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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/11 Christian Troadec, le seigneur de Carhaix PAR STÉPHANE ALLIÈS ET RACHIDA EL AZZOUZI ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 12 DÉCEMBRE 2013 Christian Troadec sous les flashs le 30 novembre 2013 à Carhaix © Rachida El Azzouzi Derrière l’inventeur des Vieilles charrues et sauveur de l’hôpital local, devenu orateur et leader de la colère bretonne, se cache un personnage parfois autoritaire et brutal. Premier volet de notre enquête-portrait sur le maire de Carhaix, consacré à sa pratique du pouvoir municipal à l'heure où le premier ministre est attendu ce vendredi à Rennes pour signer « le pacte d'avenir pour la Bretagne ». C'était le 30 novembre dernier. A Carhaix, dans le Finistère, les « Bonnets rouges » déroulaient l'acte deux de leur résistance pour « vivre, décider et travailler en Bretagne ». Au sud de la ville, sur le site de Kerampuilh, où se joue chaque été depuis plus de vingt ans le festival des Vieilles Charrues, 30 000 personnes jouaient des coudes en buvant de la bière, entonnaient avec Gilles Servat « la Blanche Hermine » l'hymne officieux des régionalistes bretons et infligeaient des cartons rouges à « l'Etat central », devant près de deux cents journalistes, dont la BBC. En fin d'après-midi, la marée humaine s'abattait sur le bourg de 8 000 âmes, sous les binious et les tonnerres d'applaudissements des riverains et des commerçants, à l'occasion d'un défilé passant sous les fenêtres de l’hôtel des impôts. En tête du cortège, les animateurs des «Bonnets rouges» qui ont conduit le gouvernement à plancher fissa sur «un pacte d'avenir pour la Bretagne» qui sera signé ce vendredi 13 décembre à Rennes par le premier ministre Jean-Marc Ayrault. Dont Christian Troadec le maire de Carhaix. Bien au centre, face caméras. Christian Troadec sous les flashs le 30 novembre 2013 à Carhaix © Rachida El Azzouzi Quand arrivées dans la grand-rue, des dizaines de voix l'acclament et hurlent « Chrissssiiiian député, Chrissssiiiiian député ! », l'édile, écharpe bretonne, noire et banche flanquée d'hermines, sur le poitrail, est devenu rouge comme sa coiffe. Presque gêné que l’on « pense que cette interpellation est calculée et que je veuille tirer les draps sur moi ». Avant de se ressaisir, et d'asséner à Médiapart, qu’il n’arrive pas à vouvoyer, fier comme un coq : « Tu vois bien que les gens m'aiment ». [[lire_aussi]] Au même moment, pourtant, dans les PMU du coin ou dans leur salon, des habitants s'étranglent devant leur télé, branchée sur les chaînes d'information en continu qui suivent en direct le grand rassemblement de Carhaix. Sous couvert d'anonymat pour la plupart, par « peur de représailles », ils décrivent un « titan- tyran », « chef de clan manipulateur», « insatiable du pouvoir », « sanguin et retors ». Beaucoup évoquent « le système Troadec », bien loin de l'image du « village gaulois qui résiste à l'empire », vendue par les médias parisiens que l'édile sait se mettre dans la poche, lui l’ex-journaliste au Télégramme qui a fondé ensuite un hebdomadaire « le Poher », avant de dédier sa vie à la politique. D’autres refusent carrément de s’exprimer sur « l'animal Troadec », « pour leur carrière » ou parce qu’ils en ont « trop pris dans la gueule ». En boucle, les mêmes formules reviennent, y compris parmi ses soutiens actuels : « on est avec lui ou contre lui », « son esclave ou son ennemi, jamais son partenaire ou son adversaire ». Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/11 L’entrepreneur qui lutte contre la désertification de son centre-Bretagne adoré, qui a co-fondé le festival des Vieilles Charrues, avant de racheter et relocaliser de Morlaix à Carhaix la brasserie Coreff, n’est pas homme sans défauts. Mais il possède un allant qui fascine, et une disponibilité qui séduit. « C’est un journaliste donc un pro de la communication, dit l’une de ses anciennes collaboratrices. Il retient tous les prénoms, tutoie d’emblée tout le monde et cela a un impact considérable sur la population, notamment sur les personnes âgées qui sont émerveillées ». Il suffit de marcher dans les pas de Monsieur le maire, que la plupart des Carhaisiens interpellent par son prénom pour mesurer sa popularité, de le suivre, le soir venu, dans sa tournée quasi-quotidienne des grands ducs. Chez James, «p’tit Zef de Casablanca» qui tient la brasserie au pied de la mairie, son QG avec la pizzeria de Colette et le bar de l’hôtel Noz Vad. Il