lain Badiou 1712-1778 : Jean-Jacques Rousseau, ou les visions d’un penseur soli
lain Badiou 1712-1778 : Jean-Jacques Rousseau, ou les visions d’un penseur solitaire Enjeux politiques de la pensée de J-J Rousseau. (France Culture, les Chemins de la connaissance, 1988) (Notes d’Aimé Thiault et transcription de François Duvert) - Christine Goémé : c’est vers l’âge de 40, donc vers 1750, que JJ Rousseau écrira et publiera les grands textes qui font aujourd’hui encore sa célébrité. Au cœur de sa pensée, les écrits politiques, nombreux, dont certains extrêmement pragmatiques. Pour donner une idée de l’ampleur de l’entreprise, voici les grands textes politiques : Discours sur les Sciences et les Arts, Discours sur l’Origine de l’Inégalité parmi les hommes, le Discours sur l’économie politique, le CS, beaucoup de textes éparpillés, les écrits sur l’abbé de St Pierre, le projet constitution sur la Corse, considérations sur le gouvernement de Pologne, liste à laquelle on pourrait ajouter l’Emile et le reste de l’œuvre, et même les Confessions. Au fond, Alain Badiou, on pourrait relire tout Rousseau sous l’angle de la politique comme si la pensée politique de Rousseau en était la cohérence. - Alain Badiou : je crois que s’agissant du problème de l’unité de l’œuvre de Rousseau, ou de la cohérence de l’œuvre de Rousseau, la politique est un bon fil conducteur. Ce n’est peut-être pas absolument le seul, on pourrait peut-être aussi tenter d’entrer dans Rousseau à partir d’une catégorie encore plus général que celle de la politique, que je dirais être celle de subjectivité : qu’est-ce que le subjectif ? Il y a sur ce point une anticipation de Rousseau extraordinaire : l’accent serait cette fois plutôt sur Confessions et la Nouvelle Héloïse, mais on y inclurait ou on retrouverait la politique, car au fond la gde question de Rousseau c’est : qu’est-ce que c’est que le sujet politique, y a t-il un sujet politique, quelle en est l’origine et la constitution ? Ce n’est pas une originalité, il a des prédécesseurs évidemment, mais c’est une radicalité que ce qui l’intéresse dans la politique est moins la question classique ou traditionnelle de l’équilibre du bon gouvernement, ou la conformité de l’Etat à une idée abstraite ou philosophique de la politique, mais la constitution et la figure interne du sujet de la souveraineté. C’est pour ça que en définitive que la grande question de Rousseau est : qu’est-ce qu’un peuple, qu’est-ce qu’un peuple politique ? - Christine Goémé : Auscultons quelques mots clés de Rousseau, Alain Badiou, je vous laisse le choix. - Alain Badiou : je crois qu’on peut peut-être partir de 2 mots, contrat social d’un côté (c’est un titre) et volonté générale de l’autre, et peut-être plus encore de tenter de penser la corrélation des 2, ce qui est le cœur du propos et somme toute une idée forte, ie un peu complexe en même temps. D’abord s’agissant du contrat social, ce que je retiens moi de la figure du contrat chez Rousseau (étant entendu que la théorie contractualiste concernant sur le fondement de la souveraineté, il n’en est pas le détenteur exclusif), c’est l’idée suivante : la politique de manière générale suppose un événement. Le contrat social, c’est quelque chose qui se passe. Naturellement on dira aussitôt : justement il ne se passe pas, car il est absolument impossible de lui donner une densité historique. Quand a-t-il eu lieu ? Impossible de le savoir. A-t-il encore lieu ? Ce n’est pas sûr, car Rousseau soutient que tous les Etats actuels, les Etats empiriques, sont des Etats sont dissous, qui ne sont plus sous la loi du contrat ou de la volonté générale. Aura-t-il lieu ? C’est également incertain, il peut difficilement être un programme, il ne peut être un programme car tout programme suppose un contrat. On entre alors dans une circularité. Justement avec sa thématique du contrat, Rousseau touche à une dimension des événements fondateurs de la politique qui leur est essentielle : ce ne sont pas en réalité des événement empiriques ou historiques ou anecdotique, ce sont des événements qui, car ils sont fondateurs, créent leur propre temps. Ils ne sont pas hors du temps ils sont ce qu’on pourrait t appeler un acte qui quoique dans le temps exprime une intemporalité du temps - Christine Goémé : vous mettez le doigt d’un caractère de Rousseau, qui est d’être anti-historiciste. - Alain Badiou : exactement, ce n’est pas du biais de l’histoire qu’on peut aborder les questions fondamentales de la politique, c’est le début célèbre écartons tous les faits. C’est la méthode : commençons par les écarter. On ne saurait mieux dire l’opposition de Jean-Jacques Rousseau à toute vision journalistique ou anecdotique de la politique : la politique, dans son fondement essentiel, si on veut la penser, ce n’est pas du côté des faits qu’on va trouver la réponse. - Christine Goémé : rappelons les termes du contrat - Alain Badiou : la question du contrat est la question de cette événementialité suspendue, justement, intemporellement temporelle, si l’on peut dire, par lequel un peuple va se rapporter à lui- même, de lui-même à lui-même en totalité, en déclarant (selon une codification qui restera toujours implicite mais qui est fondatrice), que en définitive chacun va se placer sous la loi de la volonté générale, et donc abdiquer entièrement dans l’espace politique sa propre volonté, pour ne faire plus que un ou une composante de la volonté générale. Donc la volonté générale est ce qui va surgir de ce contrat par lequel le peuple se rapporte tout entier à lui-même pour se constituer comme souverain. Alors que, évidemment, dans l’état de nature, là or il n’y a pas encore l’homme - mais seulement l’animal humain - il n’ y a que des individus gouvernés par des passions singulières qui se rencontrent, s’affrontent ou s’isolent, sans que le corps politique soit constitué. Le contrat c’est un moment d’équilibre, et en même temps c’est un moment de bascule radicale. Rousseau tient que cet événement fait passer la vie des hommes d’un état à un autre qui en un certain sens n’ont rien de commun, il y a l’état de nature, l’état civil, et entre les 2, il y a le contrat, événement singulier. Ce que je voudrais souligner, c’est que cet événement contient bien ce qui, pour moi, est un signe ou stigmate de tout événement véritable : 1° il est intransitif, ou incalculable, ie rien dans l’état de nature ne génère ou ne permet de trouver une causalité quelconque, il est un surgir, c’est pour ça qu’il n’est pas exactement dans le temps ou dans la chaîne du temps, 2° et d’un autre côté cet événement en quelque manière se contient lui-même, il est son propre élément ou sa propre composante, puisque il ne va y avoir de peuple que car il y a eu contrat, et en même temps le sujet du contrat est le peuple qu’on suppose rassemblé dans la possibilité de passer contrat avec lui-même. On a souvent objecté ce caractère circulaire, ou tautologique du contrat, j’y vois autre chose : j’y vois que dans toute événementialité véritable on a cette structure, l’événement est toujours en quelque manière à lui-même sa propre marque, à lui-même sa propre multiplicité, et c’est la seule manière de penser qu’il ne soit pas purement et simplement un effet de ce qui se précède. - Christine Goémé : Rousseau est un critique du progrès. - Alain Badiou : voilà un 2ème point sur lequel Rousseau se bat et combat : c’est le point du progrès, après le contrat il n’y a pas de progrès possible. Le but n’est pas d’établir un certain nombre de choses mais il est de faire en sorte que l’événement reste événementiel - Christine Goémé : - Alain Badiou : absolument, c’est ce que j’appellerais dans mon propre jargon la fidélité : il n’y a pas d’autre rapport au contrat que de se maintenir dans l’élément politique que le contrat, que l’événement a constitué, ie de rester sous le règne de la volonté générale. Rousseau n’est pas d’ailleurs d’un optimisme essentiel là dessus. Puisque je le rappelais tout à l’heure il considère que la monarchie française est un Etat dissous, Etat infidèle à la fondation événementielle de la politique, ce qui si on le prend en toute rigueur, cela signifie que à ses yeux il n’y a plus de politique dans ces Etats. Il faut mettre en évidence ce point : les conditions pour qu’il y ait de la politique sont aux yeux de Rousseau très définies et très rigoureuses. Il y a à ses yeux de la politique, ie de la légitimité politique minimale si réellement on est sous le règne de la volonté générale, le règne de la volonté générale autorise éventuellement des constitutions un peu différentes, il ne prescrit pas le détail des choses, puisque comme on sait il faut l’intervention d’un perso intermédiaire, somme toute mystérieuse, qui est le législateur, pour mettre en forme, en forme exécutive la contrainte événementielle du contrat. Il y a des possibilités différentes bien que il est clair que la uploads/Politique/ badiou-on-rousseau.pdf
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- Publié le Apv 14, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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