Revue des Études Anciennes « Cvm dignitate otium » Pierre Boyancé Citer ce docu

Revue des Études Anciennes « Cvm dignitate otium » Pierre Boyancé Citer ce document / Cite this document : Boyancé Pierre. « Cvm dignitate otium ». In: Revue des Études Anciennes. Tome 43, 1941, n°3-4. pp. 172-191; doi : 10.3406/rea.1941.3177 http://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1941_num_43_3_3177 Document généré le 25/04/2016 rx « CVM DION fTATE OTIVM » Cum dignilate otium, la formule est célèbre ; c'est dans le Pro Sestio le but que Cicerón assigne à l'activité des optimates. Elle de\pait permettre de préciser un aspect important des vues politiques de l'orateur. Cependant, elle n'a pas à beaucoup près bénéficié de la même attention que, par exemple, la question de savoir si dans le De republif a s'annoncent ou ne s'annoncent pas le régime impérial et l'institution du principat. Même Richard Heinze, qui a su tirer parti mieux que d'autres des pages fameuses du Pro Sestio pour étudier les idées de son auteur1, a laissé de côté l'énigmatique définition. De même dans leurs biographies, T. Peterson2, Ciaceri8 et tout dernièrement M. Gelzer4. Les historiens n'ont guère été plus attentifs à ce qui leur a paru peut-être des mots plus pompeux qu'instructifs. Une remarque sévère, jetée en passant par M. Piga- niol6, c'est tout ce qu'ils ont suscité. Les seules études un peu développées que je connaisse ont été celles du chanoine Rémy β et de M. Wegehaupt '. Le premier a constaté que Cicerón parle à plusieurs reprises, aux alentours des années 56-54, à'otium et de dignitas. Il lui a paru que ce n'était pas du reste chaque fois avec la même valeur. Si dans la correspondance et dans le De oratore il s'agit de fins que s'assigne l'individu et qui 1. Dans son article Ciceros Staat als politische Tendenzschrift [Hermes, LIX, 1924, p. 73 et suiv., article recueilli dans Vom Geist des Romertums, Leipzig, 1938), l'auteur utilise le Pro Sestio, surtout le § 137, pour établir un certain changement d'attitude de Cicerón à l'égard du rôle de l'aristocratie L'esquisse de constitution romaine qui s'y trouve met l'accent sur le Sénat, le De ¡epublica insistera sur la part à faire au peuple C'est que, dans l'intervalle, Cicerón a eu bien des desillusions sur les chefs du parti conservateur (p. 82 et suiv.). 2. Cicero, a biography, Berkeley, 1920, p. 334. 3. Cicerone e ι suoi tempi, t. II, Milan, 1930, p. 79, 83 et suiv. 4. Article M. TuUius Cicero, dans P.-W., VII A I, analyse col. 932 rapidement le Pro Sestio. 5 « Cicerón exprime leur programme majestueux et vide (des optimates) : « le repos dans la dignité », dans La conquête romaine, Paris, 1927, p. 394 , cf. du même, Histoire de Rome, Paris, 1939, p. 178 : « Cicerón résume le programme du parti nobiliaire en un seul mot : otium, le repos. » 6. Dignitas cum otio, dans le Musée Belge, XXXII, 1928, p. 113-127. 7. Die Bedeutung und Anwendung fon dignitas m den Schriften der republikanischen Zeit, dissertation de Breslau, 1932. « CVM DIGNITATE OTIVM » 173 le concernent, dans le Pro Sestio les marnes mots auraient une portée différente, h'otium, la dignitas dont il y est question ont rapport avec l'État; la formule exprime « la directive générale que doit suivre l'activité politique du chef : quod est propositum rei publicae gubernatoribus ». « Ce n'est pas le bien des chefs que vise la formule directement et avant tout, mais celui du gouvernement et de l'État romain. » Et le chanoine Rémy, après une analyse fort intéressante, de rapprocher la définition « strictement équivalente » de Frédéric Le Play · « La tranquillité volontaire et satisfaite dans l'ordre établi. » M. Wegehaupt a consacré toute une dissertation au sens de di- guitas dans Cicerón et dans Salluste. Son travail fait partie d'un ensemble de recherches suscitées par M. Wilhelm Kroll sur le vocabulaire politique de l'époque1. Elles ont, elles aussi, attiré peu l'attention de nos savants, bien qu'elles fournissent à la synthèse du maître sur Die Kultur der Ciceronischen Zeit% un fondement qui intéresse autant les philologues que les historiens. M. Wegehaupt, au terme d'une analyse soigneuse, mais parfois non exempte de flottements ou d'obscurités, ne discerne pas moins de dix acceptions du mot chez Cicerón. C'est au septième des sens reconnus par lui qu'il rattache, comme un huitième, le sens de dignitas dans la formule que nous étudions. Dignitas, en ce septième sens, désigne « la considération {die Ehre) d'un particulier qui consiste dans l'intégrité {Unversehrtheit) de son existence de citoyen 3 ». Mais