Le désir peut-il se satisfaire du réel ? I. L’analyse II. Du sujet au problème
Le désir peut-il se satisfaire du réel ? I. L’analyse II. Du sujet au problème III. Le développement IV. Les textes I. L’analyse : trois manières de problématiser Caractériser les expériences humaines auxquelles renvoie le sujet Les sujets de philosophie ne consistent pas à jouer sur les mots, ou à organiser un débat artificiel entre quelques grands auteurs. Ils sont d’abord l’occasion de porter à la pleine conscience les réalités communes. Le premier effort consiste donc à les identifier. Le rapport du désir à la réalité au moins de trois manières. Il est d’abord frustration, lorsque celui-ci excède ma condition et en souligne l’inadéquation au regard de mes aspirations profondes (l’employé souffre alors de son emploi obscur, le ministre de ne point être roi etc.) ; il est ensuite déception lorsque le bien si longtemps convoité se révèle inférieur aux vertus dont mon imagination l’avait auparavant paré ; il est enfin rêverie, lorsque je me console de ce qui précède par de nouveaux châteaux imaginaires et me prépare peut-être ainsi de nouvelles déceptions. Le sujet invite donc à la fois à méditer sur trois figures (celle du rêveur, du frustré et du déçu), mais aussi sur le processus qui nous conduit continuellement à confronter de nouvelles fictions à l’expérience du réel. Nous pourrions sous ce rapport regarder la consommation, dans son sens le plus général, comme le cycle par lequel la fiction s’épuise dans l’action pour renaître à nouveau. Identifier l’implicite du libellé Parce qu’ils invitent à une véritable discussion, les libellés sont le plus souvent solidaires de propositions ou de prises de position de nature à amorcer la réflexion. Interroger les limites du pouvoir par exemple, c’est déjà faire de la souveraineté quelque chose de relatif, etc. Identifier un implicite ne signifie ainsi nullement deviner « ce qu’il faut dire », comme si un sujet appelait une réponse unique et spécifique, mais bien saisir une des prises que fournit le sujet pour structurer la réflexion. Il suffit de prononcer la question posée à haute voix pour entendre la réponse que le libellé semble immédiatement appeler : le désir est insatiable, rien de ce qui est ne saurait l’épuiser ou le satisfaire. Cet implicite constitue à l’évidence une proposition à caractériser et à identifier. Les expériences qui précèdent le confirmeraient du reste : le désir obéit à une logique essentiellement déceptive ; l’homme serait en cela bien inspiré de déterminer son bonheur autrement qu’en poursuivant indéfiniment ses propres désirs ; en le subordonnant à la vertu, au travail ou à la tempérance par exemple. Force propre à nous tromper, nourrie d’imaginations et de rêves creux, le désir constituerait un éloignement coupable du réel, ou de la mesure naturelle prescrite par nos besoins, que la déception et la souffrance viennent punir en vertu d’une justice en quelque sorte immanente. Le sage saura alors s’en garder à circonscrivant ses actes et ses volontés à ce que le réel lui propose. Est-il vrai pourtant que le désir ne naît en l’homme que pour nous égarer ou nous décevoir ? Faut-il voir dans le désir une force obscure, tout juste bonne à être disciplinée par les dures leçons du possible, ou éclairée par une lucidité énervante ? Ce pessimisme ne va pas de soi et mérite d’être interrogé. L’approche référencée Si la dissertation n’est pas une rhapsodie de citations ou l’étalage complaisant de son savoir mais bien le traitement raisonné d’un problème, le recours à sa culture personnelle, qu’elle soit artistique, littéraire ou philosophique, permet souvent de se donner immédiatement une base de réflexion. Naturellement, cette approche par référence demande du jugement et de la finesse, car le risque est grand de « plaquer » une référence sur un sujet au point d’en manquer les nuances ou les spécificités. Nous partons ici d’un des grands « classiques » du roman français. Madame Bovary s’est constitué en œuvre paradigmatique des fatalités propres à l’insatisfaction comme des dangers de l’imagination. Flaubert y dépeint une femme qui laisse ses rêves gouverner ses désirs, et ceux-ci, en retour détruire sa vie et sa famille. Le tragique du récit, à peine tempéré par l’ironie imprégnant cette étude de mœurs, apparaît philosophique par son ambivalence. D’un côté le roman déploie en effet l’histoire d’une pathologie morale dans laquelle Flaubert place une partie de la vérité (selon lui) du courant romantique, de l’autre la vivacité de la peinture confère à ce récit pourtant à charge une véritable universalité et un pathétique indéniable. En effet, si tous nos proches ne sont des Charles Bovary, du moins retrouvons- nous en Emma une expérience commune de