Commentaire de Romains 13, 1-7 Pour un renouvellement de notre vie politique Co

Commentaire de Romains 13, 1-7 Pour un renouvellement de notre vie politique Commentaire de Romains 13, 1-7 Pour un renouvellement de notre vie politique Sr Pascale-Dominique Nau, OP 1. Introduction Depuis quelque temps déjà le besoin d’un renouvellement dans la vie politique se fait sentir. La récente lettre des évêques français, Retrouver le sens de la politique (2016), a tiré notre attention sur la nécessité de réformer la vie politique en France. Mais ils ne sont pas les premiers à l’avoir dit. Dans un volume sur la vie politique en Afrique publié par le nouveau Dicastère pour le développement intégral au Vatican1, ce besoin est rappelé pour ce continent, et déjà il y a quelques années le journaliste et sénateur italien Franco Monaco écrivait : « La politica ha bisogno di rammentare le proprie connessioni con istanze più alte e con un orizzonte valoriale più ampio ». Ces paroles sont citées dans l’ouvrage de Enzo Bianchi et Carlo Maria Martini, Parola e Politica. La pensée de fonder la vie civique sur la Sainte Écriture non plus n’est pas nouveau. Or, le texte de l’exhortation que saint Paul adressa aux chrétiens de Rome vers l’an 57 en Rm 13,1-7 figure parmi les passages fondamentaux dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (nº 380). D’autre part, la Commission Biblique Pontificale, dans son document Bible et morale : Les racines bibliques de l’agir chrétien (2008) a noté que « Traditionnellement, les théologies qui traitent des 1 DICASTÈRE POUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN INTÉGRAL, The Social Doctrine of the Church. An African Journey, édité par Mgr B. Munono. rapports entre l’Église et l’État se basent presque exclusivement sur la lettre aux Romains (Rm 13,1- 7) » (nº 180)2. Par conséquent, il me semble que Rm 13,1-7 pourrait nous aider sur cette voie de renouveau. Mais pour cela, il faudrait une nouvelle lecture, plus approfondie. Car le texte a trop souvent été tronqué. Je m’explique. Beaucoup se sont arrêtés à la première phrase : « Que chaque âme se soumette aux autorités dominantes » soit pour exiger, nom du christianisme, que l’on se soumettent inconditionnellement à leur pouvoir, soit pour se défendre contre un pouvoir considéré – à tort ou à raison – oppressif3. Par cette étude, nous voulons enrichir notre lecture de Rm 13, 1-7 et aussi notre doctrine sociale. Nous commencerons en situant le passage dans la lettre en voyant son développement, puis par l’exégèse du texte et relevant quelques points théologiques forts, nous dégagerons les 2 Cf. aussi CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération « La vérité nous rend libres », 1986, nº 54. 3 Cf. Bede UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », Laval théologique et philosophique, vol. 63, n° 2, 2007, p. 291-303, qui écrit : « La théologie de l’État utilisait Rm 13,1-7 “pour donner à l’État une autorité absolue divine”. Ensuite, la théologie de l’État employait l’idée de “l’ordre public” pour définir et contrôler la liberté des gens. Enfin, la théologie de l’État utilise le mot “communiste” pour stigmatiser quiconque rejette la théologie de l’État. Tout cela est encadré par la domestication de Dieu au service de l’État injuste et oppresseur » (p. 295). Voir ensuite, EV 73. enseignements de Paul dont nous pourrons tirer profit. 2. Contexte et délimitation Rm 13, 1-7 a traditionnellement été considéré comme faisant partie intégrante de la section parénétique de l’épître aux Romains, qui va du chapitre 12 au chapitre 15, que saint Thomas d’Aquin, interprétant l’ensemble de l’épître dans la perspective de la grâce, caractérise en disant : « Postquam apostolus ostendit necessitatem virtutum et originem gratiae, hic docet gratiae usum, quod pertinet ad instructionem moralem4 ». Cet enseignement moral – précisément 2,1-15,13 – est placée après la probatio qui va de Rm 1,18 à 11,36 et la peroratio en 15,14-215. Cependant, à notre époque, diverses hypothèses ont été avancées pour dire que Rm 13,1-7, présente le conseil de se soumettre aux autorités, est une interpolation postérieure6, voire un bloc tombé « comme une météorite7 » au milieu du développement au chapitre 12 et 13,8 qui présentent les fondements de la vie chrétienne caractérisée par la charité. En plus de ce changement thématique, ces hypothèses s’appuient sur les constats suivants : 4 THOMAS D’AQUIN, Super ep. ad Romanos XII.1. 