Olivier NAY Histoire des idées politiques 2 500 ans de débats et controverses e

Olivier NAY Histoire des idées politiques 2 500 ans de débats et controverses en Occident Nouvelle édition Image de couverture : © Alex Williamson Mise en pages : Belle Page © Armand Colin, 2021 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN : 978-2-200-62802-4 www.armand-colin.com Qu’est-ce que l’histoire des idées politiques ? D epuis qu’elle est devenue une discipline scientifique à la fin du xixe s., l’his- toire n’a cessé d’être jalonnée de controverses sur la meilleure manière de comprendre les expériences du passé. L’étude historique des idées n’a pas échappé à ce bouillonnement des connaissances. Elle puise des origines lointaines dans des travaux précurseurs menés au xixe s., comme ceux de Victor Cousin, Eugène Lerminier et Hippolyte Taine en France, ou Wilhelm Dilthey en Allemagne. Elle connaît des développements au début du xxe s., dans des ouvrages d’historiens, de philosophes et d’essayistes étudiant les transformations de la pensée européenne comme Paul Hazard, Lucien Febvre ou Étienne Gilson. L’histoire des idées ne s’ins- talle toutefois comme un domaine de recherche qu’entre les années 1920 et 1940, avec Friedrich Meinecke, Karl Mannheim et Hans Baron en Allemagne, Robin George Collingwood en Angleterre, et surtout Arthur O. Lovejoy aux États-Unis, fondateur en 1940 du Journal of The History of Ideas dont la publication, après la guerre, contribue à l’autonomisation de la discipline au sein des études historiques. L’histoire des idées politiques s’intéresse tout particulièrement à l’évolution des savoirs portant sur l’organisation des sociétés et le gouvernement des popula- tions. Elle étudie les activités intellectuelles, la formation des traditions de pensée, l’essor des théories et des concepts, mais aussi toutes les connaissances générales abordant les dimensions politiques de la vie en société : le bon gouvernement, le bien commun, la justice et la paix, les règles de la vie commune, ou encore du destin collectif de la société. L’histoire des idées politiques tente de comprendre les différentes manières de penser la vie en commun au fil des siècles, ce qui couvre un large spectre allant des grands systèmes de pensée interrogeant les mystères de l’existence (Dieu, l’univers, la nature, l’âme, les principes de la connaissance) jusqu’aux écrits juridiques ou politiques cherchant à fixer le fonctionnement des institutions de gouvernement (l’art de gouverner, le domaine de la loi, la distribu- tion du pouvoir, les principes de règlement des conflits, les droits et obligations des gouvernés). Si elle s’est longtemps confondue avec l’histoire de la philosophie poli- tique, l’histoire des idées s’est progressivement ouverte à de multiples « objets » et ne se concentre plus exclusivement sur les productions savantes. Elle intègre aujourd’hui l’étude des idéologies, des mythes, des discours, des représentations culturelles et des conceptions ordinaires du politique. Histoire des idées politiques 4 Histoire des idées, philosophie et théorie À la différence des philosophes, les historiens des idées politiques ne poursuivent aucune ambition normative. Leur objectif n’est pas de dégager des propositions morales ou juridiques destinées à orienter la société dans un sens qui leur paraît le plus souhaitable ou le plus juste du point de vue des valeurs. Il est, plus modes- tement, de comprendre le rôle que jouent les idées dans le développement et la transformation des sociétés. Le projet intellectuel de l’histoire des idées s’inscrit dans l’épistémologie des sciences sociales. L’objectif est d’observer et de décrire la place qu’occupent les « productions discursives » dans l’édification du gouvernement politique. Comme tous les scientifiques, les historiens des idées s’appuient sur les méthodes de la recherche empirique. Ils progressent dans la connaissance par la collecte, l’ob- servation et l’interprétation de données recueillies à partir de sources variées. Ils construisent une interprétation prudente de l’histoire. Ils renoncent à étudier les faits et les connaissances à partir de prénotions et de formes de jugement qui mettent en avant une conception particulière du bien et de la justice. Pour les historiens, les idées ne sauraient être d’ailleurs considérées comme des catégories universelles. Elles sont nécessairement des constructions sociales. Elles sont « situées », c’est-à-dire forgées dans un environnement social, politique et culturel particulier qui contribue à en définir le sens et la portée. À cet égard, elles ne désignent pas les mêmes choses d’une période à l’autre, ni d’une société à l’autre. De même, leur progression dans l’histoire suit un cheminement aléatoire fait d’inévitables hésitations, tâtonnements, résistances et mutations. Les idées ne sont donc pas des réalités stables ; elles ont leur propre historicité. La philosophie et la théorie politique se distinguent de l’histoire des idées politiques sur un point