1 (RE)PENSER L ’EXIL revue en ligne N°3 www.exil-ciph.com genève, 11 septembre

1 (RE)PENSER L ’EXIL revue en ligne N°3 www.exil-ciph.com genève, 11 septembre 2013 156 157 Des-exil : explorer la face cachée de l ’exil* Marie-Claire Caloz-Tschopp « La migration porte un visage humain et c’est celui d’une femme »** Babatunbe Osotimehin Penser l’exil, repenser l’exil–1, un travail de tissage parmi d’autres sur le mouvement de la liberté, le pouvoir de domination et d’émancipation. L’exil n’est pas toute la condition humaine. L’exil n’est pas que le pouvoir de domination, de destruction. La résistance à la domination, au déterminisme invitant au consentement dont nous parle Nicole-Claude Mathieu, la création appelle un autre mot, le des-exil. C’est la face cachée de l’exil : la résistance possible inscrite dans le devenir de l’être dont nous parle Spinoza. Il s’agit de (re)penser à la fois la résistance, la création, la joie, les incertitudes du des- exil, le poids, la violence, la douleur de l’exil. Repenser l’exil c’est récupérer la liberté de penser et d’agir. C’est voir, imaginer, créer pas à pas la liberté, la pluralité, la solidarité. En nous installant dans le travail de Colette Guillaumin, sociologue féministe dont les recherches sur le racisme et le sexisme moderne sont précieuses, c’est penser dialectiquement * Ce texte a été publié dans un livre du Programme, édité en 2013 : Caloz-Tschopp Marie-Claire, Veloso Bermedo Teresa (dir.), 2013. Penser les métamorphoses de la politique, de la violence, de la guerre avec Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet, Paris, éd. L’Harmattan. Nous le reprenons ici car il permet de situer la recherche en cours intitulée : « repenser l’exil » qui donne son titre à la revue en ligne. ** La formule est de Babatunde Osotimehin, directeur exécutif du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), Le Monde, 9 mai 2013. 1 L’objectif du Programme CIPh 2010-2016 sur l’exil, dans lequel se situe ce travail de publication, est de (re)penser l’exil en vue d’enrichir une réflexion philosophique et politique prospective sur la citoyenneté au XXIe siècle. Voir le site exil-ciph.com l’appropriation et la désappropriation, ce mouvement continue de recherche de la liberté que l’on retrouve dans la tension entre exil et des-exil. En nous installant dans les théories minoritaires, à cette étape dans les travaux de trois féministes matérialistes francophones – Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet – ils nous permettent de saisir les enjeux que contiennent pour le mouvement de des-exil, la transformation de la politique, de la violence et de la guerre. Il nous faudra prendre avec nous les constats de leurs travaux et aussi les résultats des réflexions multiples des auteurs du livre pour la suite de notre travail sur l’exil. Explorer la face cachée de l’exil implique de s’arracher à la fatalité, au déterminisme, à la violence destructrice. Pour une telle exploration, la boussole de théories minoritaires – ici celle de féministes matérialistes – est indispensable. Le double ancrage exil/des-exil L’ancrage du travail dans un double concept dialectique - exil/des-exil – permet de prendre en compte une très riche tradition millénaire, des faits d’actualité ici et dans toute la planète, les transformations des rapports économico- écologico–2-socio-politiques dans la violence 2 On pense aux réfugiés dits « climatiques ». 158 159 guerrière larvée et souvent extrême de la globalisation. Y trouver les éclats de résistance, d’insoumission, de plaisir, les gestes de création aussi. L’exil « est terrible à vivre », écrit Edward Saïd dans son essai sur l’exil (Saïd, 1988). Le des- exil ne se résume pas au retour des exilé.e.s chassés de leur terre–3. A. Sayad, sociologue d’Algérie, nous a appris que le mouvement de la migration ne se réduit pas à l’aller-retour des migrant.e.s du pays d’origine au pays d’origine dont rêvent les approches policières des politiques migratoires. Dans le mouvement bien plus complexe se vit le conflit de multiples manières entre domination et liberté, entre joie et douleur, entre nostalgie (Cassin 2012) et exploration. Le mouvement de la vie. Le des-exil c’est s’arracher à l’exil, à l’errance d’Ulysse, de Pénélope (Lopez 1999) après la guerre de Troie dans ce grand texte de la Grèce ancienne qu’est l’Odyssée, à la « nudité du droit » comme l’écrit Victor Hugo. C’est imaginer Pénélope engagée elle aussi dans le mouvement d’exil et de des-exil et non figée en gardienne des biens et de la demeure familiale, attendant le retour du guerrier. C’est le refus de suturer « la fissure à jamais creusée entre l’être humain et sa terre natale, entre l’individu et son vrai foyer, et la tristesse qu’il implique n’est pas surmontable », dont parle Edwar Saïd (1988)–4. C’est aussi son dépassement. C’est aussi l’exploration, la découverte. La mobilité accélérée de la force de travail, des biens, des capitaux implique de décrire le mouvement de migration globalisée dans ses formes, ses contraintes multiples. Dans son infinitude. La migration de travail ne se réduit pas mécaniquement à l’exil, car la force de travail est au centre de la production de la 3 C’est le sens que donne Mario Benedetti, poète d’Uruguay, au terme de « desexilio » (Benedetti, 1985). 