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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 1 déc. 2021 16:30 Laval théologique et philosophique L’ironie socratique Denis Bouchard Le discours intérieur. Antiquité, Moyen Âge, époque contemporaine : autour d’un ouvrage récent de Claude Panaccio Volume 57, numéro 2, juin 2001 URI : https://id.erudit.org/iderudit/401351ar DOI : https://doi.org/10.7202/401351ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bouchard, D. (2001). L’ironie socratique. Laval théologique et philosophique, 57(2), 277–289. https://doi.org/10.7202/401351ar Laval théologique et philosophique, 57,2 (juin 2001) : 277-289 L'IRONIE SOCRATIQUE Denis Bouchard Faculté de philosophie Université Laval, Québec RESUME : Lorsqu 'on essaie de décrire la figure de Socrate, un trait s'impose à notre regard : l'ironie. Ce trait est d'autant plus marquant que ce philosophe, par sa démarche dialectique bien particulière, a su imposer un contenu au concept. Quel que soit l'aspect sous lequel nous l'étudions, l'ironie de Socrate suggère la remise en question d'un mode de vie trop souvent étranger à la connaissance de soi, point de départ d'une vie authentique. ABSTRACT : One feature of Socrates is particularly notable : his irony. It is the more important for the fact that, thanks to his own dialectical approach, this philosopher first gave content to the concept of irony. Whatever aspect under which it is considered, Socrates's irony serves to put into question a way of life too often lacking in that self-knowledge without which there can be no authentic living. [...] tout est limité par un océan de connaissance illusoire1. Soren Kierkegaard JJ O alut au bel et savant Hippias2 », s'exclame Socrate, tel le passionné saisis- \ \ O sant l'objet de son désir. Hippias, qui se vante de ses expéditions diploma- tiques à l'étranger, s'abreuve des éloges dont Socrate s'empresse de le combler aussitôt. « Ce rôle, Hippias, est celui d'un homme vraiment supérieur et accompli3 ». Comment ne pas reconnaître le maître ironiste que Platon a mis en scène dans ce début de VHippias Majeur ? De tôt matin, il se rend sur la place publique et de là enquête, questionne et confronte ses compatriotes sur leur mode de vie. Sa subtile naïveté suspend les discours creux et introduit ainsi son mouvement dialectique si particulier. Par l'ironie, moment de cette dialectique, il parvient à toucher, à atteindre ses interlocuteurs afin de pouvoir scruter à fond leur âme. Socrate est déroutant, inquiétant, obsédant même. Son comportement, sans choquer, dérange. Mais, que recèle cette ironie pour que deux millénaires plus tard nous soyons encore subjugés par elle ? 1. Seren K I E R K E G A A R D , Œuvres complètes, t. 2, Le concept d'ironie constamment rapporté à Socrate, Paris, Éditions de l'Orante, 1975, p. 37. 2. PLATON, Hippias Majeur, 281a. 3. /£«/., 281b. 277 DENIS BOUCHARD Nous connaissons Socrate par les différents écrits qui nous sont parvenus de Pla- ton, Aristote, Xénophon et Aristophane, entre autres. Les témoignages, au sens propre du terme, sont peu nombreux et ne permettent pas d'établir clairement et définitivement qui fut le Socrate historique, ce Socrate de la rue4. De plus, les docu- ments ignorent la démarcation entre le Socrate littéraire et le Socrate historique, bien que plusieurs éléments nous indiquent certains traits du personnage. Donc, l'ironiste que nous connaissons se confond aux différentes images transmises par ses pairs. D'où la difficulté de cerner scientifiquement ce monument de la philosophie. Toutefois, lorsqu'on essaie de décrire la personnalité de Socrate, un trait s'impose à notre regard : l'ironie. Ceci est d'autant plus marquant que, comme le note si bien Kierkegaard, « le concept d'ironie fait avec Socrate son apparition dans le monde5 ». De là, bien entendu, la richesse et l'importance de l'ironie socratique. « [L]a tradition a rattaché le terme d'ironie à l'existence de Socrate6 », car il a su imposer un contenu au concept. Elle est pour lui un chemin et une étape conduisant l'esprit vers son intériorité. Si l'ironie de Socrate est encore une source inépuisable de réflexion, n'est- ce pas simplement parce qu'il a touché un point sensible de notre condition hu- maine ? L'ironie certes entretient un lien intime avec la parole, se déployant dans un uni- vers où la raison se joue de la représentation. Mais où la raison se reconnaît par