INGÉNIERIE SOCIALE ET MONDIALISATION Comité Invisible « Quand le gouvernement v

INGÉNIERIE SOCIALE ET MONDIALISATION Comité Invisible « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1793, article 35 À AlainBauer, Fraternellement Politique et massification Partons d’un problème : dans le contexte des sociétés de masses, la politique est toujours plus ou moins une activité de contrôle social exercé par des minorités dominantes sur des majorités dominées. Null e raiso n de s’en réjouir, mais il semble bien qu’au-delà d’un certain seuil démographique, l’idé al politique d e démocratie directe, participative et autogestionnaire doiv e céder sa place au système de la représentation, avec tous les phénomènes de confiscation élitaire du pouvoir qui lui sont consubstantiels. La nature de ce contrôle social des masses, depuis longtemps synonyme de la pratique politique concrète, a néanmoins subi de profondes mutations au fil du temps, notamment au 20ème siècle. En effet, à partir des années 1920, l’étude scientifique du comportement humain a commencé de prendre la place de la religion et de la philosophie comme fondement de cette pratique politique. Pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, le conseiller du Prince ne débattait plus d’idées à une tribune ou dans un livre mais s’occupait de stimuli-réponses dans un laboratoire. Ce changement de méthode a donné naissance ou s’est consolidé grâce à de nouvelles disciplines telles que le marketing, le management, la cybernétique, que l’on regroupe sous le terme de « sciences de la gestion », et qui sont donc devenues les nouveaux instruments de la pratique politique et du contrôle social. Ainsi, d’une activité d’inculcation d’un système de valeurs, une Loi, divine ou républicaine, la politique s’est déplacée vers les questions purement techniques d’ingénierie des comportements et d’optimisation de la gestion des groupes. Grâce à ces nouveaux outils, les élites politiques des pays industrialisés ont ainsi pu faire l’économie de toute forme d’axiologie, de discussion sur les valeurs, les idées, le sens et les principes, pour ne se consacrer qu’à une technologie organisationnelle des populations. En l’espace de quelques décennies, les pays développés sont donc passés d’un contrôle social fond é sur le langage, l’interlocution, l a convocation linguistique d e l’humain e t l’activation de se s fonctions de symbolisation, à un contrôl e social reposant sur l a programmation comportementale des masses au moyen de la manipulation des émotions et de la contrainte physique. Et sous cette impulsion, comme le remarque Bernard Stiegler, les sociétés humaines sont en train de passer d’un surmoi symbolisé, la Loi au sens général, à un surmoi automatisé, la contrainte technologique pure, après une transition par le surmoi émotionnel du Spectacle (le surmoi étant ce qui oriente le psychisme et le comportement). Autrement dit, la politique qui était jadis l’art de réguler les contradictions d’un groupe par inculcation chez ses membres d’une Loi commune, grammaire sociale structurante et permettant l’échange au-delà des désaccords, la politique est devenue en 2009 l’art d’automatiser les comportements sans discussion. La fonction symbolique, c’est-à-dire la capacité de rationalisation des émotions et d’articulation dialectique de leurs contradictions dans un discours partagé, la capacité à continuer de se parler alors que nous ne sommes pas d’accord, clé de voûte au tissage du lien social et à l’élaboration du sens commun d’un groupe organisé, est directement attaquée par cette mutation. Si le sujet humain est bien un « sujet parlant » comme l’indique la psychanalyse, un être de Verbe, de Parole, de dialectique, donc aussi de polémique, alors on peut dire que ces nouveaux instruments de la pratique politique permettent de faire tout simplement l’économie de la subjectivité et de réduire un groupe de sujets à un ensemble d’objets. C’est à une excursion au travers de ces mutations du champ politique que nous souhaitons inviter nos lecteurs. Politique et mondialisation Jacques Attali, un des plus fins observateurs sociopolitiques de l’époque, ne cesse de le rappeler, que ce soit dans ses publications ou ses interventions médiatiques : la plupart des dirigeants contemporains ne poursuivent fondamentalement que deux buts, le premier étant de mettre sur pieds un gouvernement mondial ; le deuxième, afin de protéger ce gouvernement mondial de tout renversement par ses ennemis, étant de créer un système technique mondialisé de surveillance généralisée fondé sur la traçabilité totale de s objets et des personnes. Ce système glob al de surveillance est déjà fort avancé grâce à l’informatique, à la téléphonie mobile et aux dispositifs de caméras, statiques ou embarquées dans des drones, en nombre toujours croissant dans nos villes. Un