Gilles Deleuze Le bergsonisme QUADRIGE / pUP ISIIN 2 13 054S41 6 ISSN 0291-0411
Gilles Deleuze Le bergsonisme QUADRIGE / pUP ISIIN 2 13 054S41 6 ISSN 0291-04119 Jtpl- ." 6didon : 1966 3' édilÎ<Nl • Qu8ddac • : 2004, juin C Pntan UnWcniI*a de Fnaœ, 1966 Le PbllCllOplle 6, .vau. ReIlle, 75014 PIriI CHAPlIRE PREMIER L'INTUITION COMME MÉTHODE Durée, Mémoire, Élan vital marquent les grandes étapes de la philosophie bergsonienne. L'objet de ce livre est la détermination du rapport entre ces trois notions, et du progrès qu'elles impliquent. L'intuition est la méthode du bergsonisme. L'intuition n'est pas un sentiment ni une inspiration, une sympathie confuse, mais une méthode élaborée, et même une des méthodes les plus élaborées de la philosophie. Elle a ses règles strictes, qui constituent ce que Bergson appelle Il la précision li en philosophie. Il est vrai que Bergson insiste sur ceci l'intuition, telle qu'il l'entend métho- diquement, suppose déjà la durée. a Ces considérations sur la durée nous paraissaient décisives. De degré en degré, elles nous firent ériger l'intuition en méthode philosophique. Intuition est d'ailleurs un mot devant lequel nous hésitâmes longtemps. (1). Et à Hoffding, (1) PM, 1271, 2S. - Nous citons les œuvres de BERGSON d'après des initiales. Essai sur Iss do,,,,4es immédiat,s de la Ulnlei,nu, 1889 : Dl. Malih-I Ir 1896 MM. Le Rire, 1900 : R. L'Evolution criarri,e, 1907 : EC. L'Energi, spirituellt, 1919 ES. Durit er Si",ul- tan4it4, 1922 : DS. US deux sources de la "'01'31, er dt la religiOfl, 1932 : MR. La Pnuu et le Mouvant, 1941 PM. - Nous citons DS d'après la 4- Pour toutes les autres œuvres, nos renvoient d'abord' la pagination de l'tdition du Centenaire (presses Universitaires de France), puis, conformément auz incücationl de ceUe-ci, auz rëmpressions 1939-1941. 2 LE BERGSONISME il écrit : « La théorie de l'intuition sur laquelle vous insistez beaucoup plus que sur celle de la durée ne s'est dégagée à mes yeux qu'assez longtemps après celle-ci Il (1). Mais premier et second ont beaucoup de sens. Il est certain que l'intuition est seconde par rapport à la durée ou à la mémoire. Mais si ces notions désignent par elles-mêmes des réalités et des expériences vécues, elles ne nous donnent encore aucun moyen de les ctmllaltre (avec une précision analogue à celle de la science). Bizarrement on peut dire que la dude res- terait seulement intuitive, au sens ordinaire du mot, s'il n'y avait précisément l'intuition comme méthode, au sens proprement bergsonien. Le fait est que Bergson comptait sur la méthode d'intuition pour établir la philosophie comme discipline absolument « précise Il, aussi précise dans son domaine que la science dans le sien, aussi prolongeable et ttansmissible que la science elle-même. Et les rapports entte Durée, Mémoire, Élan vital resteraient eux-mêmes indéterminés du point de vue de la connaissance, sans le fil méthodique de l'intui- tion. A tous ces égards nous devons faire passer au pre- mier plan d'un exposé l'intuition comme méthode rigoureuse ou précise (2). La question méthodologique la plus générale est comment l'intuition, qui désigne avant tout une connais- sance immédiate, peut-elle former une méthode, une fois dit que la méthode implique essentiellement une ou des médiations ? Bergson présente souvent l'intuition (1) lAttr, d 1916 (cf. Ecriu tr Pmolu, t. III, p. 456). (a) Sur l'emploi du mot i,.ruitiMl, et sur la geDi:Be la Dotion, daoB lei Do",.hs j"""Mialtl et Marib-, ,r Mimoirt, on se reponera au livre de M. HUSSON, d, BtrgfMl, Presse. UlÙver- litaires de France, 1947. pp. 6-10. L'INTUITION COMME MéTHODB 3 comme un acte simple. Mais la simplicité selon lui n'exclut pas une multiplicité qualitative et virtueUe, des directions diverses dans lesquelles elle s'actualise. En ce sens l'intuition implique une pluralité d'accep- tions, des vues multiples irréductibles (1). Bergson distingue essentiellement trois espèces d'actes, qui déterminent des règles de la méthode la première concerne la position et la création des problèmes; la seconde, la découverte des véritables di1férences de nature; la troisième, l'appréhension du temps réel. C'est en montrant comment on passe d'un sens à l'autre, et quel est Il le sens fondamental ., qu'on doit retrouver la simplicité de l'intuition comme acte vécu, pour répondre à la question méthodologique générale . . *. PREMIÈRE RÈGLE: Porter fépreufJe du wai et du faux dans les problèmes eux-t7IhMJ, dénoncer les faux problhnes, réconcilier "bité et création au niveau des problèmes. En effet, nous avons le tort de croire que le vrai et le faux concernent seulement les solutions, ne commencent qu'avec les