lance à la cantonade en bombant le torse que Mediapart réalise « un portrait “ombres et lumières” » de sa personne, qu’il n’en prend pas ombrage, qu’« on a tous des défauts même (lui) » et qu’il n’a rien « à cacher ». Il claque des bises, serre des poignées de main, demande des nouvelles de la famille, de « la mémé malade », « du petit dernier qui vient de naître », tout en enchaînant les tournées, les litrons de vin, de bière ou de whisky, « selon l’humeur du foie ». Avec lui, son cercle rapproché. Des adjoints, des paysans, des petits patrons, des ouvriers. Christian Troadec appelle ça « être au comptoir de la vie ». Avec sa gouaille de Blondin des campagnes qui récite l’Histoire de France et de Bretagne (toujours en les dissociant), il prend le pouls de ses administrés, éponge leurs soucis, démonte leur envie de voter Le Pen de désespoir. « La plupart des élus de la République de gauche et de droite ne savent plus mettre les pieds sur le terrain », fustige-t-il en levant le coude et en invitant « les censeurs poujadistes de Paris à venir vivre avec le peuple ». C’est aussi la « démocratie de bistrot », où l’apéro dure jusqu’à l’aube s’il le faut et « libère les énergies », l’une des ses formules fétiches reprises aujourd’hui en boucle par le collectif des «bonnets rouges». Christian Troadec «au comptoir de la vie» chez Colette avec deux agriculteurs dont un paysan bio et bonnet rouge © Rachida El Azzouzi C’est ainsi, assume-t-il, par « une cuite monumentale entre potaches cabochards », qu’ont démarré les Vieilles Charrues, devenant l’un des festivals les plus courus d’Europe. Mais aussi que s’est organisé le combat pour l’hôpital de Carhaix, immortalisé par un film à succès (Bowling). C’est aussi comme ça qu’est née la fronde hétéroclite des Bonnets rouges contre l’écotaxe, lorsqu’il s’est enivré un soir d’octobre avec Thierry Merret, le leader de la fédération des syndicats d’exploitants agricoles du Finistère. Sans se douter alors de « l’effet papillon » que cela produirait deux mois plus tard au sommet de l’Etat. « Christian la tempête », comme certains le surnomment, est en route vers une réélection triomphale aux prochaines municipales. « Même sans les bonnets rouges et la folle médiatisation qui les accompagne, sa victoire était assurée », lâche un détracteur. Elu maire en 2001, devançant d’une poignée de voix le PS et la droite au terme d’une triangulaire où il fit alliance avec l’ancien maire historique Jean-Pierre Jeudy (exclu du PCF en 1988 pour avoir suivi Juquin et non Marchais à la présidentielle), Troadec a un bilan solide derrière lui. Et des équipements multiples à faire valoir pour une ville de moins de 10 000 habitants (complexe aquatique, centre de congrès, salle de spectacles, maison de l’enfance, école de musique, foyer de jeunes travailleurs, médiathèque, salle omnisports, centres équestres...). En dix ans de mandat, il est parvenu à incarner une dynamique volontariste dans un territoire rural du bout du monde, en difficulté, ancré à gauche mais Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/11 marginalisé. Mais ce volontarisme connaît le revers de sa médaille, quand son charisme et sa bonhomie se transforment en autoritarisme brutal. Très rapidement, il fait du conseil municipal, diffusé à la radio, (sur Radio Canal Centre), une arène permanente, « un western où il ne respecte personne », décrit un conseiller municipal de l’opposition qui tient à rester anonyme. «Il a complètement asséché toute concurrence dans sa ville» Ouest-France s’étonne, dès avril 2001, que « le nouveau maire a quitté son costume de rassembleur pour enfiler celui de maître de cérémonie houleuse », et note le « ton des plus autoritaires » employé par le nouveau maire. Au fil des conseils, il traite ses opposants de « malhonnêtes », de « personnes hostiles », de « fourbes » ou « consternants ». Au point d’entraîner progressivement la rupture avec son allié Jean-Pierre Jeudy, « excédé par les querelles incessantes » et la « dérive autoritaire » de Troadec. A bientôt 70 ans, dont 35 de politique, Jeudy ne veut « plus prendre parti » dans la vie politique locale et dit entretenir des rapports « cordiaux » avec Troadec. Désormais, il a passé l’éponge sur ses joutes passées. «Il n’est pas autoritaire, dit-il. On disait aussi de moi que j’étais un dictateur, mais il faut bien prendre les décisions. Christian est très Carhaisien jacobin. uploads/Politique/ mediapart-troadec1-366286-1-1.pdf

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