> Cahiers COSTECH 1 / 35 > #Numéro 1 > Xavier Guchet Objet versus artefact. Pou
> Cahiers COSTECH 1 / 35 > #Numéro 1 > Xavier Guchet Objet versus artefact. Pour une philosophie des techniques orientée-objet > #Numéro 1 > HomTech (Sciences de l’HOMme en univers TECHnologique) > Rapports de recherche > CRED - Cognitive Research and Enactive Design (Costech-UTC) > JE, séminaire transversal Références de citation Guchet, Xavier. "Objet versus artefact. Pour une philosophie des techniques orientée-objet.", 4 avril 2017, màj 0000, Cahiers COSTECHhttp://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article8 Résumé Depuis une vingtaine d’année, d’importants développements en philosophie des techniques se sont réclamés d’un « tournant chosique » (thingly turn) ou encore d’une philosophy of technical artefacts. Ces développements dans le sens d’une réélaboration du concept d’artefact technique ont suivi pour l’essentiel deux voies : une voie dite postphénoménologique, problématisant l’artefact comme une « médiation » participant activement à la construction de la relation de l’homme et du monde ; une voie plus métaphysique, puisant ses références dans la philosophie analytique nord-américaine, et attachée à théoriser l’être des artefacts techniques. D’un côté > Cahiers COSTECH 2 / 35 > #Numéro 1 donc, la question posée est prioritairement : que fait l’artefact, ou quelle est son « agentivité » propre ? De l’autre côté, la question est plutôt : qu’est-ce qu’un artefact technique, ou quel est son être propre ? Cet article entend examiner ces deux voies de la philosophy of technical artefacts actuelle, en mettant en évidence leurs limites respectives, notamment s’il s’agit de penser des « objets » techniques contemporains (issus par exemple des bio- ou des nanotechnologies) qui ne se laissent justement pas facilement ressaisir sous le concept d’artefact. Il s’agit alors de proposer une autre voie, inspirée de la philosophie de Simondon, qui n’est pas une philosophie des « artefacts » mais une philosophie des « objets » techniques. En quoi la conception simondonienne de l’objet technique se démarque-t-elle de la philosophy of artefacts, et quel est le gain réel d’une philosophie des techniques orientée-objet en comparaison d’une philosophie des artefacts ? C’est ce que l’article entend discuter, à partir d’exemple pris dans les manipulations du vivant. Auteur(s) Xavier Guchet professeur de philosophie et d’éthique des techniques, habilité à Diriger des Recherches en philosophie (17 e section du CNU) et en Epistémologie et histoire des sciences et des techniques (72 e section du CNU). Son travail de recherche s’inscrit dans le courant international de philosophie des techniques appelé « tournant empirique » , rapprochant la philosophie des techniques et les études sociales des sciences et des techniques. > Cahiers COSTECH 3 / 35 > #Numéro 1 Introduction Dans son rapport sur la biologie synthétique rendu public en 20101, la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain (en Suisse) s’attache à préciser le statut moral des microorganismes manipulés en laboratoire. Le rapport fait état d’une pluralité de positions au sein de la Commission : la majorité des membres défend une posture biocentriste, qui confère aux microorganismes une valeur morale du seul fait qu’ils sont des êtres vivants. Il s’agit toutefois d’un biocentrisme dit « hiérarchique », au sens où la valeur morale des microorganismes est considérée comme très inférieure à celle d’organismes plus évolués, comme les mammifères (le rapport dit qu’ils ont « un poids négligeable lors d’une pesée des intérêts »). Une minorité des membres de la Commission défend une approche plutôt pathocentriste, faisant dépendre la valeur morale de la capacité des êtres vivants à percevoir un dommage qui leur est infligé. Aucun indice ne permettant de supposer l’existence de cette capacité chez les microorganismes, ceux-ci se trouvent dépourvus de toute valeur morale. La Commission est donc partagée sur le statut moral des microorganismes, toutefois les parties en présence semblent d’accord sur au moins un point : il convient de traiter l’ensemble des microorganismes manipulés et/ou artificiellement produits au laboratoire de façon homogène, selon des critères identiques qui valent pour tous les êtres considérés, indépendamment du type d’intervention technique pratiqué. Comme il est stipulé dans le texte du rapport en effet, « la façon dont les êtres vivants voient le jour, que ce soit dans le cadre d’un processus naturel ou d’une autre façon, n’a aucune influence sur leur statut moral » – une position défendue également par le philosophe Bernard Baertschi, qui soutient quant à lui que le statut moral d’un être vivant artificiel ne dépend pas de la manière dont il a été produit. Le type d’intervention technique pratiquée sur le vivant ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation de son statut moral. Cette position partagée par les membres de la Commission et Baertschi n’apparaît