Alain Gras Richard Sotto La sociologie en Suède In: Revue française de sociolog

Alain Gras Richard Sotto La sociologie en Suède In: Revue française de sociologie. 1978, 19-1. pp. 125-146. Citer ce document / Cite this document : Gras Alain, Sotto Richard. La sociologie en Suède. In: Revue française de sociologie. 1978, 19-1. pp. 125-146. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1978_num_19_1_6622 R. franc, sociol., XIX, 1978, 125-146 Alain GRAS et Richard SOTTO La sociologie en Suède S'il faut en croire Erik Allardt, bien que l'analyse sociologique ait une longue tradition dans les milieux intellectuels suédois, elle n'aurait jamais produit de «pensée sociale» d'envergure (1). Si l'on y ajoute l'opinion d'Eskil Block constatant que les hommes de réflexion de son pays, pressés par les demandes utilitaires des gouvernants, se sont fatalement beaucoup plus tournés vers la science appliquée que vers la recherche fondament ale (2), on ne doit pas s'étonner que les quelques études consacrées à l'histoire de la sociologie suédoise confirment toutes qu'elle fut et demeure principalement empirique et pragmatique. Paradoxalement la sociologie est une nouvelle venue dans l'Université où elle n'entra qu'après la seconde guerre mondiale. Cela explique que l'impact anglo-saxon et principalement américain fut à ce moment très fort et renforça le courant positiviste qui, sous diverses formes, reste dominant. Cependant, au cours des quinze dernières années, cette option * Le IXe Congrès mondial de sociolo gie se tenant en août 1978 à l'Université d'Uppsala, nous tenons à citer la devise gravée sur le fronton principal car elle nous semble symptomatique d'un cer tain esprit suédois : Att tdnka fritt dr stor, att tdnka r'àtt dr stôrre/Grande est la pensée libre, plus grande est la pensée juste. (1) E. Allardt : « Ora svensk sociologi » [A propos de la sociologie suédoise] Sociologisk Forskning, n° 2, 1973, pp. 3- 21. Après avoir rédigé ce texte, nous avons eu connaissance de l'article de G. Boalt et B. Abrahamsson, « Swedish sociology : trends and prospects », Cur rent Sociology, 25, « Scandinavian socio logy», 1977, pp. 101-125. Il s'agit d'un auto-portrait qui ne modifie pas notre point de vue mais où le lecteur intéressé trouvera des informations qui complètent fort heureusement les nôtres. On doit regretter toutefois que le résumé « fran çais » paraissant dans une revue publiée sous les auspices de l'Association Inter nationale de Sociologie soit illisible. Notre article comprend, en deuxième partie, les informations bibliographiques classées par thème ainsi qu'une liste complémentaire d'ouvrages cités dans le corps du texte. Le titre est traduit entre guillemets si l'original est en suédois; il n'est pas traduit s'il est en langue an glaise. Cependant de nombreux ouvrages sortent en anglais quelque temps après leur parution en suédois, et ils comport ent parfois un résumé dans cette langue dès la première édition. En outre, l'orien tation empirique que nous étudions dans cet article implique la présence de nom breux tableaux et diagrammes qui peu vent être assez facilement déchiffrés avec un minimum de connaissances en langue germanique. Enfin, cet article étant une tentative de « sociologie de la sociologie », nous n'ayons pas mentionné, sauf cas parti culiers, les ouvrages français traitant de la Suède. (2) E. Block : « Un zoo bien entre tenu : l'Intellectuel en Suède » dans Suède : la réforme permanente, Paris, Stock, 1977. 125 Revue française de sociologie théorique a subi les assauts de plus en plus violents de la part de jeunes sociologues, souvent engagés politiquement et influencés par le marxisme d'orientation althussérienne; l'édifice « traditionnel » — tradition à la quelle il ne faut pas donner de couleur politique étant donné la longue durée d'un pouvoir de gauche (3) — n'en a pas pour autant été fortement ébranlé. 1. — La genèse Deux éléments caractérisent la situation originale de la Suède : son isolement géographique atténue l'impact des secousses politiques, sociales et intellectuelles du continent — son appartenance à la zone d'influence protestante la range dans la case « ascétique intra-mondaine » du modèle idéal-typique weberien, très utile pour « comprendre » la Scandinavie. Pour trouver les précurseurs des travaux sociologiques modernes (4), il suffit de remonter au xvni* siècle : en 1749, l'Office des tables (Tàbell- verket) établit un recensement de la population qu'il tiendra constam ment à jour, grâce en particulier à l'obligation de signaler tout change ment de paroisse (qui est toujours en vigueur). A la même époque, le Roi ordonne que soit procédé à des rapports « factuels » sur « l'état des provinces». J. Faggot écrit un compte rendu très sec et aride intitulé « Pensées sur la connaissance et la description de la Mère Patrie » (1740), tandis