se défaire de l'absurde du mal subi en l'intériorisant par la culpabilité puis en l'oubliant et en le faisant subir à d'autres de manière inconsciente, souvent même avec la volonté de bien faire puisque croyant connaître bien et mal. Prendre conscience de ce que l'on a été ainsi pris au piège du mal et que l'on s'est jeté dans ses filets dans l'effort même pour tenter de s'en sortir, c'est entrer dans un nouveau regard sur le mal où l'on découvre sa solidarité avec tout autre. Car tout humain subit le mal dans une impuissance radicale qui le pousse à le reproduire pour s'en débarrasser. Mais si l'on perce à jour en soi ce processus, alors, on devient capable de justice vis-à-vis de soi et d'autrui. Tel est le chemin du Serviteur qui refuse de re-agir le mal qu'il subit et qui voit, du cœur même de sa blessure, émerger un pouvoir: celui de faire non- violence et de trouver la guérison, une paix où entraîner les autres en leur montrant une issue possible qui leur est ouverte à eux aussi. C'est ainsi que l'on entre dans l'attitude même de Dieu qui, affecté par le mal, ne cesse d'y consentir en assumant ce dénuement de sa puissance parce que seul un tel dénuement est à même d'ouvrir à une relation où un sens peut prendre corps. Jésus réalise le modèle du serviteur d'Is 52-53, lui qui se refuse à donner dans le panneau du mal. Il préfère la voie du pardon qui laisse aller le mal en refusant à la fois de l'intérioriser et d'en attribuer la responsabilité aux mal-faisants. Même son pardon se fait léger pour ne pas peser sur eux comme une inculpation détournée: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font». Le récit lucanien de la passion montre du reste comment, dans cette solidarité sans faille avec ceux qui le tuent, Jésus invite les humains à renoncer aux impasses où le mal nourrit le mal, pour entrer dans uploads/Philosophie/ thlou-0080-2654-1997-num-28-1-2870-t1-0098-0000-1.pdf
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- Publié le Jui 06, 2021
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