P r o b l è m e s & C o n t r o v e r s e s Renaud Barbaras Vie et intentionnal

P r o b l è m e s & C o n t r o v e r s e s Renaud Barbaras Vie et intentionnalité Recherches phénoménologiques L ’objet de ce livre est de montrer que l’intentionnalité, condition de l’apparition de l'étant, ne peut être caractérisée de manière conforme à son essence que si elle est comprise comme vie. En effet, une philosophie rigoureuse de l’intentionnalité est soum ise à une double contrainte. D ’un côté, comme l’a souligné Merleau-Ponty, le sujet de la perception ne peut être défini comme une sphère d’être absolue surplombant le monde : il est du monde et cette intramondanéité doit être comprise comme incarnation. Cependant, en mettant en avant un concept univoque de la chair, par delà la différence des étants du monde et du corps propre, Merleau-Ponty s’interdit d’accéder au sens d’être véritable de celui-ci. Or, comme l’a montré Heidegger pour sa part, le monde ne saurait être éclairé dans sa constitution par un retour à un étant du même mode d’être : le Dasein humain diffère de tous les autres étants en ce qu’il existe et c’est donc bien au plan existential que l’intentionnalité doit être ressaisie. Toutefois, il n’est pas sûr que la manière dont Heidegger thém atise l’existence permette d’y intégrer le phénomène de la chair, et donc de la vie, qui sous-tend l’inscription du Dasein dans le monde. Ainsi, alors que Merleau-Ponty pense l’intramondanéité du sujet sur un mode tel qu’une ouverture intentionnelle peut difficilement y être fondée, Heidegger caractérise l’existence de telle sorte que son intramondanéité ne peut en être déduite. C’est à Jan Patocka qu’il revient d’avoir su concilier la différence radicale du sujet intentionnel et son intramondanéité en proposant une caractérisation existentiale du corps comme mouvement vivant. Les études réunies ici visent toutes à explorer la voie, ouverte par Patocka, d’une phénoménologie de la vie, d’abord à travers une série de confrontations avec d’autres pensées de la vie (Bergson, E.Straus, Sartre, H. Jonas) puis directement, en tentant d’ex­ plorer les traits de la vie intentionnelle. Renaud Barbaras est professeur de philosophie contemporaine à l'université de Paris-l Panthéon-Sorbonne et ancien membre de l ’institut Universitaire de France. 7 8 2 7 1 1 6 1 6 4 2 8 ISBN 2-7116-1642-8 20 € BAR. PROBLÈMES ET CONTROVERSES Directeur : Jean-François C o u r t in e VIE ET INTENTIONNALITÉ Recherches phénoménologiques par Renaud BARBARAS PARIS LIBRA IR IE PH ILO SO PH IQ U E J. V RIN 6, Place de la Sorbonne, Ve 2003 BIBLIOTHEQUE SAIOTE- BARBE Il II Mil III D 335 015046 0 -------------------- En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de deux ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Ne sont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. © Librairie Philosophique J. VR1N, 2003 www.vrin.fr Imprimé in France ISSN 0249-7875 ISBN 2-7116-1642-8 VIE ET INTENTIONNALITÉ Dès lors que la perception est définie par Husserl comme intuition donatrice originaire, source de droit pour la connaissance, selon le célèbre principe des Ideen I, c’est au plan de la perception que l’intentionnalité, c’est-à-dire le mode d’ouverture de la conscience à la réalité transcendante, doit d’abord être ressaisie. La perception est caractérisée par Husserl, en son essence, comme donation par esquisses. La chose se donne dans un cours ininterrompu d’esquisses (Abschattungen) qui manifestent l’objet en personne, mais comme cela qu’elles ne présentent que partiellement et n’épuisent jamais, de sorte que, tout autant, l’objet s’absente de ce qui le présente, que l’esquisse est toujours en même temps esquive. Loin de renvoyer à la seule finitude de nos facultés, cette détermination a une signification eidétique; elle vaut pour toute conscience pensable, y compris celle de Dieu puisqu’elle définit la contrainte à laquelle la réalité transcendante comme telle se trouve soumise. L ’intentionnalité, rapport de la conscience à ce qui n’est pas elle, repose donc sur le mouvement par lequel toute esquisse se dépasse vers un objet, qui ne sort pas pour autant de l’ombre et appelle donc, indéfiniment, de nouvelles esquisses. En d’autres termes, si la perception est bien perception de la chose elle-même, c’est-à-dire en chair (Leibhaft), elle ne la délivre pas pour autant exhausti­ vement ou adéquatement : au contraire, l’inadéquation est constitutive de la donation de l’étant transcendant, en tant que celle-ci est caractérisée par un excès