Article : Des principes éthiques pour une philosophie de l’accompagnement 99 De

Article : Des principes éthiques pour une philosophie de l’accompagnement 99 Des principes éthiques pour une philosophie de l’accompagnement Martine BEAUVAIS40 Résumé Il se peut que l’engouement connu aujourd’hui pour l’accompagnement ne soit que le simple effet d’une mode. Mais il se peut aussi qu’il soit le reflet d’un véritable changement paradigmatique. Et dans ce cas, il paraît urgent d’entreprendre une réflexion d’ordre épistémologique et éthique susceptible d’aider les praticiens à mieux penser et agir leurs accompagnements singuliers. Ainsi, de l’émergence d’un possible postulat paradigmatique à la tentative de formulation de principes éthiques cet article se veut une modeste contribution à l’effort d’élucidation et de conceptualisation de la notion d’accompagnement. Mots clés : Accompagnement, autonomie, éthique, paradigme, responsabilité 40 Docteur en Sciences de l’éducation et enseignante au CUEEP, Lille 1. Savoirs, 6, 2004 100 Ethical principals for a philosophy of accompaniment Abstract The recent enthusiasm for accompaniment might well be just a trendy idea. However, it might also be the sign of a genuine paradigm shift in education. In this case, it seems urgent to reflect on the matter from an ethical as well as an epistemological point of view, in order to help practitioners improve both how they think about or theorize “accompaniment”, and how they carry out their theory in practice. Thus, by addressing questions ranging from the emergence of a possible paradigmatic postulate to the attempt to formulate ethical principals related to practice, the present article aims to contribute, albeit modestly, to a conceptualization of the notion of accompaniment. Key words : Accompaniment, autonomy, ethics, paradigm, responsibility Principios éticos para una filosofía del acompañamiento Resumen Puede ser que el entuasiasmo que se conoce actualmente con relación al acompañamiento sea nada mas que un sencillo efecto de moda. Pero tambien puede que sea el reflejo de un verdadero cambio paradigmático. Y en este caso, parece urgente emprender una reflexión de tipo epistemológico y ético susceptible de ayudar a los practicantes para que piensen mejor y pongan en práctica sus acompañamientos singulares. Así, desde la emergencia de un posible postulado paradigmático hasta la tentativa de formulación de principios éticos, este artículo quiere ser una modesta contribución al esfuerzo de elucidación y de conceptualización de la noción de acompañamiento. Palabras claves : Acompañamiento, autonomía, ética, paradigma, responsabilidad Article : Des principes éthiques pour une philosophie de l’accompagnement 101 Il semblerait que l’on s’accorde aujourd’hui pour reconnaître à l’ « accompagnement » des vertus indiscutables. Davantage qu’une simple valeur ajoutée, l’accompagnement pourrait même constituer le gage ultime de qualité de toute pratique de formation et d’éducation. Qui, en effet, ose encore parler de sa pratique de formateur, d’enseignant, d’éducateur, sans inclure dans ses propos le terme « accompagnement » ? Aussi, interpellés par un usage très large et peut-être parfois abusif de la notion d’ « accompagnement » et par le flou conceptuel qui l’entoure, nous nous proposons d’entreprendre une réflexion d’ordre philosophique susceptible de nous aider à mieux la fonder et la comprendre41. Mais au préalable et à toutes fins de nous entendre, nous définirons l’accompagnement comme une démarche visant à aider une personne à cheminer, à se construire, à atteindre ses buts. Certes, nous proposons là une définition extrêmement succincte mais elle présente l’avantage d’être globalement partagée par de multiples praticiens et/ou chercheurs concernés42. Revendiquer la pertinence et l’efficience de l’accompagnement, prétendre qu’en étant « simplement » aux côtés de l’autre, voire légèrement en retrait43, on participe à son développement, on l’aide à avancer et à atteindre ses buts, c’est déjà partager implicitement un certain nombre de conceptions concernant notre rapport au « réel » et notamment les statuts que l’on confère au sujet et à l’objet. Ainsi, osons-nous avancer l’idée selon laquelle celui qui « croit » dans les « vertus » de l’accompagnement peut se reconnaître des affinités paradigmatiques avec le constructivisme (J.L. Le Moigne) et la complexité (E. Morin). En tant que praticien-chercheur de l’accompagnement, tout à la fois engagé dans des pratiques d’accompagnement44 et critique45 par rapport à ces mêmes 41 Certes l’accompagnement, contemporain de la modernité et des multiples paradoxes (Beauvais, 2003b) qui la caractérisent, mériterait également d’être questionné d’un point de vue sociologique mais dans le cadre de cet article nous nous contenterons de soulever quelques questions d’ordre philosophique et éthique. 