solutions. Ce préjugé est social (car la société, et le langage qui en transmet les mots d'ordre, nous « donnent » des problèmes tout faits, comme sortis des Il cartons administratifs de la cité D, et nous imposent de les If résoudre », en nous laissant une maigre marge de liberté). Bien plus, le préjugé est infantile et scolaire : c'est le maître d'école qui « donne. des problèmes, la tiche de l'élève étant d'en découvrir la solution. Par là nous sommes maintenus dans une sorte d'esclavage. (1) PM, 1274-1275, 29-30. LB BERGSONISMB La vraie liberté est dans un pouvoir de décision, de constitution des problèmes eux-mêmes ce pouvoir, 1 semi-divin " implique aussi bien l'évanouissement des faux problèmes que le surgissement créateur des vrais .• La vérité est qu'il s'agit, en philosophie et même ailleurs, de trOU'Der le problème et par conséquent de le poser, plus encore que de le résoudre. Car un pro- blème spéculatif est résolu dès qu'il est bien posé. J'entends par là que la solution en existe alors aussitôt, bien qu'elle puisse rester cachée et, pour ainsi dire, couverte: il ne reste plus qu'à la découvrir. Mais poser le problème n'est pas simplement découvrir, c'est inventer. La découverte porte sur ce qui existe déjà, actuellement ou virtuellement; elle était donc sûre de venir tôt ou tard. L'invention donne l'être à ce qui n'était pas, elle aurait pu ne venir jamais. Déjà en mathéma- tiques, à plus forte raison en métaphysique, l'effort d'invention consiste le plus souvent à susciter le pro- blème, à créer les termes en lesquels il se posera. Position et solution du problème sont bien près ici de s'équi- valoir: les vrais grands problèmes ne sont posés que lorsqu'ils sont résolus. (1). Non seulement toute l'histoire des mathématiques donne raison à Bergson. Mais on comparera la dernière phrase du texte de Bergson avec la formule de Marx, valable pour la pratique elle-même «L'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle est capable de résoudre .• Dans les deux cas, il ne s'agit pas de dire que les pro- blèmes sont comme l'ombre de solutions préexistantes (tout le contexte indique le contraire). n ne s'agit pas davantage de dire que seuls comptent les problèmes. (1) PM, 1293, SI-SJ Caur " l' itat aemi-diriD la cf. 1306a 61). L'INTUITION COMME MéTHODE Au contraire, c'est la solution qui compte, mais le problème a toujours la solution qu'il mérite en fonction de la manière dont on le pose, des conditions sous lesquelles on le détermine en tant que problème, des moyens et des termes dont on dispose pour le poser. En ce sens l'histoire des hommes, tant du point de vue de la théorie que de la pratique, est celle de la consti- tution des problèmes. C'est là qu'ils font leur propre histoire, et la prise de conscience de cette activité est comme la conquête de la liberté. (Il est vrai que, chez Bergson, la norion de problème a ses racines au-delà de l'histoire, dans la vie elle-même ou dans l'élan vital : c'est la vie qui se détermine essentiellement dans l'acte de tourner des obstacles, de poser et de résoudre un problème. La construction de l'organisme est à la fois position de problème et solution) (1). Mais comment concilier ce pouvoir constituant dans le problème avec une norme du vrai ? S'il est relative- ment facile de définir le vrai et le faux par rapport aux solutions, un problème étant posé, il semble beaucoup plus difficile de dire en quoi consiste le vrai et le faux, quand on les applique à la position même des problèmes. Beaucoup de philosophes à cet égard semblent tomber dans un cercle : conscients de la nécessité de porter l'épreuve du vrai et du faux au-delà des solutions, dans les problèmes eux-mêmes, ils se contentent de définir la vérité ou la fausseté d'un problème par sa possibilité ou son impossibilité de recevoir une solution. Le grand mérite de Bergson au contraire est d'avoir tenté une détermination intrinsèque du faux dans l'expression (1) Selon Bergson, la cat40rie de prohllm, 1 une importance biol"6iqv. beaucoup plui grande que celle, de besoin. 6 LE BERGSONISME « faux problème D. D'où une règle complémentaire de la règle générale RtGLE COMPLéMENTAIRB : Les faux problèmss SOllt de deux sortes, (1 probUma inexistants » qui se définissent en ceci que ltuJ's tmntS eux-mêmes impliquent une c01IfusiOll du 1( plus » et du Il moins »J' ft problèmu mal posés D qui se définissent en cela que leurs termes représentent des mixtes mal analysés. Bergson donne comme exemples du premier type le uploads/Philosophie/deleuze-le-bergsonisme-pdf.pdf
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- Publié le Apv 08, 2021
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