irréductible de la visée sur ce qui vient la remplir. Comme le dit très bien Patocka : « Que la chose apparaisse en original ne signifie pas pour autant qu’elle apparaît nécessairement en elle-même [...] comme elle- même et en elle-même, ce n’est pas la même chose » Toute la difficulté 1. Papiers Phénoménologiques, trad. E. Abrams, Grenoble, J. Millon, 1995, p. 123. Noté PP. 8 VIE ET INTENTIONNALITÉ d’une phénoménologie de la perception et, partant, d’une pensée de l’inten- tionnalité, se concentre dans cet écart entre la chose « comme elle-même » et la chose « en elle-même », entre donation chamelle et donation adéquate. On ne pourra affirmer en effet que la chose peut être là en personne alors même qu’elle est elle-même absente de ce qui la présente et n’est donc jamais possédée telle qu’elle est en elle-même, qu’au prix d’un rema­ niement en profondeur des catégories à l’aide desquelles nous abordons habituellement l’expérience. Or, Husserl ne parvient pas à penser cet écart jusqu’au bout puisque, au nom du principe de l’absence de limites de la raison objective, il en vient à poser l’identité entre l’être et la thèse ration­ nelle, qui requiert une possession adéquate1 . Il se voit alors contraint de tenter de concilier l’exigence rationnelle d’adéquation avec l’inadéquation constitutive de l’essence de la perception - ce qui n’est possible qu’en pensant précisément cette adéquation comme une exigence, c’est-à-dire en comprenant la donation d’un cours infini d’esquisses, correspondant à la donation de la chose en elle-même, comme une Idée, qui, quant à elle, se donne à nous dans l’évidence et vient donc commander le cours effectif des esquisses sensibles. Mais c’est là reconnaître la difficulté plutôt que la résoudre. Il revient à Merleau-Ponty d’avoir pris la pleine mesure de l’eidétique husserlienne de la perception et d’avoir donc tenté de tirer toutes les conséquences de cet écart entre présence en chair et donation adéquate, entre la chose comme elle-même et la chose en elle-même. Au fond, ce qui apparaissait encore à Husserl comme difficilement conciliable, en raison de son attachement à une définition rationaliste du donné, va être pleinement assumé par Merleau-Ponty, dont tout l’effort va consister à exhiber les conditions auxquelles cet écart constitutif de la perception devient pensable. En vérité, dire d’une chose qu’elle est là devant moi, qu’elle est présente en chair et en os, c’est bien reconnaître, si on ne veut pas en compromettre la transcendance, qu’elle m’excède et donc m’échappe au moment même où elle se donne elle-même : ce que Husserl nommait inadéquation est bien la garantie de sa transcendance et donc de sa différence eidétique avec la conscience. Ce n’est donc pas en dépit mais en raison de son inadéquation que la chose est présente comme elle-même, c’est-à-dire comme transcendante. Merleau-Ponty le dit clairement : « La transcendance de la chose oblige à dire qu’elle n’est plénitude qu’en étant inépuisable, c’est-à-dire en n’étant pas toute actuelle sous le regard - mais 1. «À tout objet qui existe véritablement correspond par principe l’idée d’une conscience possible dans laquelle l’objet lui-même peut être saisi de façon originaire et dès lors parfaitement adéquate », Ideen I, trad. P. Ricœur, Paris, Gallimard, 1950, p. 478. VIE ET INTENTIONN ALITÉ 9 cette actualité totale elle la promet puisqu’elle est là... »*. Mais il faut alors en tirer toutes les conséquences. Si c’est bien le maintien d’un pôle objectif pleinement déterminable qui, chez Husserl, compromet le respect des traits eidétiques du perçu, à l’inverse, on ne pourra rendre compte de la transcendance de la chose perçue qu’en renonçant précisément à en faire une chose, un ensemble clos de déterminations. La transcendance du perçu n’est pas la distance d’un objet transcendant, car cette distance serait alors l’envers d’une proximité et notre perception une intellection confuse : c’est une « transcendance pure, sans masque ontique »2. Le concept d'invisible nomme cette transcendance pure du perçu en tant qu’elle se distingue de celle de l’objet et fonde donc l’inexhaustivité de la perception. En une sorte de passage à la limite, Merleau-Ponty conclut de YAbschattungslehre que, si les esquisses reconduisent toujours à d’autres esquisses, c’est que rien n’est donné en elles, en tout cas rien d'autre qu’elles-mêmes, bref aucune entité positive au profit de uploads/Philosophie/barbaras-vie-et-intentionnalite.pdf

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