1 Deux textes de Ferdinand Buisson - La méthode intuitive, 1873 ( pages 1 à 5)
1 Deux textes de Ferdinand Buisson - La méthode intuitive, 1873 ( pages 1 à 5) - Intuition et méthode intuitive, 1887 ( pages 5 à 11) **** LA MÉTHODE INTUITIVE F. Buisson Le morceau qu'on va lire est extrait du Rapport sur l'instruction primaire à l'Exposition universelle de Vienne en 1873, par M. F. Buisson, inspecteur général de l'instruction publique, actuellement directeur de l'enseignement primaire (Paris, Imprimerie nationale, 1875).1 II faut distinguer sous le terme d'intuition deux idées que les maîtres confondent parfois : la méthode et les procédés. Les procédés sont plus généralement connus et admis que la méthode, et cependant ils ne valent que par elle. Ce qu'on appelle dans les programmes allemands exercices d'intuition, ce que les Américains ont nommé leçons de choses, ce que nous avons inauguré en France sous le nom d'enseignement par les yeux, tout ceci n'est qu'une application - la première, il est vrai, dans l'ordre des études, mais aussi la moins importante - de la méthode intuitive prise au sens général. Ces divers procédés élémentaires rendent de réels services aux débuts de l'enseignement, aussi prennent-ils une extension croissante, et, à Vienne, des collections nombreuses d'appareils « d'intuition » et d'images de toute sorte attestaient la faveur qui les accueille. Cependant nous n'insisterions pas sur ces détails, si nous n'avions â y rattacher une question d'une tout autre portée. On abuse volontiers du mot méthode dans l'instruction primaire : méthode de lecture, méthode d'écriture, ou de calcul, ou de dessin; il semblerait qu'il y en ait autant que de branches d'étude ou de manuels scolaires. Cette confusion des termes est surtout fâcheuse en ce qu'elle conduit à méconnaître ou à négliger l'idée même de méthode. A proprement parler, il n'y a qu'une méthode en pédagogie : elle est universelle, elle embrasse toute l'éducation et a nie influence décisive sur le développement des esprits. Or, c'est précisément sur cette manière générale d'entendre et de diriger l'éducation tout entière que l'exposition de Vienne fournissait des enseignements nouveaux qu'il ne sera pas inutile de recueillir. Une grande leçon s'est dégagée avec éclat de l'ensemble des expositions scolaires, ainsi que des notes du jury : c'est que partout aujourd'hui l'esprit pédagogique subit une transformation profonde, partout il cherche le progrès dans la même voie, il tend à introduire dans tous les domaines les idées et les pratiques scolaires que désigne ce mot relativement nouveau de méthode intuitive. De tous les pays qui se sont fait représenter à Vienne, aucun n'est aujourd'hui fermé l'influence de cette méthode : les uns l'ont admise d'emblée, d'autres peu â peu et partiellement; mais tous finissent par l'accueillir. 1 Présentation, page 80, in Lectures pédagogiques à l'usage des écoles normales primaires, par - Charles Defodon, Bibliothécaire du Musée pédagogique, Rédacteur en chef du Manuel général de l'instruction primaire - J. Guillaume, Secrétaire de la rédaction du Dictionnaire de pédagogie et de la Revue pédagogique - Mme Pauline Kergomard, Inspectrice générale des écoles maternelles Paris, Librairie Hachette, 1883. 2 S'il est un fait que reconnaissent hautement les nombreux historiens de la pédagogie allemande, bien qu'il flatte peu leur amour-propre national, c'est que la méthode intuitive est entrée en Allemagne avec l'Émile de Rousseau. Cet ouvrage qui eut chez nous s1 peu d'influence, sur l'instruction publique fut au contraire accueilli en Allemagne - c'est Goethe qui l'a dit - comme une sorte d'évangile de l'éducation nouvelle, et il y donna le signal d'un très remarquable mouvement d'idées pédagogiques. C'est qu'en France il était difficile de séparer l'Émile du Contrat social et d'en apprécier la partie pratique, abstraction faite de tout l'ensemble d'utopies politiques, sociales et religieuses auxquelles ce roman d'éducation servait en quelque sorte d'application chimérique. Les Allemands étaient plus à même que nous de faire le départ de ces éléments divers; moins préoccupés de la portée générale des idées de Rousseau, moins passionnés par les débats ardents qu'elles soulevaient, ils purent donner plus d'attention à la question pédagogique et recueillir les vues justes éparses dans ce « rêve d'un visionnaire ». Le plan d'éducation qu'ils en tirèrent avait pour caractère essentiel de substituer l'observation des choses à l'étude des mots, le jugement à la mémoire, l'esprit à la lettre, la spontanéité à la passivité intellectuelle. L'innovation qui en résultait dans la pratique pouvait se ramener aux points suivants : exercer avant tout les sens de l'enfant pour les rendre plus souples, plus justes, plus délicats; exercer ensuite son jugement en le guidant sans lui imposer des idées toutes faites, en lui faisant peu apprendre et beaucoup