Conseil Constitutionnel : entre soulagement et insatisfactions Par David NGOUAH

Conseil Constitutionnel : entre soulagement et insatisfactions Par David NGOUAH BEAUD Juriste - Consultant Attendu au nombre des institutions créées par la Constitution du 18 Janvier 1996 et qui n’avaient pas encore vu le jour, le Conseil Constitutionnel vient de naître avec le décret qui en nomme les membres. Mettant ainsi fin à une attente qui aura duré plus de deux décennies au cours desquelles son absence aura suscité de nombreuses frustrations, malgré sa substitution ponctuelle par la Cour Suprême. Substitution au demeurant insuffisante et partielle dans la mesure où elle ne se faisait sentir qu’en période électorale. Ce particularisme aura conduit nombre de nos concitoyens à percevoir ce Conseil uniquement comme une institution à vocation électorale. Alors même que son champ d’intervention est incommensurablement plus large et embrasse des matières toutes aussi importantes pour la vie de nation, à l’instar du contrôle de la constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux ; des conflits d’attribution de compétence entre diverses institutions de l’État ; de la constatation et de la proclamation de la vacance du pouvoir présidentiel. Que pour l’avenir, dans le contexte achevé de la décentralisation, ce sera l’organe qui aura en charge de trancher les litiges entre les Régions et l’État. Contentieux potentiellement important à en juger par les velléités autonomistes qui se manifestent dans l’ensemble du pays par rapport au pouvoir central. Plus globalement considéré, ce Conseil doit donc être compris comme l’organe régulateur du fonctionnement des institutions de l’État, ainsi que l’annonce l’article 46 de la Constitution avant d’étayer ses prérogatives. Il convient de se réjouir qu’un tel organe conçu pour la stabilité, la sérénité du climat politique et la sécurisation de l’état de droit vienne d’être mis en place, même si l’on peut légitimement déplorer que sa gestation fût si longue. Toutefois, aux yeux de beaucoup, les circonstances qui entourent la mise en place du Conseil Constitutionnel sont de nature à en réduire la contribution dans l’avancée vers une démocratie plus ouverte. Et les points de controverse soulevés sont multiples au point de n’en devoir évoquer que quelques-uns parmi les plus évoqués.  La procédure de nomination, telle que définie à l’Article 51 (2) de la loi fondamentale, prescrit que les désignations des membres faites par les Présidents de l’Assemblée et du Sénat résultent des avis de leurs bureaux respectifs. Mais il s’avère que des parlementaires de l’opposition qui figurent dans ces bureaux clament n’avoir pas participé à ce processus de désignation. Face à leurs allégations on ne dispose d’aucun indice contradictoire permettant d'affirmer que la désignation des 6 membres concernés sur un effectif total de 11, a scrupuleusement obéi à la loi sur ce point.  La garantie de l'impartialité des membres est sujette à caution, du fait de leur lien avec le RDPC. En effet, plusieurs sont issus de ce parti au pouvoir, parmi lesquels 3 sont membres du comité central de cette formation; Clément Atangana, le président du Conseil, en étant un allié par l’intermédiaire de son épouse, députée du même parti. Rappelons qu’antérieurement, celui-ci aura été membre de la Cour Suprême, institution qui assumait à titre transitoire le rôle du Conseil constitutionnel. En ces circonstances transitoires, il y occupait la fonction sensible de Président de la commission nationale de recensement des votes depuis 1997.  La durée du mandat des Conseillers pose problème depuis sa révision intervenue à la faveur de la loi n° 2008/001 du 14 Avril 2008, qui dans le nouvel Article 51 qu’elle donne à la Constitution fait passer la durée de 9 ans non renouvelable, à 6 ans éventuellement renouvelable. Il est évident que la seconde formulation est de nature à susciter la soumission des Conseillers aspirant à leur maintien en poste. Le libellé originel de 1996 ayant été écarté pour mieux « tenir » ces mandataires. Car il est universellement bien compris que l’indépendance des mandataires tient aussi à la durée unique de leur mandat : soit un terme unique d’une période non reconductible, soit une inamovibilité à vie. L’option de choix entre le mandat unique non renouvelable et le mandat à vie inamovible concourt à l’indépendance des mandataires. Par exemple, aux USA, où la Cour Suprême assume le rôle de Juge constitutionnel, l’inamovibilité des juges est garantie par l’article III de la Constitution américaine qui dispose que leur mandat est à vie. La France par contre a fait le choix du mandat unique non renouvelable de 9 ans (cf. Art 56 de la Constitution française) que nous lui avions emprunté jusqu’ à notre révision constitutionnelle de 2008 évoquée plus haut.  