- VOL. XIII, N°51 1 BRENOT P. (2004) Rev. Europ. Sexol ; Sexologies ; (XIV), 51

- VOL. XIII, N°51 1 BRENOT P. (2004) Rev. Europ. Sexol ; Sexologies ; (XIV), 51 : p-p L a construction du petit humain se fait par les signaux qu’il reçoit du monde. À l’opposé de Platon et de la philosophie grecque qui pensait qu'aux images que nous recevons préexiste en nous un monde en réduction fait des mêmes images et permettant la reconnaissance, nous savons aujour- d'hui que ces images intérieures exis- tent mais qu'elles sont faites des impressions premières qui se sont organisées pour structurer un monde de représentations qui nous est propre, et en partie commun à notre culture, un monde de repré- sentations qui nous permet de déco- der la réalité mais aussi d'en ressen- tir la tonalité affective selon les émotions positives, négatives, qui sont attachées à ces images. La repré- sentation du sexe est un domaine particulier de la connaissance dans la mesure où Freud a bien montré que le sexe est le premier savoir, ou plu- tôt que la connaissance du sexuel est le prototype de toute connaissance par le biais des hypothèses infan- tiles, elles-mêmes à la source des fan- tasmes. Devant les énigmes qui se posent à l’enfant tout juste doté de sa conscience, une seule solution s'im- pose : utiliser son pouvoir associa- tif pour élaborer des théories. Je crois qu'il n'est pas inutile de rappeler que théorie vient du grec théorein qui signifie “observer”, “contempler”, et donc que théorie est entendue à la fois au sens du spectacle et de l'examen critique, faisant référence à des images, d'abord extérieures puis progressivement intériorisées. C'est avant tout l'activité de voir qui est concernée, la théorie étant une pensée des causes perçues au-delà des apparences ou construite par l'enfant lui-même qui devient alors théoricien actif et non plus contem- platif. Par “théorie sexuelle infantile”, on entend avec Freud les premières relations de cause à effet que l'en- fant élabore à partir de l'énigme de sa naissance. Du fait qu'elles sont sexuelles, ces théories procurent une excitation à l'enfant mais elles lui procurent aussi du plaisir, un plai- sir lié au fait de penser (je renvoie ici au “Plaisir de pensée”, développé par Sophie de Mijolla, qui montre bien combien penser devient un plaisir, car à l'origine de la pensée il y a la pensée sur le sexuel). Ces théories infantiles ne sont pas innées pour l'enfant, elles sont induites par le questionnement des images et des sensations qui lui vien- nent de ses sens et elles vont tenter de répondre aux grandes énigmes de la différence des sexes, de la nais- sance et du rapport sexuel. Ces théo- ries portent la marque du mode de pensée enfantin procédant en géné- ral d'une logique additive où une cause se superpose à une autre de façon purement analogique, sans entrer en contradiction avec l'en- semble. Ce sont les hypothèses végé- tales : un chou donne un chou, la maman un bébé. Si le bébé est déposé dans un chou, le chou donne un bébé. Ce sont les hypothèses sur la naissance et la conception : le bébé est dans le ventre de la maman. Comment y est-il entré ? Par un ori- fice bien connu : la bouche, hypo- thèse de l'insémination par le baiser du père. Hypothèse plus élaborée : le baiser du père pendant les règles de la mère. Comment en est-il sorti ? Évidemment par le nombril, ou par l'anus, ce sont les deux seuls orifices que connaît un enfant. Ces hypothèses, ces théories, construisent des représentations qui ne seront jamais oubliées. Leur contenu nous est donné par Freud, il est limité à un certain nombre de représentations typiques qui consti- RÉSUMÉ : À la nécessité de fournir des représentations sociales du sexe pour que la maturation sexuelle s’accomplisse, notre société ambivalente répond par trois images peu satisfaisantes : le regard dominant et inadapté de la pornographie, un regard érotique insuffisant et une image fausse de la sexualité ordinaire. La seule alternative possible à cette tentation-exhibition de l’explicite sexuel ne peut être qu’une pédagogie de l’implicite qui nécessiterait de parler et d’expliquer la pornographie à l’école pour éviter que ne se constituent des théories sexuelles post-infantiles très délétères pour la sexualité adulte. A N T H R O P O - S E X O L O G I E P. BRENOT MOTS-CLÉS : • Sexualité • Érotisme • Pornographie • Pédagogie La représentation du sexe : entre érotisme et pornographie tuent la base des complexes (par exemple le complexe de castration). Ces théories vont ainsi organiser les représentations du monde, et ici du sexuel, des repères sexués, des énigmes qui touchent au sexuel, à la