INTRODUCTION Ce cours de théorie générale des impôts vise, d’une part, à initie
INTRODUCTION Ce cours de théorie générale des impôts vise, d’une part, à initier les étudiants aux mécanismes, procédures et enjeux de l'impôt, et d’autre part, à les familiariser également à la diversité des terrains d'analyse que requiert la compréhension du phénomène fiscal. En effet au-delà des techniques qui masquent parfois sa réalité fondamentale, la fiscalité doit être comprise d'abord comme un fait politique et social1, en somme comme « une chose de l'homme »2 selon G. Vedel. L'impôt est en effet si intimement lié à l'évolution des sociétés et à celle de leurs institutions politiques, juridiques, économiques que, comme l'a écrit très justement E. Seligmann, « le citoyen de l'Etat moderne considère l'impôt comme une institution naturelle, si désagréable qu'il soit »3. L'impôt en tant que fait social est donc aussi, inévitablement, un fait politique. Ainsi, non seulement l'histoire de l'État se révèle indissociable de celle de l’impôt4, mais il est aussi très significatif que l'entrée de notre organisation sociale dans la modernité politique, c'est-à-dire celle des Lumières, a été précisément marquée par un élément essentiel, à savoir le transfert du pouvoir fiscal aux représentants du peuple. L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui a donné forme juridique et légitimité à ce transfert l'a instauré comme un principe devenu fondamental : le principe du consentement de l’impôt, lequel confère au Parlement la décision fiscale, c'est-à-dire le pouvoir de créer, modifier ou supprimer un impôt. Ce principe illustre bien le rapport entre droit fiscal et politique, un principe enfin qui, nolens volens, fait que l'on ne peut considérer l'impôt autrement que comme un phénomène citoyen. Outre les liens étroits qu'il entretient avec l'univers politique, l'impôt fait également l'objet de relations fortes avec l'environnement économique. Ainsi son poids plus ou moins grand renseigne sur le degré d'intervention de l'État dans l'économie. 1 E. SELIGMANN, Essais sur l'impôt, Girard et Brière, 1914. 2 G. VEDEL, in RFFP, n° 9, 1985. 3 E. SELIGMANN, op. cit. 4 G. ARDANT, Histoire de l'impôt, Fayard, 1972 (2 vol.). Par ailleurs, la fiscalité occupe une place essentielle dans les politiques sociales menées par l'État. Ceci est vrai tant en ce qui concerne le problème de la répartition de la charge fiscale entre les différentes catégories socio-économiques concernées que l'usage qui est fait des sommes prélevées. C'est dans ce cadre que doivent être replacés les débats, autrefois très vifs et avec lesquels la réflexion semble péniblement renouer aujourd'hui, entre partisan set adversaires de la progressivité de l'impôt ou celui relatif à l'égalité devant l'impôt (voire même par l'impôt). Tous ces éléments se retrouvent dans le droit fiscal qui traduit en termes de normes des objectifs politiques, économiques, sociaux. Ce droit participe en cela de logiques très diverses qui tantôt peuvent s'associer, tantôt peuvent se contrarier. Aussi n'est-il ni réductible à une accumulation de techniques, ni davantage formalisable en un ensemble uni relationnel. C'est un droit dont finalement la complexité n'a d'égale que la variété des situations qu'il doit appréhender. De multiples sens cohabitent en effet dans la législation fiscale. Ils correspondent tous, dans le meilleur des cas, à un projet que la société, à un moment donné, a attribué globalement à l'impôt, et de manière moins satisfaisante sans doute, à la satisfaction d'intérêts catégoriels pour régler un problème ponctuel ou céder aux pressions d'un groupe socioéconomique. Il résulte de tout ceci un entrelacs extrêmement diversifié et parfois même disparate de dispositions et de procédures qui ne sont toutefois que le reflet et la résultante de la complexité de l'organisation sociale. On doit enfin souligner que l'impôt occupe une place centrale dans les transformations qui sont à l'œuvre dans les sociétés contemporaines. La naissance de nouveaux États, la réorganisation administrative et économique des anciens États, la mondialisation des échanges, la montée en puissance des réseaux internet et des nouvelles technologies, le changement des mentalités, sont à l’origine d'une interrogation générale, dans le monde, sur la fiscalité. Cette interrogation qui porte sur des aspects très concrets, comme par exemple le choix de la matière imposable ou encore l'organisation de l'administration fiscale, devrait conduire, bien que demeurant très technique, à renouveler les diverses philosophies de l' impôt, voir même y associée l'idée de justice, qui se sont transmises de génération en génération, en donnant au fil du temps une image sinon séduisante du moins acceptable de la fiscalité. Une observation attentive des réformes effectuées en ce domaine depuis environ un quart de siècle sur l'ensemble de la planète, ainsi que des propositions de réformes encore à l'état de projet, amène, sans