Éditorial MARX ET LE POLITIQUE Yves Charles Zarka Presses Universitaires de Fra
Éditorial MARX ET LE POLITIQUE Yves Charles Zarka Presses Universitaires de France | « Cités » 2014/3 n° 59 | pages 3 à 9 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130628750 DOI 10.3917/cite.059.0003 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2014-3-page-3.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Marx, Manifeste communiste. À la question : qu’est-ce que le politique pour Marx ?, on ne saurait donner une réponse unilatérale. En un sens en effet le politique occupe une place centrale dans sa pen- sée : il est en effet inscrit dans l’histoire même de la lutte des classes dont on sait qu’elle est une guerre sans répit qui traverse l’histoire des socié- tés. Celle-ci, mue par l’opposition des oppresseurs et des opprimés, est marquée « soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte1 ». La lutte des classes n’a pas seulement une dimension économique et sociale, marquée 1. Marx, Manifeste communiste, Paris, Gallimard, Œuvres, édition Maximilien Rubel, Économie 1, p. 162. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) Éditorial Yves Charles Zarka 4 par le rapport entre modes de productions successifs et rapports de pro- duction, mais aussi politique. Cette dimension politique empêche de don- ner une vision purement déterministe de son cours. Elle y introduit la contingence : soit une transformation révolutionnaire, soit l’effondrement commun des classes en lutte. Certes, il y a une inévitabilité historique du moment révolutionnaire soulignée en particulier à propos du dévelop- pement de la société bourgeoise qui produit des transformations jamais connues auparavant sur le plan du travail, de la valeur, de l’échange et de la consommation, par l’universalisation de la forme marchandise, et crée par là même la classe révolutionnaire qui la renversera et établira une société nouvelle. Mais, la contingence du moment révolutionnaire n’en est pas pour autant réduite : pour que le prolétariat se rende maître des forces productives de la société et de leur mode d’appropriation, il faut qu’il se constitue en classe, qu’il s’élève donc à la conscience politique : « le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis pro- létariens : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domi- nation bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat2 ». Or, précisément cette prise du pouvoir, si inévitable qu’elle soit, en fonction même de l’homogénéisation par le bas des conditions de vie du monde du travail produite par la logique de l’accroissement du capital, enveloppe une contingence fondamentale quant au moment où elle pourra advenir et de son résultat. « La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie ; c’est dire que l’existence de la bourgeoisie et l’existence de la société sont devenues incompatibles3 », mais le résultat de cette incompatibilité sera-t-il nécessai- rement positif ? La possibilité d’un effondrement, d’une ruine commune n’est-elle pas possible ? Une telle possibilité n’est-elle pas envisagée quand Marx écrit que la société bourgeoise livre périodiquement non seulement ses propres produits mais les forces productives elles-mêmes à la destruc- tion : « Une épidémie sociale éclate, qui, à tout autre époque, eût semblé absurde : l’épidémie de la surproduction. Brusquement la société se voit rejetée dans un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre de destruction universelle lui ont coupé les vivres ; l’industrie, le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d’industrie, trop de commerce4 ». La jus- tesse de cette analyse de la surproduction destructrice en société capitaliste, 2. Ibid., p. 174. 3. Ibid., p. 173. 4. Ibid., p. 167. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) Éditorial Marx et le politique Yves Charles Zarka 5 et cela au niveau international parce que le capitalisme résout ses crises en les déplaçant dans le monde5, liée à la réduction à la misère d’une très grande part de la population mondiale, outre qu’elle s’est largement véri- fiée dans l’histoire, ne suggère-t-elle pas la contingence fondamentale de son issue ? Cette contingence tient précisément au relais politique de la crise qui maintient le résultat en suspens. Certes Marx n’avait pas vu que le capitalisme pourrait ouvrir une autre voie susceptible d’éviter l’alternative entre la révolution et l’effondrement, pour maintenir donc son hégémonie par la mondialisation. Mais la contingence de l’histoire est irréductible en fonction même de la place centrale qu’y joue le politique. Le politique c’est donc une dimension contingente de l’histoire. Mais cela ne nous dit pas ce qu’il est en lui-même. Pour y parvenir, il faut revenir à la lutte : le politique est le lieu d’un affrontement historiquement déter- miné en fonction de la nature de l’antagonisme de classe. Le politique c’est la guerre, mais pas une guerre intemporelle : une guerre déterminée par le système de propriété et les rapports sociaux qu’il implique. Le caractère de l’antagonisme en société bourgeoise tient à la simplification et à l’homo- généisation de la lutte qui auparavant ne pouvait se ramener à l’affron- tement de deux classes tant au niveau national qu’au niveau international. Le capitalisme produit la nation et son dépassement : « La bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La centralisation politique en a été la conséquence fatale6 ». Cette homogénéisation est le ressort de la constitution des territoires et des populations en nations et de son dépassement parce que « le travail industriel moderne, l’asservissement au capital – le même en Angleterre, en France, en Amérique et en Allemagne – ont dépouillé le prolétariat de tout caractère national7 ». Les conditions de la lutte prennent un caractère politique mondial. On comprend donc que la détermination du politique comme guerre prenne une forme inédite dans la société bourgeoise avec la constitution du prolétariat comme classe dont l’existence même est révolu- tionnaire : « Le prolétariat passe par différentes phases de développement. 5. « Comment la bourgeoisie surmonte-elle ses crises ? D’une part, en imposant la destruction d’une masse de forces productives ; d’autre part, en s’emparant de marchés nouveaux et en exploitant mieux les anciens », ibid. 6. Ibid., p. 166. 7. Ibid. p. 172. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.126.133.91) Éditorial Yves Charles Zarka 6 La lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même8 ». La société bourgeoise produit et accroît la puissance de son ennemi. Le politi- que, pensé en termes de guerre, trouve donc dans le capitalisme le moment de sa vérité et de son effectivité les plus radicales. Cette détermination du politique par la lutte sous-tend l’analyse marxienne du pouvoir et de l’État. La forme institutionnelle que prend le politique, c’est le pouvoir souvent identifié à l’État, lui-même considéré comme un instrument de la domination de classe : « la bourgeoisie a réussi à conquérir de haute lutte le pouvoir politique exclusif dans l’État repré- sentatif moderne : la grande industrie et le marché mondial lui avaient frayé le chemin. Le pouvoir d’État moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de toute la classe bourgeoise9 ». L’institutionnalisation du pouvoir dans l’État représentatif est la condition de la pérennité de la domination par ses effets juridiques, c’est-à-dire idéologiques par la trans- formation d’intérêts particuliers en normes universelles : « vos idées uploads/Politique/ 22bun-bun-mda.pdf
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- Publié le Apv 16, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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