trouver; exercer sa volonté, soit comme attention, soit comme force de caractère, en lui donnant des occasions de se former, et au besoin de se réformer elle-même; exercer enfin son sens moral, en lui faisant tirer de sa propre expérience la notion du devoir et même l'idée religieuse. Neuf ans après que l'Émile eut été brûlé à Paris et à Genève, s'ouvrait à Dessau, sous le nom de Philanthropin, un établissement d'éducation destiné à mettre littéralement en pratique les théories de Rousseau. Le fondateur de cet étrange institut, Basedow, esprit plus ardent que réfléchi débuta par l'enthousiasme et se soutint par le charlatanisme. Aussi, l'importance capitale de son œuvre est-elle non pas dans les résultats qu'il a lui-même atteints, mais dans la très vive impulsion que l'exemple des philanthropinistes donna en Allemagne aux idées de réforme. Ainsi. pour ne citer qu'un seul fait, la faveur générale qui accueillit en Allemagne l'emploi des procédés d'intuition et tout d'abord de l'imagerie appliquée à l'enseignement date du fameux Livre élémentaire de Basedow (1774), qui fut le produit d'une souscription « cosmopolite » et reprit avec succès une entreprise bien plus remarquable, mais oubliée depuis un siècle : l'Orbis pictus, publié en 1659 par Amos Coménius. Depuis lors le mouvement n'a pas cessé de s'étendre, et c'est aujourd'hui par centaines que se comptent, dans les divers pays allemands, les collections dont Coménius avait eu la première idée et que Basedow et Campe surent mettre en vogue. Mais l'homme qui consomma l'œuvre de la rénovation pédagogique, celui qui entreprit de réaliser pour les enfants du peuple un idéal conçu pour l'éducation des fils de famille, c'est Pestalozzi. C'est lui qui, partant du ce principe : « l'intuition est la source de toutes nos connaissances, » fonda sur l'intuition tout l'édifice de l'enseignement nouveau. Comme Rousseau, dont l'ouvrage a été pour lui une révélation, mais dont il a singulièrement étendu et rectifié la théorie psychologique, Pestalozzi croit que le secret de l'éducation consiste à trouver pour nos diverses facultés les exercices les plus propres non à les dresser et à les cultiver artificiellement, mais à faciliter leur développement spontané, normal, naturel. « Savoir, disait-il, c'est savoir observer. » Or, tout objet présente trois caractères d'observation : le nombre, la forme, le nom. Les trois questions : « Combien d'objets? - Comment sont-ils?- Et comment se nomment-ils? » résument ce que nous pouvons faire étudier à 1"enfant dans tous les domaines. Il sera bien préparé, soit pour la vie pratique, soit pour toutes les études ultérieures, quand il aura pris l'habitude d'examiner toujours avec attention et par lui-même les choses dont il entouré, de les compter , de les distinguer entre elles, de les nommer et de les classer avec précision. 3 Tel était le point de départ de la méthode nouvelle; malheureusement, Pestalozzi, grand penseur et faible praticien, s'égara dans l'application de son propre système, comme il échoua toute sa vie chaque fois qu'il entreprit d'exécuter par lui-même les plans admirables qu'il concevait. C'est ainsi que, par l'exagération d'une idée juste, il imagina dans son Livre des Mères de concentrer l'observation de l'enfant sur un seul objet : la connaissance de son propre corps, divisée en dix chapitres. Naturellement, ces séries d'exercices systématiques devaient tomber dans une monotonie fastidieuse, et dégénérer, même entre les mains d'un bon maître, en un nouveau genre de verbalisme. Les premiers disciples de Pestalozzi essayèrent d'étendre le cercle de ces « leçons de choses », d'abord en les appliquant à des objets plus vastes et plus variés : la maison, la famille, la patrie, puis en subdivisant les trois questions fondamentales en un plus grand nombre : la forme, la structure, la couleur, le mouvement, les dimensions et d'autres « catégories » de la perception sensible; enfin en transformant les exercices d'intuition en exercices « d'intuition, d'expression et de pensée ». L'Allemagne, ardemment préoccupée, après ses désastres, de la réorganisation de son enseignement, accueillit avec un empressement passionné la réforme de Pestalozzi. Fichte, dans ses Discours, qui eurent tant d'influence sur les esprits, l'avait signalé à ses compatriotes comme l'homme de la Providence. L'intuition fut introduite dans tous les programmes. Mais de telles réformes ne s'improvisent pas, et, tant que l'esprit nouveau n'a pas fait à son image les intelligences et les institutions, rien n'est changé ; sous les noms nouveaux, c'est la vieille routine qui se perpétue. C'est ainsi que, par une apparente contradiction qui a souvent étonné les observateurs superficiels, les exercices d'intuition et de uploads/Philosophie/fb-intuit-pdf.pdf
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- Publié le Apv 09, 2021
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