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Tous droits réservés © Collège Édouard-Montpetit, 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 12 déc. 2021 09:43 Horizons philosophiques Clément Rosset ou La joie tragique (entretien) Sébastien Charles La philosophie à portée de voix Volume 9, numéro 2, printemps 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/801134ar DOI : https://doi.org/10.7202/801134ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collège Édouard-Montpetit ISSN 1181-9227 (imprimé) 1920-2954 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Charles, S. (1999). Clément Rosset ou La joie tragique (entretien). Horizons philosophiques, 9(2), 91–108. https://doi.org/10.7202/801134ar CLÉMENT ROSSET OU LAJOIETRAGIQUE1 «La philosophie fera en sorte que celui qui aura obéi à ses lois aura toujours des armes contre la fortune, qu'il trouvera en lui-même tous les secours nécessaires à la vie heureuse, de manière à être toujours heureux». CICÉRON De nos jours Derrida, Deleuze et Foucault rencontrent encore un immense succès outre-Atlantique et sont à la source de nombreuses écoles de pensée dans lesquelles affluent un grand nombre de disciples. Votre pensée, qui s'est élaborée à la même époque, n'a pas, elle, donné lieu à un phénomène de ce genre. Comment expliquez-vous le fait que vous soyez lu sans être adoré, compris sans être adulé ? Est-ce là un état de fait conforme à votre «pensée terroriste» qui se veut lucide et sans compromission aucune avec les courants philosophiques à la mode ? Je crois que vous posez la question de manière inexacte, ou du moins les faits que vous invoquez ne sont pas tout à fait exacts. Il est évident que j'ai été beaucoup moins lu - ou du moins beaucoup moins acheté parce que je ne sais pas combien de gens ont vraiment lu en-deçà ou au-delà de l'Atlantique un cer- tain nombre de livres de ces philosophes, et notamment ceux qui étaient particulièrement gros ou indigestes - et que je n'ai pas obtenu le même succès au niveau des ventes et de la notoriété (articles dans les journaux, émissions diverses et 1. Cet entretien paraît sous une forme quelque peu différente dans Une fin de siè- cle philosophique. Entretiens avec André Comte-Sponville, Marcel Conche, Luc Ferry, Gilles Lipovetsky, Michel On fray et Clément Rosset, Montréal, Liber, 1999. Il n'aurait pu avoir lieu sans l'appui des membres du Fonds de Développement Académique de l'Université d'Ottawa que nous tenons à remercier chaleureusement ici. HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 1999, VOL 9 NO 2 91 Sébastien Charles autres choses dans ce genre-là). En revanche, si mon public a été limité, il a toujours été très enthousiaste. Si j'ai moins de lecteurs, ils sont répartis dans le monde entier (ce qui m'étonne toujours un peu) et sont très attachés à ce que j'écris et mettent mes ouvrages très au-dessus des grands noms auxquels vous avez fait allusion. Ce n'est donc pas du même genre de notoriété qu'il s'agit parce que notre public diffère et que nous ne cheminons pas sur les mêmes pistes ni ne combattons dans les mêmes arènes et avec les mêmes juges. C'est pourquoi cette question se résout d'elle-même par la divergence de nos écritures, de nos objectifs et de nos lecteurs. Je parle ici bien sûr de ceux de mes lecteurs qui ont pris beaucoup de plaisir à me lire, mais c'est le cas de la grande majorité de ceux qui me lisent, même si, évidemment, il y a des gens qui détestent avec beaucoup de violence intellectuelle ce que je fais, pour la raison du contenu essentiellement. Ce que je voulais aussi mentionner c'est le fait que votre philosophie n'ait pas été récupérée par l'intelligentsia nord- américaine. N'est-ce pas parce qu'elle ne s'y prêtait guère ? Ma pensée a intéressé des philosophies très variées mais il est certain qu'elle a été plus lue et plus traduite dans des pays méridionaux, latins ou orientaux (Chine et Japon par exemple), plus rarement en Allemagne et exceptionnellement du côté anglo-saxon2, fait qui mérite à lui seul d'être souligné. Cela me semble s'expliquer aisément par le fait que les tendances philosophiques anglo-saxonnes (la philosophie analytique en particulier) vont résolument dans un sens qui diffère radicale- ment de ce que j'écris, ce qui fait que les Anglo-Saxons n'ont rien à attendre de mon œuvre comme je n'ai rien à attendre de ce qu'ils font eux-mêmes. Une des preuves de ceci est le fait que le succès aux États-Unis de certains des grands noms que vous évoquiez au début de l'entretien, et on pourrait en citer d'autres, a trouvé un écho particulier dans des milieux littéraires 2. Le seul ouvrage de Clément Rosset disponible en anglais est Joyful Cruelty. Towards a Philosophy of the Real. Toutes nos références aux ouvrages de Clément Rosset sont données intégralement en annexe. 