L’intersubjectivité chez Michel Henry comme passage de l’« égoïté » à la « nost
L’intersubjectivité chez Michel Henry comme passage de l’« égoïté » à la « nostrité » Robby MANDIANGU Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius - Kinshasa La phénoménologie husserlienne aboutit à une philosophie du sujet, pour laquelle la subjectivité s’ouvre au monde par l’intentionnalité afin de mieux en englober les phénomènes. Chez Husserl, le sujet franchit le pas vers la subjectivité transcendantale, ratée par le cogito cartésien1. En retraçant le cheminement philosophique de Husserl, on voit bien ce qui le conduit à développer une phénoménologie transcendantale par le détour du cartésianisme et de son projet d’unification du savoir. Le passage à une philosophie transcendantale ainsi accompli à travers l’égologie husserlienne se démarque du rationalisme cartésien en ce qu’il ne s’attache plus uniquement à « déterminer le sens que peut avoir la certitude et la vérité pour chaque domaine de l’être »2 ; il vient en outre nous rappeler le drame de notre monde, le drame de la socialité que vit notre monde au quotidien. Ce drame est celui de la subordination de la relation à autrui au sens que lui donne l’ego. Autrui, que Husserl désigne comme un alter ego, est pris dans les rouages d’une relation au sein de laquelle il n’est que l’objet du spectateur transcendantal qu’est l’ego. Le centre de tout phénomène est l’ego, pour qui autrui ne peut être qu’un alter. Semble s’imposer alors la nécessité d’un éclatement du centre, d’un décentrement de type derridien. C’est le cri que lancent les critiques de la conception husserlienne du sujet. Le subjectivisme auquel aboutit Husserl ne peut rendre compte d’une relation harmonieuse avec autrui. Le terme propre pour caractériser une telle relation est l’impérialisme. C’est là qu’éclate au grand jour l’aspect négatif de tous les termes formés sur la racine « ego ». Ces termes ont la particularité de mettre en exergue l’impérialisme de l’ego qui confisque toute donation possible de sens. La conséquence du subjectivisme husserlien dans la vie ordinaire ne peut être que la domination exercée sur autrui. C’est cette relation à autrui, élaborée à partir de l’intentionnalité, que vient critiquer Michel Henry. En effet, la pensée de Michel Henry exclut l’intentionnalité comme ouverture du sujet à toute forme d’altérité. L’intersubjectivité que Michel Henry élabore ne se déploie pas à partir d’une quelconque extase intentionnelle ; elle 1 Edmund Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, trad. par G. Peiffer et E. Levinas, Paris, Vrin, [1931] 1953, p. 21. 2 Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1982, p. 8. brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by UCLouvain: Open Journal Repository (Université catholique de Louvain) est de part en part immanente. Pour mieux saisir cette conception immanente de l’intersubjectivité que propose Michel Henry, il faut questionner la manière dont il comprend la phénoménologie elle-même, car la critique qu’adresse Michel Henry à l’intersubjectivité husserlienne, et même à toute l’entreprise phénoménologique classique, ne se développe pas pour autant en dehors de la phénoménologie ; au contraire, elle demeure purement phénoménologique en ce que les difficultés que soulève la question d’autrui dans la cinquième des Méditations cartésiennes appellent à ce qu’on revisite les fondements mêmes de la phénoménologie. Il faut donc saisir à sa source la compréhension henryenne de la phénoménologie. Un élément important mis à l’écart par la phénoménologie husserlienne dans sa considération d’autrui est l’affectivité. Michel Henry, en considérant la Vie comme pathos, consacre le passage d’une égoïté à une nostrité. Par « nostrité » il faut entendre, avec Emmanuel Housset, « une communauté, antérieure à l’égoïté »3, dans lequel nul n’est au centre, ni l’ego, ni l’alter ego, mais plutôt la Vie elle-même, fondement le plus originaire. Ce retour à la « nostrité » est à proprement parler un décentrement, qui place l’expérience d’autrui dans l’immanence radicale de la Vie. La présente étude, qui s’abreuve largement de Phénoménologie matérielle et de C’est moi la vérité, entend reprendre le cheminement henryen en soulignant les distances qu’il prend par rapport à la phénoménologie husserlienne. C’est un cheminement qui part de la critique de l’intersubjectivité intentionnelle, comprise comme transposition aperceptive ; il passe par la découverte de la vie comme immanence puis comme pathos, afin d’y ressaisir l’élément commun qui doit faire advenir la communauté inhérente à la nostrité. Il faut, pour mieux entrer dans l’esprit de la philosophie henryenne, comprendre comment se constituent les individus qui forment ladite communauté. On découvre alors une relation pathétique, qui contourne l’incapacité de la phénoménologie husserlienne à atteindre la subjectivité de l’autre, puisque la communauté du pathos signifie qu’en moi et en l’autre c’est toujours la Vie qui s’auto-affectionne, c’est toujours la même subjectivité originaire qui se donne à chacun de nous. Mais, comme nous le verrons, cette relation pathétique est aussi une Archi-relation, en ce sens qu’elle est au fondement de toute relation possible. 