que le célèbre Cari Von Linné produit autant de considérations sur les conditions sociales et économiques que d'observations sur les plantes et les animaux. Enfin, au début du xixe siècle, un ouvrage de S. Grubbe, « Contribution à l'Analyse du Concept de Théorie Sociale », tente une ouverture théorique mais ne réussit pas à influencer la pensée sociale suédoise, peut-être en raison de son inspiration profondément idéaliste. A la fin du xixe siècle, la philosophie positiviste devient donc naturel lement le cadre de référence conceptuel de la pensée sociale suédoise. Plus précisément, et comme Auguste Comte lui-même le voulait, le posi tivisme s'impose comme une explication et une tentative de solution aux problèmes posés par l'industrialisation accélérée. La deuxième moitié de ce siècle est, en effet, marquée par des bouleversements sociaux : pro létarisation et urbanisation de masses paysannes, émigration gigantesque vers les Etats-Unis (5), apparition de syndicats et d'une doctrine socialiste proche du marxisme (August Palm). A cette époque, beaucoup de jeunes (3) Pour plus de détails concrets, voir dois : un ouvrage d'A. Gullberg, Till den A. Gras : Les intellectuels en Suède : svenska sociologins historia [Contribu- contestation et conformisme, Micro-édi- tion à l'histoire de la sociologie suédoise] tions Hachette, 1973 et du même auteur Stockholm, Unga Filosofers Forlag, et « Les universitaires suédois : élite intel- deux articles : l'un de G. Therborn dans lectuelle ou intellectuels de l'élite ? » Sociologist Forskning, n° 2, 1973, l'autre Revue française de sociologie 11 (3) 1970, de H. L. Zetterberg, dans Soc. Forsk., pp. 516-544, et « Social scientists in Swe- n° 1, 1966. den» Soc. Sci. inform. 11 (6), pp. 61-79. (5) Voir l'ouvrage collectif: The bio- (4) A notre connaissance, Д n'existe graphy of a people, Stockholm, Allmâna sur ce thème que des travaux en sué- Fôrlaget, 1974. 126 Alain Gras et Richard Sotto syndicalistes et militants politiques sont formés dans les Folkhogskolor (6). Leur origine paysanne les éloigne des idées révolutionnaires et, dans le dernier quart du siècle, socialisme et sociologie semblent s'opposer. L'Institut Ouvrier de Stockholm (Stockholms Arbetareinstitut) est fondé en 1880 par A. Nystrom, médecin éclairé, libéral, propagateur convaincu de la pensée d'Auguste Comte. L'éducation ouvrière se déve loppe rapidement et A. Nystrom peut alors estimer que l'enseignement des sciences exactes va faire comprendre aux classes défavorisées que les notions ď « évolution » et de « physique sociale » doivent écarter celles de révolution et de politique. Lorsque pour la première fois un socialiste, Hj almar Branting, est élu à la deuxième chambre en 1896, la fraction modérée de la social- démocratie semble dominer le parti et, du même coup, elle entame la réconciliation entre sociologie (au sens de Comte) et socialisme. Du début de ce siècle à la Grande Crise, toutes les influences sont présentes dans la réflexion à caractère sociologique. Les idées et les enga gements politiques se mêlent même d'une façon parfois étonnante. Ainsi J. C. Bjorklund se déclare anarchiste convaincu tout en professant une grande admiration pour H. Spencer. G. Steffen, militant révolutionnaire devenu réformiste avec l'âge, député au Riksdag, révèle dans son analyse de la société une inspiration venant à la fois de Comte, Mach et... Bergson (qui a reçu le prix Nobel en 1927) ! P. Fahlbeck, homme de droite, statis ticien, manifeste un grand intérêt pour les analyses en termes de classes sociales (7). Jusque là, l'Université reste obstinément fermée à la nouvelle disci pline. Ses structures germaniques rendent en effet son introduction dif ficile puisque le principe est : un professeur = un Institut. La sociologie se place donc sous les auspices de la « philosophie pratique » et l'intérêt qu'elle y suscite n'est pas indépendant de la volonté de jeunes intellectuels de briser le carcan moraliste posé sur la réflexion universitaire, avant qu'A. Hàgerstrom ne rénove la philosophie peu de temps avant la deuxième guerre mondiale. Deux événements marquent alors la naissance d'une sociologie stricto sensu. D'une part, l'arrivée de F. Croner, sociologue allemand réfugié qui fonda, en 1936, à Lund, un séminaire dans cette discipline; d'autre part, la publication des travaux d'un groupe de cher cheurs, futurs titulaires de postes en sciences sociales à l'Université : E. Tegen, EL Aakesson (8), T. Segerstedt et B. PfannenstilL Les deux pre miers s'intéressaient surtout à la psychologie sociale, T. Segerstedt était un ardent défenseur de l'empirisme positiviste, B. Pfannenstill restait plus proche de la théorie sociale. Tous avaient une foi militante dans les possi- (6) Ces « Hautes Ecoles uploads/Philosophie/la-sociologie-en-suede.pdf

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