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Engagée sur le plan juridique par la multiplication des instruments normatifs et au plan concret par une plus grande vigilance des apporteurs d’aide ainsi que grâce à la volonté de certains Etats qui s’appuient sur le concours de la société civile, la lutte contre la corruption commence à faire sentir ses premiers effets, en particulier en Afrique. Mais elle a pour limites le profond enracinement culturel du phénomène et le faible impact des réformes de la gouvernance politique des Etats, cœur du problème. Elle suscite aussi, de la part des bénéficiaires, les acteurs majeurs d’une économie dont le fonctionnement est profondément biaisé à leur profit, des réactions qui vont d’atteintes au fonctionnement de la justice et aux libertés individuelles jusqu’à des rackets et à la préférence donnée aux entreprises venant de pays qui n’ont pas ratifié les traités garantissant les droits les plus fondamentaux. De ce fait de nouveaux viols de droits se produisent, non moins préoccupants. L’Afrique connaît des mutations encourageantes mais se trouve aussi à la croisée de chemins. Ce sujet devrait se trouver davantage au cœur des politiques de coopération. En lançant avec vigueur l’idée que les dettes que supportent certains Etats sont la conséquence de pactes de corruption, associant notamment des entreprises étrangères, souscrits par leurs gouvernants, les ONG et syndicats regroupés dans la campagne Jubilee 2000 ont établi un premier pont entre deux univers entre lesquels on n’avait guère jusque là établi de liens, celui de la corruption et celui des droits de l’homme. Par la ponction considérable que ce type de dettes “ odieuses ” fait peser sur les budgets des Etats, la corruption réduit en effet sérieusement la capacité des administrations publiques à fournir les services de base réalisant les droits économiques, sociaux et culturels essentiels (à la santé, à l’alimentation, à l’éducation…) et viole certains droits civils et politiques puisqu’elle asservit certaines des institutions auxquelles le peuple a délégué sa souveraineté et attente aux principes d’égalité des chances et d’équité. D’où la légitimité de poursuites en justice de tous ceux, y compris entreprises bénéficiaires, banques et Etats du Nord qui ont participé aux faits de corruption : les “ procès de la dette ” veulent être une préfiguration symbolique. La corruption prolifère dans de nombreux pays, et tout particulièrement ceux en développement, s’attaquant à la plus grande partie des fonctions assumées par les institutions publiques. Il est usuel de distinguer petite (quotidienne diffuse dans la société et portant sur des montants limités) et grande corruption (ciblée sur certaines activités liées au fonctionnement de l’Etat, bénéficiant à la nomenklatura et pour des sommes importantes). Une typologie plus pertinente distingue des formes élémentaires : Commission qui rétribue l’intervention d’un fonctionnaire pour un bénéfice, une exemption, une remise illicite. Gratification, pour un agent public qui a “ bien fait son travail ”. Piston. Rétribution indue d’un service public, en échange d’un zèle. Tribut ou “ péage ” extorqué sans service supplémentaire. Perruque : utilisation de matériels publics. Détournement : appropriation de biens publics. Elle peut aussi résulter de stratégies corruptrices : Constitution de relations pérennes : clientélisme, dyades (fonctionnaire + intermédiaire). “ Privilégisme ” : les privilèges sont organisés dans le fonctionnement même de la société. Impunité organisée au plan politique ou législatif. Absence de contrôle. Recherche d’enrichissement rapide en profitant de la position de pouvoir. Mutualisation de la corruption : pacte entre associés, avec intermédiaires privés qui deviennent supplétifs des fonctionnaires. Stratégies discursives : construction d’une culture des voies parallèle sanctionnée par une reconnaissance des victimes elles-mêmes. Création de files d’attente artificielles suscitant le besoin de “ coupe files ” rémunérés. Personnalisation des relations : on a “ son inspecteur des douanes. ” Manipulation des registres : fréquent lorsqu’il y a accroissement des contrôles, informatisation (double comptabilité). Pratique systématique de fabrication de faux documents donnant l’apparence de la régularité à des pratiques frauduleuses (i). Cette note se propose de passer en revue, après les causes de la corruption, les conséquences sur les droits de l’homme de ses formes les plus stéréotypées, avec un intérêt tout particulier pour l’Afrique, continent le plus pauvre et où donc les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) sont les plus mal assurés. Elle examinera ensuite les instruments mis en œuvre pour combattre la corruption, et donc rétablir les droits, ainsi que leurs limites et conséquences sur le droits de l’homme. Elle résulte d’entretiens, lectures et assistance à des conférences qui ont eu lieu de septembre 2004 aux premiers jours de janvier 2005, dont elle fait la synthèse. I. Les causes de la corruption Les avis divergent sur les causes de la corruption, certains privilégiant les facteurs exogènes, d’autres des raisons internes. Ces désaccords ne sont pas sans conséquences sur la recherche de remèdes. 