42 Cf. Boutinet, J.P. & Pineau, G. (dir.) (2002). L’accompagnement dans tous ses états. Éducation Permanente, 153, et Demol, J.N., Poisson, D. & Gérard, C. (coord.) (2003). Accompagnements en formation d’adultes. Les Cahiers d’Études du CUEEP, 50-51. 43 Cf. l’article de F. Lerbet-Séréni (2003). 44 Nous faisons ici référence à la fois à notre expérience de praticien de l’accompagnement auprès de professionnels de l’insertion socioprofessionnelle ainsi Affinités et incompatibilités paradigmatiques Savoirs, 6, 2004 102 pratiques, il importe que nous entreprenions un effort de conscientisation de nos postulats paradigmatiques, de nos propres « Concepts Maîtres » (Morin, 1991, p. 216), ceux grâce auxquels nous opérons notre lecture du réel, ceux à cause desquels nous en limitons cette même lecture. Mais avant cela, rappelons-nous ce qu’il en est (était) du statut conféré au réel en parcourant quelques grands courants de pensée. Dans une pensée réaliste, le réel est un réel donné. Le « réaliste naïf »46 pense que notre vision du réel correspond trait pour trait au réel tel qu’il est, le rouge de la pomme n’appartient qu’à la pomme et la dureté de la pierre qu’à la pierre. Les choses existent et ce indépendamment de notre pensée, de nos perceptions et sensations. Dans une pensée empiriste, le réel est un réel perçu. Aucune qualité sensible n’existe en tant que telle dans les choses. Le rouge de la pomme n’appartient plus à la pomme et il en va de même de sa saveur et de sa dureté. Dans cette conception, poussée à son paroxysme avec l’Immatérialisme de Berkeley (1685- 1712), rien n’autorise à penser qu’il existe quoi que ce soit du réel tel qu’il est perçu hors de cette perception.47 Dans une pensée pragmatiste, le réel devient réel agi. Seule l’expérience peut nous permettre l’accès à la connaissance. Connaître le réel c’est l’expérimenter et le transformer. Ainsi notre pensée est-elle finalisée par l’action et l’utilité, elle est « téléologique » et « expérimentale » (Dewey, 1967, p. 160). Enfin, dans une pensée constructiviste, le réel est un réel construit. On considère que notre perception du monde est le fruit d’une construction, voire d’une invention (Valéry, 1957) mentale. Mais dès lors que l’on partage ce point de vue, l’on se doit également d’adhérer à l’idée selon laquelle l’être humain est seul responsable « de sa pensée, de sa connaissance et de ce qu’il fait » (Von Glasersfeld, 1988, p. 20). qu’à notre pratique de l’accompagnement auprès d’étudiants de l’IUP des Métiers de la Formation, CUEEP, Lille 1. 45 Cf. M. Beauvais (2003b). 46 On reconnaîtra en la personne de Nicolas de Malebranche (1638-1715), disciple de René Descartes (1591-1650), un des pionniers de ce courant de pensée. 47 Dans ses Principes de la connaissance humaine, Georges Berkeley (1991, p. 65) écrit : « Quant à ce qu’on dit de l’existence absolue de choses non pensantes, sans aucune relation avec le fait qu’elles sont perçues, cela semble parfaitement inintelligible. Leur esse est percipti, et il n’est pas possible qu’elles aient quelque existence en dehors des esprits ou choses pensantes qui les perçoivent ». Une conception du réel : du donné au construit Article : Des principes éthiques pour une philosophie de l’accompagnement 103 Ainsi, de la pensée réaliste à la pensée constructiviste, nous passons d’une réalité donnée à une réalité construite mais aussi d’une conception dichotomique à une conception dialogique du sujet et de l’objet. On passe également d’une vision d’un monde dans laquelle l’homme, objet parmi tant d’autres, est en grande partie déterminé par le monde dans lequel il vit, à une conception de l’homme, sujet, responsable du monde qu’il se représente, qu’il pense, qu’il projette et qu’il agit. Prétendre accompagner une personne dans son cheminement, implique selon nous que l’on partage cette dernière conception. Conception constructiviste et complexe de l’Humain qui invite à penser et à agir l’accompagnement comme autre chose que l’assistanat ou la direction. Toutefois, et si accompagner n’est ni assister, ni décider, ni agir, ni assumer à la place de l’autre, nous verrons qu’il revient néanmoins à l’accompagnant, dans le contexte institutionnel qui lui est propre, d’aider l’autre à se décider, à agir, et à (s’)assumer, notamment en pensant des cadres susceptibles de favoriser son engagement et sa responsabilisation et en adoptant des postures (Beauvais, 2003b) susceptibles, elles aussi, de l’aider à « se prendre en projet » (Liiceanu, 1994, p. 41) dans son environnement. Et cet environnement, nous ne pourrons le concevoir indépendamment du sujet. Accompagner l’autre en tant que « sujet» 48 revient alors à l’appréhender en tant que personne singulière, personne qui se construit, qui se « pro-jette », qui agit et s’assume dans un environnement donné. Et c’est seulement dans cet environnement que ses choix et ses actes prennent sens. Dès lors, on comprendra que toute pratique d’accompagnement uploads/Philosophie/et000010.pdf

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