92 HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 1999, VOL 9 NO 2 Clément Rosset ou La joie tragique (les départements de lettres des Universités) plutôt que philosophiques. Je regrette un peu néanmoins de n'avoir pas percé en Angleterre parce que je trouve qu'il existe un certain nombre de points communs entre ma pensée et la philosophie anglaise, non l'analytique, vous vous en doutez, mais celle des XVIIIe et XIXe siècles qui a été la première à lire Montaigne et à en faire quasiment un philosophe anglais, de même qu'elle a considéré Haendel comme un compositeur anglais. Mon propre amour de Montaigne m'aurait fait attendre un peu plus d'écho en Angleterre, mais cet écho aura peut-être lieu un jour car, selon l'expression d'Althusser, «l'avenir dure longtemps». Dans L'anti-nature, vous avancez l'idée selon laquelle toute philosophie artificialiste «n'a pu se produire qu'à la faveur des carences de la philosophie proprement dite»3. Cela est-il vrai aussi pour votre philosophie ? Dans quelle crise de la philoso- phie traditionnelle et naturaliste s'inscrit donc votre pensée ? Ma philosophie ne s'est inscrite dans aucun contexte de dépression philosophique particulier qui permettrait à une philosophie artificialiste de se développer. Il n'y a rien à chercher de ce côté-là pour la raison toute simple que je ne suis pas un philosophe artificialiste. Il se trouve que j'ai été amené à aborder ces thèmes par le biais de l'étude du concept de hasard, de l'épicurisme, qui ne sont pas mes thèmes de prédilection. Les thématiques que je privilégie sont celles qui ont un rapport avec le tragique, avec les raisons de vivre ou de ne pas vivre et avec l'expérience de la joie, qui est mon souci unique et constant. Par conséquent, l'artificialisme est venu s'agréger à un train de réflexions annexes. Je cherchais à l'époque à définir une pensée qui ne se fasse pas d'illusions sur le réel et je suis tombé sur la pensée du hasard, celle du non-sens absolu qu'est le hasard, et cela m'a amené à faire un peu d'histoire de la philosophie et à constater qu'il y avait eu de grands courants artificialistes dans lesquels je me 3. L'anti-nature. Éléments pour une philosophie tragique, p. 127. HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 1999, VOL 9 NO 2 93 Sébastien Charles reconnaissais pour ce chapitre-là de la philosophie mais pas pour les points qui m'intéressaient le plus directement. Il n'y avait donc pas de raison particulière pour que surgisse une pensée artificialiste à ce moment précis. C'est pourquoi vous n'employez plus par la suite le terme artificialiste ? En effet, c'est désormais pour moi du passé même si je ne reviendrais pas pour autant sur ce que j'ai dit dans L'anti-nature. Votre ouvrage de prime jeunesse, La philosophie tragique, énonce la condition tragique dans laquelle, face à la mort, chaque être humain se trouve. De manière métaphorique, vous avez associé cette révélation tragique - à laquelle tout homme est confronté - à la surprise d'un enfant à qui, pour la première fois, on a refusé un jouet «Si sa stupéfaction cesse, écriviez- vous, [l'homme] n'est plus tragique»4. Cette stupéfaction éprou- vée voilà bientôt quarante ans vous habite-t-elle toujours aujourd'hui ? Êtes-vous toujours un homme tragique ? Tout à fait, même si je ne me souviens plus de cet exemple, et pour cause. Cet ouvrage de jeunesse est tellement mal écrit que je n'ai jamais eu le courage de le relire. J'ai fait la folie de le rééditer et d'y rédiger une introduction qui me permette de dédouaner le tout jeune homme qui l'a écrit, et qui avait à l'époque dix-neuf ans quand il en a rédigé la première moitié. Je me souviens un peu plus de l'exemple d'un certain maçon mais je reste en accord avec ce sentiment. Je reconnais ce sentiment très fort qui se révèle sous une forme noire chez Cioran et sous une forme plus profonde encore chez Lucrèce qui éprouve une certaine pitié à constater que l'homme n'est pas capable d'affronter la pensée de la mort. La uploads/Philosophie/clement-rosset-ou-la-joie-tragique-entretien-sebastien-charles.pdf

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