4 Voir en particulier l’introduction et le chapitre XII (Réflexions sur l’exil), p. 241. valeur nous rappelle Marx. La migration devient exil dans le changement du rapport Travail-Capital rappelait André Tosel (2011), par l’expulsion d’hommes jetables (Ogilvie 2012) non intégrables dans un marché du travail en recomposition constante, par la force autoritariste, la guerre (un million de Syriens réfugiés ont quitté leur pays au moment où j’écris, annonce le HCR) qui relègue, expulse des millions de personnes de toute appartenance politique, les met en danger « d’acosmie », c’est-à-dire privé de rapport au monde (Arendt 1972). Aujourd’hui, il est possible de penser que l’exil est la condition humaine universelle, nous sommes toutes, tous des exilé.e.s, mais il faut voir comment, pourquoi et comment résister à l’exil, en sortir. Inventer le des-exil au niveau individuel avec d’autres. Vivre le négatif et le positif. Vivre l’ombre et la lumière. Sans céder à une réduction de la migration à l’exil ou l’inverse, déplaçons l’interrogation pour être plus libre dans nos corps et dans nos têtes. Qui est exilé aujourd’hui ? Qui est exilé.e aujourd’hui? En se restreignant à la migration telle qu’elle apparaît dans les statistiques, il faut savoir que dans les pays développés une majorité de femmes sont des migrantes et que l’analyse des migrations est encore enfermée dans une vision sexiste des rapports de migration–5. Déplacement. Question philosophique. Dans l’étape actuelle de la globalisation, serions-nous toutes et tous en train de devenir des exilé.e.s dans un rapport 5 Le nombre des migrants a augmenté de 40% de pays à pays durant ces 20 dernières années. D’ici à 2050, 70% de la population mondiale vivra dans des zones urbaines. « Le commerce du sexe et l’exploitation de migrants clandestins constitue la troisième source mondiale de revenus illicites après les armes et la drogue ». Dans la migration internationale, le nombre de femmes dans les pays dits « développés » (Amérique du nord, Europe, Moyen-Orient, Océanie) est de 51,5%, contre 46,5% dans les pays en développement. Voir Geneste Alexandra, « Le nouveau visage de la migration », commentaire sur le rapport du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Le Monde, 9 mai 2013. complexe à la politique et au monde? Quand dans le Séminaire de 2011–6, la philosophe Rada Ivekovic pose le postulat de l’universalité de l’exil, elle ouvre une voie à explorer pour (re)penser à la fois les conditions matérielles d’existence des étrangers, la nôtre, les nôtres, prendre avec soi, les peines et les joies, la violence et les découvertes, à partir de l’axe de l’hospitalité provisoire par Kant ouvrant la possibilité de la généralité de la politique et les droits dans un monde fini. Le déplacement exploratoire est une voie possible pour dépasser le déterminisme, la fragmentation, la concurrence, les oppositions, la victimisation, la tristesse aussi. De sortir du terrain de guerre confiné de la migration dans des débats piégés, haineux, pour voir les faits depuis l’horizon d’une globalité à reconstruire à partir des QUI, des exilé.e.s du XXIe siècle. De nous toutes et tous. Ainsi, on ne reste pas fixé.e dans une logique de la différence qui manipule les peurs, les passions, cible les questions sur les « étrangers » au point de nous faire oublier ce qui nous exile dans notre propre vie quotidienne–7. Et comment, dans les petites luttes de la vie quotienne, nous nous des-exilons. Pas à pas. Geste par geste. En récupérant la mémoire des luttes collectives et en en construisant ici et maintenant comme le montre Ariel Sanzana dans son texte. Le mouvement exil/des-exil, permet de réfléchir à la globalisation et à l’élargissement d’une citoyenneté qui ne se résume pas au droit de vote, pour participer à la création politique concernant chaque individu là où il nait, il vit, il rêve, il aime, il travaille, il a ses enfants, il est malade, il meurt, etc. D’inventer de nouvelles formes de vie et d’action, de liberté, d’égalité, de solidarité. 6 Ecouter l’enregistrement de sa conférence dans l’enregistrement du Séminaire 2011, uploads/Politique/ caloz-tschopp-marie-claire-des-exil-explorer-la-face-cachee-de-l-x27-exil.pdf

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