être excessif, à estimer que nous ne nous trouvons non pas sans doute à l'aube d'une révolution fiscale universelle, mais en présence d'une métamorphose allant dans le sens d'une libéralisation du droit et de l'administration fiscale, ce qui pourrait bien bouleverser notre conception de l'impôt et de sa réalité au cours des prochaines années. De fait, il s'avère urgent d'inventer une fiscalité pour le XXIème siècle, de donner un nouveau sens à l'impôt. Le temps est en effet venu de s'interroger sur la pertinence, et plus encore sur l'avenir de nos systèmes fiscaux qui pourraient bien se révéler progressivement obsolètes au cours des prochaines années. Un examen attentif fait aisément apparaître l'écart qui va se creusant entre d'un côté l'ampleur des enjeux concernant la réforme de la fiscalité, et de l'autre, l'approche technicienne, réductrice, qui trop souvent en est faite. Or, on l’a dit, la fiscalité est un fait social, économique et politique qui n'est réductible à aucun de ces champs. Expression d'un lien social, elle ne doit pas, comme c'est trop fréquemment le cas, être considérée d'un point de vue purement instrumental. À moins et c'est une hypothèse qui ne peut être exclue du fait des difficultés financières que rencontre l'État depuis plusieurs décennies ainsi que de la culture d'entreprise qui en imprègne la gestion- que l'impôt ne laisse une place de plus en plus grande à la redevance, et finalement au prix du service rendu par le secteur public. On serait alors en face d'un spectaculaire retour de l'Histoire dans la mesure où, d'une certaine manière, cela reviendrait à retourner vers une forme et une image primitive de la fiscalité en référence au tribut. En même temps, cette transformation de la relation fiscale en relation marchande, en faisant glisser le citoyen de l 'état de contribuable à celui de client, renouerait avec une conception de l'impôt qui le représente comme une contrepartie dans le cadre d'un échange; elle serait ainsi en conformité avec les thèses exprimées par l 'École du Public choice5 ou encore, avec 5 J. SILVESTRE,« Wicksell, Lindhal and the theory of public goods »in Scandinavian Journal of Economies, vol. 105 n° 4, 2003. l'idéal plus radical poursuivi par le courant ultralibéral exprimé par l'École libertarienne. On l'a compris, une telle évolution modifierait grandement le sens de l'impôt. Or si l'on estime qu'il faut maintenir une participation matérielle de chacun à la réalisation d'un intérêt général, autrement dit d'un lien social, alors, il convient de mettre en évidence les représentations qui en sont faites aujourd'hui. La fiscalité ne peut plus continuer à être analysée et bâtie à travers une grille de pensée au sein de laquelle se mêlent, sans jamais être explicitement identifiées, des idéologies souvent contradictoires qui ne parviennent plus à interpréter de manière cohérente l'impôt et sa réforme dans le contexte nouveau qui est le leur. Il en résulte des explications inintelligibles pour les citoyens. C'est la raison pour laquelle le besoin d'une réflexion scientifique d'ensemble s'avère particulièrement nécessaire. Il doit s'agir d'une réflexion menée patiemment, au-delà de toute forme d'à priori, et qui n'isole pas l'impôt du contexte en pleine mutation qui est le sien dans la mesure où les défis que pose la fiscalité sont étroitement liés aux transformations présentes et à venir de nos sociétés. Or on doit regretter que les politiques et les réformes fiscales demeurent largement en retrait par rapport à ces évolutions. C'est bien pourquoi il nous semble aujourd'hui crucial d'œuvrer à la renaissance de la Théorie de l'impôt, ce qui implique de parvenir à se dégager d'habitudes intellectuelles consistant à adopter une attitude intégralement positiviste par rapport à la fiscalité. Une telle optique pourrait, au premier abord, apparaître secondaire ou mineure, tant les théories semblent souvent éloignées de la réalité, et difficilement utilisables par les décideurs politiques ou les praticiens. Une telle conclusion est cependant hâtive. Elle est notamment démentie par le fait que les situations ont toujours besoin d'être rendues intelligibles et par conséquent interprétées. Il ne faut pas oublier que les faits ne sont jamais «bruts» et qu'ils sont toujours perçus et analysés à travers un cadre conceptuel plus ou moins consciemment accepté. Or la fiscalité ne saurait échapper à ce processus qui conjugue le besoin de comprendre et d'expliquer avec le souci d'agir. On le sait, dans la société d'aujourd'hui conceptualiser, penser, s'avère plus que jamais hautement opérationnel. Il s'agit, autrement dit, de savoir résister aux pressions implicites d'un environnement général qui fait prédominer une approche uploads/Politique/ cours-droit-fiscal-theorie-generale-des-impots-2020-copie.pdf
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- Publié le Fev 14, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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