la projection qu'elle se fait d'elle-même dans autrui, c'est ce que nous pouvons nommer ironie à sens unique, utile uniquement au sujet créateur. Elle s'apparente alors à l'ironie romantique par l'absoluité de soi, autrui n'étant qu'un miroir reflétant sa propre subjectivité7. Pour Socrate, au contraire, l'ironie apparaît comme une opéra- tion de sauvetage consistant à rattraper les âmes n'ayant pas vraiment le souci d'elles- mêmes. Elle QSt pour autrui. Et c'est par la parole que ce routier de l'esprit franchira ce mur d'inconnaissance si humain. Nous nous attarderons surtout au Socrate de Platon, puisque l'œuvre de ce dernier renferme la plus riche documentation sur le personnage8. 4. Un auteur grec à succès prétend avoir découvert des fragments de manuscrits sauvés de « l'Athènes du siècle d'or » (p. 23). Ce « vieux paquet de papiers jaunis » (p. 22) serait l'œuvre de Socrate lui-même. À chacun de juger. Voir Nestor MATSAS, Les mémoires de Socrate, d'après le manuscrit d'Athènes, Paris, Les Belles Lettres, 1983. 5. S. KIERKEGAARD, Le concept d'ironie constamment rapporté à Socrate, p. 8. 6. Ibid., p. 9. 7. L'ironie romantique, mouvement esthétique allemand que nous retrouvons principalement dans les arts de la scène et l'écriture, se caractérise par la relativité du monde qui nous entoure. Le sujet utilise sa propre subjectivité pour reconstruire toutes choses grâce au moi créateur absolu. Cette ironie se présente alors comme la contradiction entre le donné et l'imaginaire. À ce sujet, on pourra consulter René BOURGEOIS, L'ironie romantique, Paris, Presses Universitaires de Grenoble, 1974 ; et aussi G.W.F. HEGEL, Esthétique, trad. S. Jankélévitch, Paris, Flammarion (coll. « Champ philosophique »), 1979, t. 1, p. 97 et suiv. 8. Le Socrate jeune des dialogues moraux de Platon. Voir à ce sujet Gregory VLASTOS, Socrate, ironie et philosophie morale, trad. C. Dalimier, Paris, Aubier, 1994, p. 69 et suiv., où le Socrate jeune serait un per- sonnage plus historique que le Socrate mature, qui serait Platon s'exprimant par la bouche de son maître. 278 L'IRONIE SOCRATIQUE L'IRONIE VERBALE Plusieurs penseurs ont traité de l'ironie et ont de ce fait contribué à établir les fondements du concept. Ainsi, pour Kierkegaard, l'ironie est une figure « recon- naissable à ce qu'elle exprime le contraire de ce que l'on pense9 ». Kerbrat- Orecchioni va dans le même sens, « ironiser, c'est dire le contraire de ce que l'on veut faire entendre10 ». Freud, lui, est plus catégorique et impose une limite : « L'ironie ne comporte aucune autre technique que la représentation par le con- traire11. » Ce qui ressort de ces définitions, c'est la notion de contrariété. L'ironie, ainsi entendue, est l'expression d'un opposé par l'autre. Il y aura ironie lorsque d'un énoncé, d'un fait ou d'une situation sera affirmé son contraire. L'ironie se présentera le plus souvent sous la forme de l'antiphrase. Pour ironiser sur le mauvais temps qu'il fait dehors, j'affirmerai : « qu'il fait beau ! ». Vossius, quant à lui, affirme que « par l'emploi de l'ironie, nous disons quelque chose, mais nous ne signifions rien de ce que nous disons en termes propres12 ». La notion de contrariété se transforme ainsi en contradiction. Jankélévitch va plus loin, « l'ironie [...] pense une chose et, à sa manière, en dit une autre13 ». Cette définition, plus colorée, ajoute de l'ampleur au concept et en étend les possibilités. Vlastos, pour sa part, introduit la notion d'« ironie complexe » en suggérant que « ce qui est dit correspond et en même temps ne correspond pas à ce qui est signifié »14. L'énoncé verbal aurait deux niveaux de sens. L'un étant considéré comme vrai et l'autre faux, porteur d'un autre message. Les deux niveaux doivent être décodés par celui à qui s'adresse le message afin de conclure à un seul niveau de sens. Si j'affirme que telle cruche est grosse alors qu'elle est minuscule, celui qui recevra le message compren- dra l'ironie de l'énoncé lorsqu'il aura traduit le contenu essentiellement dualiste de l'affirmation signifiant que la cruche est petite. De ce qui précède, un élément prépondérant se dégage du concept d'ironie, c'est l'idée de dissimulation. En effet, le but immédiat de l'ironie est de déguiser sa pensée et « ce fut Socrate [...] qui l'emporta dans cet art15 ». Cet art uploads/Philosophie/l-x27-ironie-socratique-denis-bouchard.pdf

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