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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Louis Lavelle : la philosophie, chemin de sagesse » Bernard M.-J. Grasset Laval théologique et philosophique, vol. 63, n° 3, 2007, p. 495-514. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/018174ar DOI: 10.7202/018174ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 17 January 2017 06:55 Laval théologique et philosophique, 63, 3 (octobre 2007) : 495-514 495 LOUIS LAVELLE : LA PHILOSOPHIE, CHEMIN DE SAGESSE Bernard M.-J. Grasset Institut Universitaire de Technologie La Roche-sur-Yon RÉSUMÉ : Pour Louis Lavelle qui voulait écrire De la sagesse comme un couronnement de son œuvre, la question de la sagesse se trouve au centre même de la philosophie. Le sage s’inter- roge sur le sens de l’existence. Par la sagesse, l’homme, être libre et temporel, choisit les pos- sibles qui le rapprochent de l’Être. La sagesse lavellienne est une sagesse de l’amour, de l’esprit et de l’être. L’ami de la sagesse, homme de raison et d’intériorité, découvre dans l’amour la cime et l’essence des valeurs. La pensée lavellienne de la sagesse, gravitant autour de la notion d’esprit, unit des sources bibliques, spirituelles, mystiques à des sources purement philosophi- ques. À la fois théorique et pratique, cultivant un idéal grec de modération et de mesure, la sagesse aspire à la lumière de la présence. ABSTRACT : For Louis Lavelle who wanted to write De la sagesse as a crowning of his work, the question of wisdom stands in the very centre of philosophy. The wise questions the meaning of existence. Thanks to wisdom, man, a free and temporal being, chooses the possible realities that bring him closer to Being. Wisdom in Lavelle’s sense is a wisdom of love, of mind and of being. The friend of wisdom, a man of reason and interiority, discovers in love the summit and the essence of values. Lavelle’s thought on wisdom, gravitating around the notion of mind, brings together biblical, spiritual, mystic sources and purely philosophical sources. Both theo- retical and practical, cultivating a Greek ideal of moderation and measure, wisdom aspires to the light of presence. ______________________ I. LA PHILOSOPHIE 1. Du fini à l’infini près Marx, Freud, Nietzsche, la philosophie se développe désormais au XXe siè- cle dans l’absence du divin. La lecture biblique n’est plus inséparable de l’acti- vité philosophique ; le texte sacré se trouve dévalorisé, mis de côté, en marge, oublié. Toutefois, à l’intérieur de cette atmosphère désacralisante dominante, il est certains philosophes qui, sans être des exégètes comme l’étaient les Pères, Pascal, ont cher- ché, par fidélité à une exigence intérieure en même temps qu’à la raison, à penser dans une certaine harmonie avec la Révélation. Louis Lavelle (1883-1951) en paraît l’un des meilleurs représentants. A BERNARD M.-J. GRASSET 496 Inséré dans un monde qui le dépasse, le philosophe est appelé à questionner et à risquer les réponses les plus justes1. À l’intérieur du tout, il convient d’explorer la profondeur de l’énigme. Le philosophe élèvera ainsi sa pensée jusqu’à l’être, cet être d’où jaillit le sens. La philosophie de Lavelle se donne d’abord à entendre comme une philosophie de l’être2. Exister revient à appartenir à l’être. Cet être n’est pas sta- tique, il est acte, don généreux de sa vivante plénitude3. L’être brille comme un foyer rayonnant par-delà toute connaissance. La philosophie, qui « nous place au cœur de l’être », se présente comme « une ontologie4 ». La pensée philosophique convertit l’homme de l’apparence à l’essentiel, cet essentiel que découvre l’esprit. L’ontologie lavellienne se définira comme une ontologie spirituelle, résolument étrangère au ma- térialisme, à cette stérile réduction de l’être à la matière. Cette ontologie spirituelle qui vise à conduire du fini à l’infini ne rejette ni l’intelligence, ni la raison. Le chemin de l’être n’ignore pas la nécessité de l’intellect, de l’analyse réflexive. On retrouve même chez Lavelle des définitions de l’absolu similaires à celles des philosophes classiques de la raison ou encore de la scolastique5. Accueillant la raison, ses ressour- ces spéculatives, l’héritage de la philosophie classique et moderne, il n’y enclôt pas pour autant sa pensée. Il sait que la raison ne peut atteindre l’être en