DIPLOMATIE CULTURELLE ET DIPLOMATIE PUBLIQUE : DES HISTOIRES PARALLÈLES ? Matth

DIPLOMATIE CULTURELLE ET DIPLOMATIE PUBLIQUE : DES HISTOIRES PARALLÈLES ? Matthieu Gillabert Presses Universitaires de France | « Relations internationales » 2017/1 n° 169 | pages 11 à 26 ISSN 0335-2013 ISBN 9782130788270 DOI 10.3917/ri.169.0011 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Où se situe la diplomatie culturelle dans l’archipel des diplomaties sportive, universitaire, musicale, scientifique ? Est-elle une diplomatie de niche parmi d’autres ? Ou alors devrait-on la considérer comme un concept générique ? Les dif- férentes formes de diplomaties, en dehors des diplomaties politique, éco- nomique et militaire, appartiendraient à la diplomatie culturelle, au risque parfois d’une certaine dilution conceptuelle. La distinction entre le culturel, le politique, l’économique et le stra- tégique est, depuis le cultural turn des années 1970-1980, difficilement perceptible1. Dans ces différents domaines, tous les acteurs des relations internationales se retrouvent pris dans le jeu des représentations et des valeurs2. La nouvelle histoire diplomatique qui se concentre sur l’étude des pratiques, des réseaux et de la matérialité intègre la dimension culturelle, cherchant à comprendre le comportement des acteurs, leurs sociabilités, ainsi que les valeurs, les normes et les expériences qui influent sur leurs décisions. Comme le souligne Akira Iriye, « toutes les relations interna- tionales sont à la base des relations interculturelles3 ». Ce postulat amène 1. En parlant du séminaire sur les relations culturelles internationales inauguré en 1991 à l’Institut d’histoire du temps présent, Pascal Ory fait lui-même le lien entre le « grand mouvement culturaliste » et l’histoire des relations internationales. Pascal Ory, « Introduction », in Anne Dulphy, Robert Frank, Marie-Anne Matard-Bonucci, Pascal Ory (dir.), Les Relations culturelles internationales au xxe siècle. De la diplomatie culturelle à l’acculturation, Berne, Peter Lang, 2010, p. 16. 2. Volker Depkat, « The “Cultural Turn” in German and American Historiography », Amerikastudien/American Studies, vol. 54, n° 3, 2009, pp. 425-450. 3. Akira Iriye, « Postface », in Alain Dubosclard, Laurent Grison, Laurent Jean-Pierre, Pierre Journoud, Christine Okret, Dominique Trimbur (dir.), Entre rayonnement et réciprocité. Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 182. Diplomatie culturelle et diplomatie publique : des histoires parallèles ? © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 18/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.240.113.94) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 18/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.240.113.94) Matthieu Gillabert 12 les chercheurs à se pencher plus sur les différents acteurs des relations inter- nationales que sur les relations internationales elles-mêmes4. Or, la diplomatie culturelle se confond parfois avec la diplomatie publique, concept proche, issu pourtant d’une autre tradition historiogra- phique. Toutes deux se situent dans une nébuleuse qui englobe à la fois les échanges culturels, le national branding et le soft power5. Elles articulent la diffusion de représentations et de contenus culturels et leur impact sur des publics plus larges que celui des diplomates. Elles ont également en commun d’être prises en charge par des structures étatiques ou paraéta- tiques, ce qui ne les empêche pas de s’appuyer sur des réseaux et des canaux plus informels. Elles font appel à un « agencement d’éléments hétérogènes » – différents acteurs institutionnels, mais également différents supports et canaux d’informations – mis en place pour transformer les individus : en suivant Nicolas Dodier et Jeannine Barbot, ces formes de diplomaties cor- respondent bien à des dispositifs6. Promouvant la culture qu’ils véhiculent, ces dispositifs ont pour but premier de l’utiliser pour favoriser les contacts ou pour tenter de convaincre des opinions publiques étrangères. Dans cette perspective, ils euphémisent le terme de propagande7. Cependant, ces deux formes de diplomaties gardent leurs spécificités. Pour sa part, la diplomatie culturelle conserve des liens – conceptuels, voire institutionnels – très étroits avec la politique culturelle et, plus lar- gement, avec certains acteurs du champ culturel. La diplomatie publique, quant à elle, s’inscrit davantage dans la communication politique et le dis- positif instrumentalise plus explicitement les contenus culturels diffusés par ce canal. Or, il y a bien une dimension de communication politique, voire idéologique, dans la première, tout comme la seconde recourt à des pro- ductions culturelles et des représentations pour appuyer son discours. Ces politiques seraient-elles analogues, ou les deux faces d’une même politique de projection vers l’étranger ? La diplomatie publique serait-elle une forme de diplomatie culturelle dans un contexte de tensions, comme durant la Guerre froide ? Ou alors ces deux politiques publiques seraient-elles liées à des traditions nationales, privilégiant soit le soutien à la promotion cultu- relle, soit une communication à l’étranger sur le positionnement du pays ? 