pas supplémentaire sera bientôt franchi avec la technologie RFID (Radiofréquence Identification) et les implants sous la peau de puces électroniques émettrices de signaux qui assureront notre géolocalisation permanente. Ce tatouage numérique, plus qu’indélébile puisque enfoui dans nos chairs, contiendra en outre les informations biographiques et biométriques suffisantes pour autoriser le profilage à distance de son porteur et permettre ainsi d’anticiper sur tout comportement évalué comme potentiellement dangereux de sa part1. Profondément travaillé par ce fantasme d’ubiquité sécuritaire, le pouvoir politique se limite aujourd’hui à l’application du principe de précaution et à une recherche effrénée de réduction de l’incertitude et du risque zéro. L’intégration mondialiste, comme projet politique imposé par certaines élites aux populations, n’est ainsi rien d’autre que la mise en place d’un vaste système de prévisibilité et de réduction de l’incertitude des comportements de ces populations, autrement dit un système de contrôle total des contre-pouvoirs. Il y a en effet équivalence entre imprévisibilité et pouvoir, ainsi que le notent Michel Crozier et Erhard Friedberg dans un ouvrage fondateur de la sociologie des organisations : « (…) le seul moyen que j’ai pour éviter que l’autre me traite comme un moyen, comme une simple chose, c’est de rendre mon comportement imprévisible, c’est-à-dire d’exercer du pouvoir. (…) Dans le cadre de la relation de pouvoir la plus simple, telle que nous avons pu la découvrir sous-jacente à toute situation d’organisation, nous avons montré que la négociation pouvait être reconstruite en logique à partir d’un raisonnement sur la prévisibilité. Chacun cherche à enfermer l’autre dans un raisonnement prévisible, tout en gardant la liberté de son propre comportement. Celui qui gagne, celui qui peut manipuler l’autre, donc orienter la relation à son avantage, est celui qui dispose d’une plus grande marge de manœuvre. Tout se passe donc comme s’il y avait équivalence entre prévisibilité et infériorité. »2 Ces enjeux de pouvoir politique s’inscrivent dans une lutte des classes sociales. L’homme d’affaires et milliardaire américain Warren Buffet confiait en 2006 au New York Times : « Il y a une guerre de classes, c’est sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et nous sommes en train de gagner. »3 Détaillons maintenant ces outils dont le pouvoir s’est doté pour s’assurer une supériorité définitive sur les populations en s’assurant la prévisibilité totale de leurs comportements. Qu’est-ce que l’ingénierie sociale ? La culture de l’inégalité ne concerne pas que le domaine économique. Elle touche aussi à la configuration du champ perceptif. En effet, le fondement des théories de la surveillance, tel que résumé par le principe panoptique de Jeremy Bentham, est la dissociation du couple « voir » et « être vu ». La politique comme ingénierie sociale consiste alors à bâtir et entretenir un système inégalitaire où les uns voient sans être vus, et où les autres sont vus sans voir. Le but de la manœuvre est de prendre le contrôle du système de perception d’autrui sans être soi-même perçu, puis d’y produire des effets en réécrivant les relations de cause à effet de sorte qu’autrui se trompe quand il essaie de les remonter pour comprendre sa situation présente. Dans son livre sur la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, Yasmina Reza nous rapporte ces propos d’un de ses conseillers, Laurent Solly : « (…), la réalité n’a aucune importance. Il n’y a que la perception qui compte. »4 Ce constructivisme radical, issu de l’école de Palo Alto et très en vogue dans le milieu des consultants, n’hésite pas à considérer que la perception peut être détachée de tout référent objectif, réel. L’ingénierie des perceptions devient alors une activité quasi démiurgique de construction d’hallucinations collectives, partagées, normalisées et définissant la réalité commune, autrement dit un ensemble stabilisé de relations causales falsifiées. Ainsi que l’avance dans un essai le célèbre pirate informatique Kevin Mitnick, l’ingénierie sociale serait L’art de la supercherie ; plus précisément l’art d’induire autrui en erreur et d’exercer un pouvoir sur lui par le jeu sur les défaillances et les angles morts de son système de perception et de défense. Illusionnisme et prestidigitation appliqués à tout le champ social, de sorte à construire un espace de vie en trompe- l’œil, une réalité truquée dont les règles véritables ont été intentionnellement camouflées. Ces techniques de manipulation s’appuient sur ce que l’on appelle les « sciences de la gestion », nébuleuse de disciplines qui ont commencé à constituer un corpus cohérent à uploads/Politique/ comite-invisible-ingenierie-sociale-et-mondi.pdf

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