1. L’intersubjectivité intentionnelle chez Husserl : une transposi- tion aperceptive Dans la cinquième des Méditations cartésiennes, Husserl fait reposer la relation à autrui sur trois présuppositions qui se fondent sur l’intentionnalité. Ces présuppositions reprennent le questionnement phénoménologique par excellence : 3 Emmanuel Housset, L’intelligence de la pitié. Phénoménologie de la communauté, Paris, Cerf (coll. « La nuit surveillée »), 2003, p. 106. 96 Revue internationale Michel Henry – n°7 / 2016 celui du comment de la donation, du mode selon lequel les phénomènes se phénoménalisent. L’intentionnalité husserlienne suppose l’image d’un Dehors primordial dans lequel toute phénoménalisation se produit. La relation à autrui advient elle aussi dans ce Hors de soi, dans cette ek-stase. Mais avant tout, Husserl subordonne la présence d’autrui pour moi à l’expérience que j’en fais : toute expérience d’autrui, dans sa quiddité et dans son existence réelle, se fait selon Husserl dans ma vie intentionnelle. Et, en tant que telle, cette expérience n’est pas différente de toute expérience que je peux faire. L’autre se découvre comme inscrit dans ma propre expérience au titre de corrélat intentionnel, comme apparition noématique, qui a lieu à l’intérieur d’un monde. Pourtant, la dimension transcendantale que prend l’expérience d’autrui dans la cinquième des Méditations cartésiennes ignore la réalité quotidienne de l’expérience d’autrui qu’est l’épreuve de celui-ci que nous retrouvons dans toutes les modalités de la vie avec l’autre. Cette vie avec autrui est sym-pathie sous toutes ses formes, dans l’émotion, le désir, le sentiment de présence et d’absence, l’amour et la haine, la solitude, etc. En ce sens, Husserl ne prend pas en compte la vie concrète avec autrui, la vie « interpathétique ». Dans la cinquième des Méditations cartésiennes, la saisie intentionnelle qui fonde l’expérience d’autrui procède d’une abstraction de tout ce qui est étranger à l’ego, pour remonter à sa « sphère d’appartenance », au propre de l’ego. Dans cette sphère d’appartenance qui advient dès que la différence aux autres est écartée, l’ego se retrouve comme ayant une nature propre, différente de la nature objective et qui inclut son corps organique, différent des autres corps. Plus exactement, dans cette nature réduite à la sphère d’appartenance de l’ego, ce dernier se découvre comme unité psycho-physique pour laquelle les autres ne sont que des choses. C’est dans cette sphère et les éléments qu’elle inclut que l’expérience de l’autre doit être constituée. Michel Henry remarque en effet que ces éléments sont tous des éléments mondains, déchus de leur statut originel dès qu’il ne s’agit plus du corps des autres mais du mien, de mon Je Peux, de mon ego. Ils sont déchus en ce sens que l’apparition qui sert de fondement à leur être et à sa compréhension, c’est leur apparition dans ce premier monde qu’est le monde de l’appartenance. Ou pour dire les choses autrement, il s’agit partout et toujours de réalités constituées.4 Par la méthode de la réduction, nous aboutissons à un ego qui se découvre comme donné à lui-même, mais qui doit faire cependant l’expérience des choses extérieures, l’autre étant compris parmi celles-ci. Plus précisément, l’expérience de l’autre que fait l’ego est celle d’un alter ego. Cette expression même d’« alter ego » est pleine de sens car il souligne la centralité de l’ego qui a son alter devant lui. C’est seulement en référence à lui-même que l’ego peut avoir un alter ego. L’ego en tant 4 Michel Henry, PM, p. 143. R. MANDIANGU, « L’intersubjectivité chez Michel Henry » 97 que moi originel est le donateur de sens de l’autre, et ce dans toutes les expériences qu’il peut en avoir5. Cet alter ego, dont l’ego fait l’expérience, est perçu comme un corps, objet parmi ceux apparaissant dans la sphère d’appartenance de l’ego lui-même. La saisie de ce corps comme organisme, c’est-à-dire comme corps qu’habite un ego, se fait par une « transposition aperceptive » ou « aperception assimilante » à partir du corps propre de l’ego. C’est puisqu’il se connait lui-même comme unité psycho-physique, comme un corps habité par un esprit, que l’ego, par analogie et ressemblance, transpose sa propre constitution, dans un transfert de sens, en l’autre. Ce transfert de sens qu’est l’analogie aperceptive est foncièrement limité en ce qu’il ne permet aucunement d’atteindre uploads/Philosophie/ l-x27-intersubjectivite-chez-michel-henry-comme-passage-de-l-x27-egoite-a-la-nostrite.pdf
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- Publié le Mar 14, 2021
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