4. Le réseau informel « New Diplomatic History », qui a organisé un premier colloque interna- tional à Leyde en 2013, propose de renouveler l’histoire de la discipline grâce à l’interdisciplinarité et en se focalisant sur l’étude des « individuals and groups of individuals who perform diplomatic roles » (des indi- vidus et des groupes d’individus qui jouent des rôles diplomatiques). Blog « New Diplomatic History », http://newdiplomatichistory.org/about/, site consulté le 15 novembre 2016. 5. Ces multiples dénominations sont déjà pointées dans un rapport du Conseil de l’Europe en 1974 cité dans Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried, « The Model of Cultural Diplomacy. Power, Distance, and the Promise of Civil Society », in Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried (eds.), Searching for a Cultural Diplomacy. Explorations in Culture and International History, New Y ork/ Oxford, Berghahn, 2010, p. 13. 6. Nicolas Dodier, Janine Barbot, « La force des dispositifs », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2016, n° 2, pp. 422-423. 7. Étienne F . Augé, Petit traité de propagande à l’usage de ceux qui la subissent, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2015, pp. 21-23. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 18/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.240.113.94) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 18/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.240.113.94) Diplomatie culturelle et diplomatie publique : des histoires parallèles ? 13 Une historicisation croisée et une mise au point historiographique sur ces deux notions permettent de définir les enjeux de ce champ de recherche et de le délimiter : ce sont les deux premiers points traités dans cet article. Dans un troisième temps, cette contribution interroge différents paramètres qui favoriseraient l’utilisation d’un concept plutôt qu’un autre. Est-ce que ces formes de diplomaties se succèdent dans le temps ? Sont- elles liées à des contextes historiques particuliers ? Ou varient-elles en fonction des publics ? Cette taxonomie permettrait ainsi d’utiliser l’expres- sion diplomatie publique dans des situations plus précises, et d’opter pour d’autres concepts selon les périodes. HISTOIRE PARALLÈLE DE LA DIPLOMATIE CULTURELLE ET DE LA DIPLOMATIE PUBLIQUE De tout temps, la culture a été instrumentalisée par les pouvoirs pour rayonner ou pour fortifier les relations diplomatiques. Toutefois, comme le souligne Jean-François Fayet, la diplomatie culturelle telle qu’elle est pra- tiquée au xxe siècle est tributaire des administrations étatiques développées dans le contexte impérialiste de la seconde moitié du siècle précédent8. D’autres facteurs expliquent son émergence à l’époque contemporaine, dont voici les principaux. D’abord, au tournant du xxe siècle, l’émigration économique, la colonisation et l’essor de la diplomatie créent des communautés de res- sortissants à l’étranger qui favorisent la diffusion de leur culture natio- nale dans leur nouveau lieu de résidence et sont rapidement considérés comme des relais par les gouvernements. François Chaubet rappelle que c’est dans une prolifération assez libre, au gré de la volonté d’un ambas- sadeur ou d’un universitaire sur place, que les groupes de l’Alliance fran- çaise se multiplient9. Cette association est en effet l’une des premières institutions à créer un réseau culturel global sur lequel se construit prin- cipalement, sur les plans institutionnel et idéologique, l’action cultu- relle française. Durant cette période, d’autres initiatives semblables sont lancées pour favoriser la diffusion de la culture, et surtout de la langue, en s’appuyant sur ces microsociétés émigrées : la société Dante Alighieri en 1889 et le Verein für das Deutschtum im Ausland en 1908. La Suisse crée de son côté uploads/Politique/ article-scientifique-diplomatie-culturelle-et-diplomatie-publique-des-histoires-pdf.pdf

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