L'âge avancé des membres, dont la moyenne avoisine 70 ans, ne manque pas d’attirer les critiques de la tendance gérontocratique du personnel gouvernant. Il s'agirait pour certains, du recyclage de personnes sortant d'une période d'inactivité, ou de retraite, et peu susceptibles d’avoir conservé l’acuité professionnelle et intellectuelle qui a construit leur réputation. S’il s’avérait que ce soit ce critère qui aura déterminé leur désignation à ces fonctions.  L'occasion vient d’être manquée de réduire la surreprésentation des francophones à la tête des institutions majeures de la République. Dans le contexte socio politique de tension actuel, la nomination d'un anglophone aurait pu contribuer à l'apaisement de la crise qui perdure dans les provinces du nord-ouest et du sud-ouest.  Le déséquilibre des genres qui s'illustre par la sous-représentation des femmes dans cette instance est à déplorer. Alors qu’elles sont majoritaires (51 %) dans notre population et qu’il n’en manque pas disposant du profil exigé par la Constitution, il se trouve inexplicablement que sur un effectif global de 11 membres, une seule figure au Conseil. Quel que soit notre attachement vertueux à l'état de droit, gardons à l'esprit qu’au Cameroun, le Conseil constitutionnel, demeure un organe consultatif et davantage un organe politique. Ceci, malgré sa similitude à maints égards avec les juridictions du Pouvoir judiciaire, qui est présumé être indépendant. L’assimilation tiendrait probablement au fait que les décisions du Conseil sont dites souveraines et irrévocables, et qu’elles s’imposent à toutes les institutions et personnes, morales ou physiques, civiles ou militaires, comme en dispose l’article 50 de la loi fondamentale camerounaise.. Le choix de la dénomination de Conseil n’est pas innocent. Dans d’autres pays, lorsque l’on a voulu conférer sans équivoque une totale indépendance à des institutions apparentées, elles ont d’emblée été désignées par le vocable de Cour, plutôt que par celui de Conseil. Du fait de sa nature politique, il est donc normal que le pouvoir Exécutif aspire à le contrôler, ou tout au moins à s'assurer la bonne disposition de ses membres. Notre proposition pouvant librement être reprise à l’inverse, il peut être dit que le Pouvoir exécutif visant à le contrôler en a fait dès le départ un organe politique, là où d’autres l’ont rattaché à un Pouvoir judiciaire indépendant. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que cette option prise par le constituant de 1996, est l’une des matérialisations des compromis arrêtés lors de la Tripartite de 1993. À l’époque, l’opposition et la société civile (dont bon nombre d’acteurs sont encore actifs dans l’environnement socio politique contemporain) ne l’aurait pas accepté ainsi, qu’il en eût été autrement. Particulièrement quant à l’affirmation de l’indépendance de cet organe par rapport à l’Exécutif, où à l’ouverture de sa saisine directe aux citoyens individuellement considérés. Au-delà des objectionss sus-évoquées, pointe une appréhension, cette fois d’ordre uniquement fonctionnel: quelle garantie avons-nous que la cette nouvelle institution échappera au champ prédateur du "constitutionnalisme rédhibitoire" ? Néologisme que nous devons au professeur Joseph Owona, pour désigner la pratique qui consiste à brider les prérogatives constitutionnelles des institutions, par la mise en œuvre d’une floraison de textes parallèles, aux effets inhibiteurs de la vocation initiale de l’organe visé. À tel point que les « Décrets d’application » ont fini par faire croire aux citoyens avertis que tel était leur objectif premier. Nonobstant toutes les réserves que l’on peut égrener sur l’avenir de cette nouvelle institution, nous devons aux personnalités qui vont l’étrenner une présomption d'impartialité et de compétence. En attendant de pouvoir les juger à l’épreuve des faits et des circonstances historiques que nous entrevoyons dans notre horizon institutionnel et socio politique immédiat. David NGOUAH BEAUD Juriste - Consultant uploads/Politique/ copie-de-secours-de-conseil-constitutionne-version-du-14-fevrier-14h45.pdf

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