5 Rm 16 6 Cf. R. JEWETT, Romans : A Commentary. Minneapolis, PA, Fortress Press, 2007, 782-784. 7 Cf. les références de Christophe RAIMBAULT, L’avènement de l’amour : Épître aux Romains Chapitres 12 et 13, Paris, Cerf, 2014, [Kindle] 338, 1443 et 6745. - l’introduction du thème des impôts et taxes aux vv. 6 et 7. le Christ n’y est pas mentionné, contrairement Rm 12, 5.11 et 13, 14. le mot θεός y figure six fois (v. 1.1.2.4 [2 fois] et 6) mais n’apparaît plus en Rm 13, 8-14. - une rupture grammaticale en Rm 13,1 : les exhortations à l’impératif, adressées à la 2ème personne du singulier ou pluriel, et le futur à la 2ème personne sont remplacés par le subjonctif de la 3ème personne - le changement (apparent) de destinataires des exhortations : alors qu’en Rm 12 les interlocuteurs de Paul étaient le « vous » représentant la communauté, en 13,1 il s’adresse à « tout homme ». Ces éléments font de Rm 13,1-7 un bloc littéraire bien distinct. Néanmoins, on peut affirmer que cette péricope est bien à sa place dans l’exhortatio de la lettre8. A la suite de J. D. G. Dunn et J.-N. Aletti, C. Rimbault, pour qui la clé de lecture de l’épître aux Romains est l’amour, lit l’ensemble de la section Rm 12,1-13,14 comme une unité littéraire complexe9. Les éléments présentés en faveur de cette cohésion sont : 8 Ibid. R. E. BROWN, An Introduction to the New Testament, New Haven - Londres, Yale University Press, 2010, 11488 [Kindle], va dans le même sens en notant que l’exhortation à la soumission aux autorités « is particularly appropriate in a letter to the capital ». 9 Cf. Cf. Christophe RAIMBAULT, op. cit.,1434 ss. - des mots-crochets : τὸ ἀγαθόν / τὸ κακόν en 12,21 et 13,3-4 ; ὀργή en 12,19 et 13,4-5 ; ἐκδικάο / ἔκδικος en 12,19 et 13,4 ; πάντων ἀνθρώπων / πᾶσα ψυχὴ en 12,17-18 et 13,7 ; ὀφειλή / ὀφειλέω en 13,7 et 810. - et en lien avec ces mots des thèmes importants : l’éthique du bien et du mal (12,21 ; 13,3-4)11 ; la justice judiciaire et rétributive (12,19 ; 13,4-5) ; la conscience de la responsabilité et du devoir dans la vie avec autrui (12,16-17 ; 13,7.8). - la section est encadrée par le mot agapè et l’exhortation à aimer en 12,9 (haïssant le mal et s’attachant solidement au bien) et 13,10 (évitant le mal), car « la charité est la plénitude de la Loi ». Avec ces auteurs, nous pouvons reconnaître en Rm 12,1-2 le début d’un développement de préceptes moraux auxquels Paul exhorte les frères à se conformer afin d’être agréable à Dieu. Leur pratique constituera un « culte spirituel ». Le terme, en Rm 15, est la conformité au Christ et la vie dans la puissance de l’Esprit. Or, les préceptes concernent, primo la vie interne de la communauté chrétienne et avec les gens du dehors ; secundo, le 10 Pour plus de détails, voir Jean-Noël ALETTI, « La soumission des chrétiens aux autorités en Rm 13,1-7 : Validité des arguments pauliniens ? », Biblica 89, 4 (2008) 457-476 458, n. 2, et C : RAIMBAULT, op. cit., 1446. 11 Cf. Rm 7,19. rapport avec les autorités civiles ; et, tertio, l’attitude envers tout homme. On perçoit comment le regard de Paul s’étend graduellement de la considération du rapport des croyants à Dieu, entre eux, envers les responsables de la société et, finalement, jusqu’à tous ses membres, sans jamais perdre de vue le perfectionnement de la vie chrétien dans le Christ et l’Esprit, saisie toute entière dans la grâce, motivée par l’agapè et éclairée par la foi. C’est à cette lumière – bien que le Christ et l’Esprit n’y soient pas explicitement mentionnés – que nous pourrons faire une lecture actualisée notre péricope. 3. Structure de Rm 13,1-7 Rm 13,1-7 est un texte argumentatif, complexe et riche, composé de trois parties inégales12. Paul y traite du rapporte entre les trois parties actives dans la vie civique13 : Dieu, l’autorité/les autorités et ceux qui leurs sont (ou devront être) soumis, dans le but d’éclairer quel doit être le comportement du citoyen chrétien. Ainsi, la première section énonce le thème du rapport de tous à l’autorité du gouvernement civil et la troisième section met en relief les actions concrètes à accomplir pour s’y soumettre, tandis que, dans la deuxième section, Paul donne l’explication théologique des actions et des attitudes qu’il demande aux fidèles de la communauté de Rome. 12 Il y a quelques variations dans le texte de Romains 13, 1-7, mais les différences ne représentent pas de changements majeurs pour sa compréhension. uploads/Politique/ renouvellement-rm-13-1-7.pdf

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