pas discutable. Qu’un être vivant, fût-il microscopique, doive être qualifié d’un point de vue moral indépendamment des interventions humaines sur les processus de sa genèse, voilà qui semble raisonnable. Dans le domaine humain par exemple, dira-t-on qu’un enfant issu d’une fécondation in vitro suivie d’une transplantation in utero (FIVETE) doit se voir reconnaître un statut moral différent de celui d’un enfant issu d’une fécondation classique ? Ou bien dira-t-on, pour élargir le propos, qu’un > Cahiers COSTECH 4 / 35 > #Numéro 1 veau cloné a un statut moral différent de celui d’un veau issu d’une fécondation elle aussi classique ? Qui dit « statut moral » suppose l’existence d’une obligation à l’égard des êtres en question, voire la reconnaissance de droits qui leur sont attachés. Un animal cloné, un enfant issu d’une FIVETE modifient-ils cette obligation et ces droits ? On imagine difficilement ce qui pourrait justifier cette disparité de traitement moral, ainsi que les conséquences qui en résulteraient. Un veau cloné devrait-il sortir du champ de l’éthique animale, ou à tout le moins être considéré de moindre statut moral que ses congénères – ce qui autoriserait, pourquoi pas, à le traiter de la pire manière ? Les techniques de la procréation médicalement assistée pourraient-elles porter à l’existence des enfants dont les droits seraient affaiblis ? Voudrait-on dire au contraire que les statuts moraux des êtres vivants amenés à l’existence par les biotechnologies seraient plus élevés – mais de nouveau, comment justifier une telle affirmation ? Soutenir que les tours et détours qu’a suivi le processus morphogénétique des êtres vivants n’affectent pas par principe l’évaluation de leur statut moral s’impose par conséquent comme une position de bon sens, difficilement contestable. Pourtant, cette position repose sur une confusion qu’il faut lever. Une chose en effet est de considérer le droit à la considération morale des êtres vivants indépendamment des processus par lesquels ils ont été portés à l’existence ; une autre chose est de considérer les techniques d’intervention sur ces processus comme étant en elles-mêmes moralement indifférentes. Nous pouvons accorder aux veaux clonés dans leur enclos la même considération morale qu’aux autres veaux, cela n’implique pas de facto que le clonage soit une technique moralement neutre. Le présupposé de neutralité morale des interventions techniques dans la morphogenèse des êtres vivants, fussent-ils des microorganismes que la philosophie morale a très largement négligés jusqu’à présent, ne va pas de soi. Il n’est ainsi pas évident que toutes les manipulations de microorganismes en laboratoire soulèvent indistinctement les mêmes questions de portée morale. Une comparaison entre trois projets de recherche impliquant des bactéries peut au demeurant conduire à questionner ce présupposé. - Au printemps 2010, Craig Venter et son équipe ont annoncé à grand renfort de publicité la fabrication d’un génome synthétique, inséré avec succès dans une bactérie préalablement vidée de son ADN2. Ce génome synthétique, fabriqué à la paillasse à partir d’un programme informatique (le processus de fabrication a toutefois impliqué des levures : encore du vivant donc), est en réalité la quasi-copie du chromosome de la bactérie > Cahiers COSTECH 5 / 35 > #Numéro 1 Mycoplasma mycoides, inséré dans une autre bactérie, du type Mycoplasma capricolum, privée de son chromosome. Il ne s’agit donc pas de fabrication ex nihilo d’un être vivant, puisqu’il faut au départ une bactérie bien vivante dans laquelle le génome synthétique puisse être injecté. Le plus surprenant est que ce nouvel être vivant, baptisé Mycoplasma mycoides JCVI-syn 1.0, doit ses caractéristiques phénotypiques à des processus constructifs qui ne sont pas ceux de la vie – en tout cas, qui ne sont pas ceux des processus de l’évolution naturelle. C’est ce qui a fait dire à Venter que sa bactérie au génome synthétique est le premier être vivant dont les parents sont un ordinateur, et non un autre être vivant. - Une équipe japonaise a conçu un dispositif permettant d’utiliser des bactéries pour actionner une micromachine3. Celle-ci est en réalité un micromoteur constitué d’un stator en forme de roue dentée à base de dioxyde de silicium, fixée par une sorte de rotule à un rail de silicium. Des bactéries du type Mycoplasma mobile doivent « glisser » le long du rail et ainsi pousser la roue dentée, entraînant la rotation du micromoteur. Le défi technologique majeur de cette recherche a été de modifier génétiquement les bactéries pour qu’elles adhèrent à la surface du rail, et de préparer cette surface (la coater, selon le jargon franglais des chercheurs) de telle sorte que uploads/Philosophie/ xavier-guchet-objet-versus-artefact-pour-une-philosophie-des-techniques-orientee-objet.pdf
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- Publié le Apv 14, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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