nos désirs : ceux-ci paraissent en effet trouver dans l’imagination leur élément propre, et dans le réel leur croix et leur tombeau. Emma n’aurait-elle pas gagné à continuer de rêver sa vie, plutôt que de gâcher ses rêves dans la folle entreprise de les vivre ? II. Du sujet à la problématique L’analyse a dégagé plusieurs difficultés propres au libellé. Il s’agit désormais de les rassembler en une formulation unique. Celle ci doit-être synthétique (c’est-à-dire couvrir l’essentiel du champ que l’analyse à mis à jour) et opératoire, car la problématique a d’abord pour but de commander un développement. Le problème Nous proposons ici une rédaction de l’analyse du sujet, occupant traditionnellement le second paragraphe d’une introduction de dissertation. Le candidat pourra prendre en modèle d’accroche (premier paragraphe), l’une des trois approches développées dans la section précédente. A la différence des animaux, nos actions ne trouvent pas dans la nature une borne claire. Être de désir et d’aspiration, plutôt que d’instinct et de besoin, l’homme nourrit ainsi nécessairement ses actes de ses rêves et de ses imaginations. Au commencement de l’ambition, il y a par exemple un rêve de grandeur, comme à celui de l’amour, une rêverie galante. Le désir a ainsi parti lié avec l’imagination, dont il tire sa force et son inépuisable fertilité. Nous désirons moins des choses en effet que les images que nous nous en formons, et qui agitant notre esprit, nous laissent sans repos et sans contentement. Si le besoin est donc prosaïque, par sa simplicité même, le désir se nourrit pour sa part de fiction et échappe à toute borne : le repas comble la faim, pas les rêveries du gourmand. On comprend donc que le désir prépare en cela de douloureuses déceptions aux rêveurs, et justifie d’avance le discours des sages : mieux vaut oublier ses désirs et chercher à se satisfaire dans la réalité plutôt que dans ses rêves. Toutefois, le désir vaut peut-être mieux que cette morale du renoncement. Devons-nous en effet réellement regarder l’homme comme l’être pour qui la réalité sera toujours nécessairement décevante ? Tel sera le problème que nous chercherons à traiter. Le traitement Voici une rédaction de l’annonce de plan (troisième paragraphe de la dissertation) : le traitement constitue ici le développement naturel de l’interrogation élaborée plus haut. Nous commencerons par montrer ce qu’il y a de proprement humain à régler ses désirs non sur les bornes de la nature, mais en vertu de ce qui « n’existe pas » : nos idées, notre fantaisie. Notre humanité profonde se joue en effet justement dans cette faculté d’insatisfaction d’où procèdent nos plus nobles ambitions (I). Mais il nous faudra reconnaître dans un second temps en quoi cette disposition essentielle expose structurellement l’homme noble aux déceptions et aux déconvenues : le pessimisme sera ainsi reconnu non comme la vérité du désir, mais comme son risque propre (II). Nous soutiendrons ainsi que l’insatisfaction doit se constituer moins en condition douloureuse qu’en vocation et en position morale qu’il s’agit au contraire d’assumer pleinement. Si le désir consiste bien à défier la réalité, c’est qu’il y a un héroïsme et une noblesse à se vouloir insatiable (III). Au fond le devoir est ainsi tout entier orienté par la volonté d’établir les deux propositions suivantes : (1) Non en effet, le désir ne saurait se satisfaire du réel, (2) Il n’y a toutefois pas matière à s’en plaindre : l’insatisfaction n’est pas un malheur à surmonter, mais un moteur pour notre liberté. On voit également que la dissertation n’a pas pour but d’agencer des références, mais de permettre l’expression d’une position argumentée sur un aspect de la réalité humaine. III. Le Développement Le développement proposé est tout entier commandé par la problématique choisie. Le devoir procédant du général au particulier, ce sont les trois grandes idées générales qui doivent primer dans la construction : les arguments et les exemples organisés en sous-parties ont ainsi surtout vocation à étayer et à illustrer un raisonnement qui constitue, lui, l’essentiel du devoir. Nous choisissons dans ce même esprit de souligner l’importance des transitions qui permettent de résumer et de structurer le propos à mesure qu’il progresse dans l’élucidation du problème. 1. L’insatisfaction est le moteur proprement humain du désir : l’homme ne saurait légitimement trouver dans le réel une borne à ses aspirations. On ne borne point les désirs sur ce qui est L’usage est de regarder nos désirs et nos rêves comme les préludes uploads/Philosophie/ le-desir-peut-il-se-satisfaire-du-reel.pdf
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- Publié le Sep 30, 2021
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