un citoyen romain de classe sénatoriale, par suite de son aspiration constante à défendre et à accroître son crédit et son influence dans l'État, trouve dans sa dignitas une exigence qui réclame sans cesse une satisfaction. Aussi dignitas est « la position subjective de l'individu qui présente à la communauté la défense de ses intérêts personnels et l'accomplissement de ses aspirations comme une exigence légitime4». Ce septième sens de dignitas a quelque chose d'éminemment conservateur, qui explique son association avec « une expression de 1. Elles font suite de quelque manière aux études de R Heinze sur res publica (Von den Ursachen der Grosse Roms, Leipz Rektoratsrede, 1921, réédite en 1925 et en 1930), sur auclonías (Hermes, LX, 1925, p. 348 et suiv ), sur fides (LXIV, 1929, ρ 140 et suiv.) ; études recueillies dans le livre cité plus haut. Ce sont · Friederich Klose, Die Bedeutung von honos und honeslus, dissertation de Breslau, 1933 ; Alfred Gwosdz, Der Begriff des romischen princeps, dissertation de Breslau, 1933 , Η Strassburgcr, Concordia ordinum, dissertation de Francfort, 1931. 2 Dans Der Erbe der Alien, 2e sène, 22-23. 3. Op. Uud., p. 76. 4. P. 77. 174 REVUE DES ÉTUDES ANCIENNES tendance analogue, otium1». Ceci pour la dignitas de l'individu. Mais, dans le Pro Sestio, « Otium cum dignitate signifie la grandeur (dignitas) de l'État dans l'affirmation (otium) de ses conditions de vie naturelle ». Pour ce huitième sens, M. Wegehaupt s'accorde avec le chanoine Rémy, dont il s'inspire. I Ce qu'on appelle la digression sur les optimates n'est pas dans le Pro Sestio un hors-d'œuvre. Bien au contraire, elle est en un sens le centre, la partie culminante du discours, et il me paraît certain que cela ne tient pas à la rédaction, que la harangue parlée ne pouvait lui faire une part moindre ou différente 2. Il suffit pour le montrer de rappeler quelques-uns des traits qui font l'unité du Pro Sestio. Dès l'exorde, Cicerón a eu soin d'élargir le cas de son client. Le jeune tribun qu'on accusait de vi, parce qu'il avait opposé à la vio^ lence de Clodius une violence contraire, incarnera en sa personne ceux qui veulent se consacrer à la défense des intérêts de la République. Les juges, en le regardant, voient les partisans du sénat et tous les gens de bien exposés au danger d'une condamnation dans le même moment où s'agitent insolemment les révolutionnaires8. Aussi dès la première phrase Cicerón manifeste la préoccupation que, si jadis on se plaignait du trop petit nombre des bons citoyens qui se consacraient à la politique, on n'ait désormais à renchérir encore sur ces lamentations et à s'étonner s'il s'en trouve un seul4. Dès les premiers mots, dès la première phrase, apparaît dans l'orateur cette intention : recruter à la bonne cause des défenseurs et cette inquiétude : est-ce possible dans la Rome de Clodius? Je ne* vois pas remarquer dans les études des critiques et des historiens un fait qui me semble important. C'est que Cicerón n'était 1. P. 53 ; cf. p. 77. 2. Voir Jules Humbert, Les plaidoyers écrits et les plaidoiries rétües de Cicerón, Paris, 1925, p. 168-176 : le Pro Sestio, pas plus que V In Vahnium, n'a subi cette compression des éléments réels, qui est ailleurs le fait de la rédaction. En sens inverse mais sans argument, Ed. Meyer, Caesars Monarchie und das Prinupai des Pompeiiu, 2° éd., 1919, p. 135, η. 2. 3. 1, 1 : ... uno aspectu intueri potestis eoe qui cum senatu, cum bonis omnibus rem pubhcam adflictam excitarint. . . maestos, sordidatos, reos. . . ; eos autem, etc. Je cite de l'édition Peterson. 4. Si quis antea, ludices, mirabatur quid esset quod, pro tantis opibus tantaque dignitate imperi, nequáquam satis multi ciues forti et magno animo inuemrenlur, qui auderent se et salutem suam in discrimen offene pro statu ciuitaiis et pro communi libértate, ex hoc tempore miretw potins si quem bonum et fortem ciuem uiderit, quam si quem aut timidum avi sib\ potine quam reipubhcae consulentem. « CVM DIGNITATE OTIVM » 175 pas, dans le débat de l'affaire, le premier à transporter la question sur ce terrain. Avant lui avait parlé Hortensius : et c'est même lui qui semble avoir fait le plaidoyer proprement dit, celui où étaient discutées, dans leur ensemble et dans leur détail, les accusations portées contre Sestius *. Le discours de Cicerón ne fut au terme de toute une série de harangues que la péroraison particulièrement pathétique, et aussi d'une hauteur de vue particulière, uploads/Politique/ boyance-com-dignitate-otium-pdf.pdf

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