sa présence spi- rituelle. « La raison est incapable de se suffire6. » Une pensée qui aspire intensément à l’infini rencontre intérieurement la religion comme le contrepoint indispensable de la raison et qui lui donne sens. La raison s’exauce dans la religion. La philosophie de l’esprit séjourne dans la raison mais sans jamais s’y emprisonner. Le philosopher ne se réduit pas au raisonner. L’ontologie spirituelle déchiffre les signes vivants de l’absolu dans l’existence humaine. Philosopher, c’est tendre à relier par la pensée le fini à l’in- fini, le multiple à l’Unité, les êtres à l’Être. Conjuguant étroitement action et contem- plation, la philosophie doit rester humble devant le secret de la vérité. Il y a une ex- périence indicible du divin qui transcendera toujours la geste des philosophes. 2. Temps, liberté et humanité Le chemin vers l’être se dessine comme un chemin vers l’éternité. L’existence humaine se caractérise par son immersion dans la temporalité. Qu’est-ce que le temps sinon la question essentielle pour un être fini qui a à se créer lui-même dans l’écho de 1. « […] la philosophie doit chercher la signification la plus profonde de l’univers et de la vie […] » (Louis LAVELLE, La philosophie française entre les deux guerres, Paris, Aubier Montaigne, 1942, p. 252). 2. « Tout savoir vise à nous donner une représentation de l’être : mais dans la philosophie, c’est l’être même que nous cherchons à atteindre » (De l’intimité spirituelle, Paris, Aubier Montaigne, 1955, Métaphysique de la participation, p. 212). Dans la conclusion de De l’être, l’auteur écrit de « ce beau mot d’être » qu’il est « le plus beau du langage humain » (Paris, Aubier Montaigne, 19473, p. 298). 3. L’être « ne cesse de s’offrir » aux existences (Louis LAVELLE, Introduction à l’ontologie, Paris, PUF, 1947, p. 133). 4. De l’intimité spirituelle, p. 212. 5. L’être « est véritablement cause de soi », il « est un acte qui porte en lui-même sa propre raison d’être » (Introduction à l’ontologie, p. 131, 133). En lui se trouve « la raison d’être de toute chose » (ibid., p. 20). 6. Règles de la vie quotidienne, Orbey, Arfuyen, 2004, p. 97. LOUIS LAVELLE : LA PHILOSOPHIE, CHEMIN DE SAGESSE 497 l’Être-Source ? Vivre dans le temps revient à éprouver l’expérience de la finitude7. Mais la pensée lavellienne ne dissocie jamais la temporalité de l’éternité. « Le temps se déploie à l’intérieur de l’éternité8. » S’il y a une misère de la temporalité, elle de- meure constamment éclairée, aux yeux de la sagesse, par la lumière de l’Être éternel. Toute notre destinée se joue dans ce battement voilé entre temps et éternité. Par la liberté l’homme peut « choisir entre le temps et l’éternité », « préférer toujours l’éter- nité au temps9 ». L’ami de la sagesse comprend que la temporalité ne constitue pas le dernier mot de l’existence mais qu’entre les lignes des jours parle l’au-delà du temps10. Le temps est le chemin de l’éternité. Nos rencontres avec autrui oscillent entre tempo- rel et éternel. À la pointe la plus aiguë de l’expérience du temps, il y a la conscience de sa mortalité. « Vivre spirituellement, c’est vivre comme si nous devions mourir tout à l’heure11 ». L’oubli de la mort exile l’homme dans la matière, le superficiel. Il faut se souvenir de notre finitude et regarder la disparition de l’autre dans le silen- cieux éclat du vrai. La mort « nous révèle l’essence des êtres avec lesquels nous avons longtemps vécu12 ». La mort est ouvrière de vérité. La philosophie lavellienne prend en compte le mal, la souffrance et la mort, et ses intuitions témoignent souvent d’une rare justesse de vue, mais tout se trouve réconcilié un peu trop vite dans la lu- mière. Le temporel apparaît sans cesse absorbé dans l’éternel. « Lavelle minimise […] le drame de la mort13 ». Il n’y a pas chez lui la déchirure, la blessure, le tragique du disparaître. Le cri biblique de Job, résumant l’humanité douloureuse, devant l’inex- plicable du malheur, l’angoisse pascalienne face à notre condition de condamné à mort, sont un peu trop oblitérés. En même temps qu’il est un être de la temporalité, l’homme est un être de la liberté. Comme la Bible, Lavelle pense que l’humain a reçu l’insigne privilège de vivre dans la liberté. « […] Dieu a fait de l’homme uploads/Philosophie/louis-lavelle.pdf

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