1) Des circonstances politiques internationales Selon certains auteurs, la corruption aurait été encouragée dans un certain nombre de pays, en particulier en Afrique, par la Guerre froide : ç’aurait été une manière d’ancrer dans l’économie de marché des dirigeants qui auraient pu, sinon, prendre des options socialistes. Cette époque étant passée, des virages clé comme le discours de la Baule (1990) laissaient espérer de réelles évolutions. Mais la cause géopolitique contemporaine principale serait aujourd’hui l’instabilité qui affectedésormais un grand nombre de pays, particulièrement d’Afrique, qui donne aux dirigeants le sentiment de la précarité de leurs pouvoirs et donc le désir de s’enrichir rapidement pour se prémunir contre d’éventuels accidents politiques. Elle suscite d’autre part un besoin important d’achat d’armement sans que les pays donateurs d’aide soient trop informés, point de départ de trafics souterrains. Dans certains cas l’intérêt géo-stratégique (bordure africaine du Moyen- Orient, Sud Caucase…) des pays est la source d’une compétition entre pays riches qui n’hésitent pas à recourir à des moyens indignes pour asseoir leur pouvoir. Plus la société du pays du Nord serait elle-même perméable à la corruption, plus le phénomène serait fort. John Graf Lambsdorff (ii) note ainsi des corrélations économétriques fortes entre le degré de corruption estimé par l’indice TI du pays exportateur et celui du pays importateurlorsque tous deux sont élevés. Il en irait ainsi plus particulièrement pour Italie, la Belgique et la France (dont sait que l’indice TI ne la flatte pas). 2) Le déficit d’Etat démocratique Les politologues observent que la corruption apparaît généralement dans les sociétés qui vivent des époques de transition sur le chemin de la démocratie : l’équilibre institutionnel n’y est pas encore réalisé et quelques personnes sont portées à abuser du pouvoir très important, notamment. d’arbitrage entre plusieurs évolutions et rythmes de changement possibles, dont elles disposent. “ La corruption est essentiellement un problème de gouvernance, un constat d’échec des institutions et la marque d’un manque de capacité de gérer la société au moyen de systèmes équilibrés de freins et de contrepoids sociaux, judiciaires, politiques et économiques. (iii)”Des dirigeants peuvent, selon leur niveau dans l’Etat, bloquer la production des normes internes d’application des conventions internationales, détourner le fonctionnement de la justice, bloquer l’économie par le lock-out portuaire, distribuer contre paiement les licences d’importation, accorder des régimes fiscaux dérogatoires, arbitrer inéquitablement des appels d’offre… Courtisés, encore attachés à des pratiques patrimoniales, ils monnayent ce pouvoir. “ Robert Klitgaard, spécialiste dans ce domaine, propose une équation simple qui résume les causes de la corruption, celle-ci résultant du contrôle monopolistique des agents publics disposant de pouvoirs discrétionnaires, en l’absence de systèmes de responsabilisation : Corruption = monopole + discrétion – redevabilité.(iii)” L’incapacité de nombreux pays à construire un Etat disposant de règles établies au service de l’intérêt général et de pouvoirs suffisants pour les appliquer vient, finalement, au premier rang des causes de la corruption. Ces Etats ont souvent des fonctions publiques pléthoriques peut rémunérées (mais moins que l’on ne le dit pour les corps stratégiques comme les douanes et la police) qui se font de leur emplois une rente. L’une de manifestations de cette carence de l’Etat est le pluralisme des normes : cohabitent des lois datant de la colonisation et inapplicables, la coutume et des lois plus récentes, laissant au fonctionnaire, souvent peu formé, le pouvoir d’exercer un véritable arbitraire. On observe d’autre part une aggravation de la corruption dans certains pays où la pratique des Plans d’ajustement structurel s’est traduite par des réductions de rémunération des agents publics et/ou des diminutions d’effectifs. Exemplaire du premier cas, le Cameroun, où le salaire des fonctionnaires a baissé de 70 %, a vu un ministre chercher à compenser ce choc par un prélèvement sur tous les marchés publics relevant de sa compétence en vue d’une redistribution à son entourage. Le second cas a amené d’anciens fonctionnaires mis au chômage à s’imposer, en connivence avec leurs anciens collègues, comme intermédiaires entre les usagers et certaines administrations : dans les palais de justice, dans les zones de dédouanement… Il existe aussi un lien pervers entre la corruption et le processus de démocratisation tant que celui-ci n’est pas achevé et stabilisé : chacun des très nombreux partis qui apparaissent dans les uploads/Politique/ corruption 1 .pdf
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- Publié le Oct 08, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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