naissance, à l'anatomie, à l'acte sexuel. Ces représentations seront, par la suite, présentes dans la confrontation à la réalité lors des pre- mières expériences de séduction. Elles viennent pour l'instant remplir un vide, celui des réponses incom- plètes, et viennent comme des solu- tions à la question des origines. Pourquoi le domaine du sexuel serait-il si riche en images au point que fantasme est synonyme de fan- tasme sexuel et populairement d'image sexuelle ? En Occident, c’est certainement parce que la sexualité est un domaine très peu parlé, du fait des tabous et des interdits. Il est très peu parlé au cours de l’enfance, alors que des images se développent et que des théories se font jour pour pallier l'absence de paroles (le dis- cours parental explicatif) ; au cours de l'adolescence, qui demande des modèles et les recherche en secret ; dans la vie adulte où le sexe est aujourd'hui sur le devant de la scène mais où l'on parle peu des fantasmes personnels. Alors se développent des images intérieures en fonction des sources d'informations que sont les représentations sociales du sexe. Leur multiplication rend aujourd'hui leur décodage difficile, et surtout leur influence très variable d'un sujet à l'autre. Ces représentations internes sont source d'excitation (fantasmes érotiques), d'inquiétude (images négatives ou défaillantes de la sexua- lité), de réassurance (bons objets, ren- forcements narcissiques, etc.). Elles existent toujours, elles sont plus ou moins conscientes, mais toujours nécessaires à la réalisation sexuelle intime à deux niveaux successifs : 1. Sur un plan psycho-physiologique : elles sont issues de l’expérience et des modèles de l’apprentissage. Le meilleur exemple est la construction de l’image et de l'expérience du corps à corps qui construit la prise de conscience du rapport physique à l'autre, du schéma corporel inté- riorisé de l’autre. Cette construction existe déjà chez l'animal, par exemple chez le chimpanzé, qui lorsqu’on le sépare, jeune, de ses congénères, et qu'on le remet dans le groupe à l'âge adulte, est incapable de s'accoupler car il n'a pas de représentation ni d'expérience de la relation corporelle à l'autre. En l'absence d'apprentis- sage, ce schéma intérieur n'existe pas ; 2. Sur un plan psychodynamique, les représentations internes participent à l'énergie libidinale, elles sont sou- vent le support du désir (fantasme), équilibrant la confiance en soi par le rappel des bonnes représentations. Ces représentations internes ne peu- vent donc s'appuyer que sur les valeurs que permet la société. En cela, les périodes de répression morales ou de plus grande liberté alterneront l'interdit et la permission, et l’accès ou non à des images sociales du sexe. Ces attitudes étant toutes deux capables d'organiser une représentation à travers le modèle qu'elles proposent, son refoulement ou sa transgression. Depuis la libération sexuelle des années 1970, en Occident, on peut remarquer trois grandes attitudes, ou trois regards sur la sexualité, qui se sont progressivement mis en place : - un regard érotique ; - un regard pornographique ; - un regard sur la sexualité ordinaire. On peut même se demander si ce dernier regard, sur la sexualité ordi- naire, n’est pas socialement le plus indécent. Les deux autres sont plus classiques, la seule différence entre les périodes précédentes et aujour- d’hui, c’est qu’ils ne sont plus clan- destins. Le regard pornographique L’ouverture de la société à la por- nographie a certainement été le fait le plus marquant de cette période. Autrefois clandestine et liée à la prostitution (porné signifie en grec “la prostituée” ; le terme de por- nographie désigne “les écrits rela- tifs à la prostitution”), la porno- graphie a progressivement acquis droit de cité suite à la libération sexuelle et, dans la mesure où notre société n'a pas fait une réflexion suffisante sur ce domaine, confon- dant allégrement liberté sexuelle, libertinage, érotisme, pornogra- phie, etc. dans une grande crainte du retour d'un ordre moral, comme si l'on faisait à nouveau jouer la censure ! On peut rappeler que l'usage du mot pornographie s'est généralisé au xixe siècle, grande époque de prostitution légale et de maisons closes en Europe. Le mot renvoyait à l'époque à la production d'images fixes ou mobiles, mettant en scène des rapports sexuels et faisant sur- tout référence à la femme objet, à la femme marchandise, à la femme vendue, avec une dimension d'obs- cénité (hors de la scène). La nais- sance de l'image X est contempo- raine des débuts de uploads/Philosophie/brenot-51.pdf

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