central : elles engagent une réflexion sur les valeurs. Leur visée est de dégager des propositions relatives à la vie commune, de forger des énoncés cherchant à distinguer les conditions du bien et du juste. L’activité philo- sophique et théorique cherche à construire des concepts dotés d’une validité générale, affranchis des contraintes immédiates posées par la société. Certains philosophes considèrent d’ailleurs que la démarche descriptive et contextualiste des historiens est confrontée à une limite interne puisqu’en considérant les idées comme de simples « produits sociaux », elle s’empêche de dégager des critères de vérité ou de jugement universels permettant de penser la société dans sa dimen- sion morale. L’intérêt de la théorie politique et de la philosophie politique pour la ques- tion des valeurs conduit souvent à voir les deux domaines comme une seule et même discipline. À cet égard, les termes sont fréquemment utilisés de façon inter- changeable. Ils désignent alors tous les travaux intellectuels qui cherchent à déga- ger des principes politiques généraux reflétant des conceptions morales ou des principes considérés comme intangibles. Dans de nombreux pays, néanmoins, le domaine de la théorie est distingué de celui de la philosophie, bien que les auteurs ne soient pas unanimes sur les critères distinctifs. En fait, la distinction, quand elle est ­ revendiquée, n’est pas tant de nature épistémologique que disciplinaire et méthodologique. Qu’est-ce que l’histoire des idées politiques ? 5 La philosophie politique est réputée être la branche de la philosophie s’intéres- sant à toutes les questions relatives au pouvoir, à la justice et au bien commun. Elle reste très proche d’autres branches, dont elle est souvent vue comme un prolonge- ment, comme la métaphysique, l’éthique, la philosophie du droit, la théorie de la connaissance ou la philosophie de l’histoire. Les œuvres philosophiques font géné- ralement des propositions générales sur des questions fondamentales du politique (le gouvernement, la loi, l’autorité, le droit, la paix). Leur objectif est de formuler des critères de jugement universels et intemporels, capables de se dégager des faits et des événements. La théorie politique, de son côté, est une discipline née au xxe s., souvent consi- dérée comme un sous-domaine de la science politique. Elle est également reliée aux théories constitutionnalistes développées dans le domaine du droit. L’une des spécificités de la théorie politique est son lien étroit avec les « humanités », c’est- à-dire l’ensemble des disciplines réunissant les sciences sociales et la littérature. Sa principale caractéristique est l’interdisciplinarité. En effet, par-delà la grande diver- sité des approches théoriques selon les pays, les théoriciens politiques ont tous pour ambition d’ouvrir les questionnements issus de la philosophie à l’analyse du langage, à la sociologie, à l’anthropologie culturelle, aux différentes branches de la science politique et aux études littéraires. D’un côté, la théorie politique se distingue du reste des sciences sociales dans la mesure où, contrairement à ces dernières, elle ne cherche pas à mettre à distance les valeurs. Son approche de la connaissance est éloignée du modèle positiviste des sciences. D’un autre côté, elle renonce aux exercices abstraits dans lesquels la philosophie peut parfois s’enfermer. Les théoriciens politiques conduisent en géné- ral des réflexions sur des problèmes concrets : Comment renforcer la participation en démocratie ? Sur quelles valeurs établir la citoyenneté dans le cadre européen ? Comment condamner sur un plan moral les discriminations liées au genre ou les atteintes à la nature ? Comment combiner l’égalité et la liberté dans la promotion des droits humains ? Dans quelle mesure peut-on concilier l’universalisme républicain et les politiques de reconnaissance des minorités dans le cadre de l’État-nation ? Il existe de multiples sensibilités au sein de la théorie politique. Des auteurs conservateurs y côtoient des théoriciens du républicanisme, des penseurs libé- raux, des libertariens, des défenseurs du multiculturalisme, ou encore des intellec- tuels critiques et des représentants de la gauche radicale. Aux États-Unis, depuis les années 1960, de nombreux travaux en théorie politique ont été menés dans les départements de lettres et de sciences sociales. Dans le cadre de l’après-guerre, en effet, les départements de philosophie restaient dominés sur les campus par une philosophie analytique s’intéressant à la logique du langage et à la significa- tion des énoncés scientifiques, dans une perspective qui négligeait les enjeux poli- tiques. Cherchant à rompre avec une pensée académique jugée trop abstraite, une partie des théoriciens politiques se sont engagés sur le terrain de la critique sociale, souvent en lien avec les sciences sociales. La théorie politique a notamment contri- bué au succès des idées dites « poststructuralistes uploads/Politique/ feuilletage-2116 1 .pdf

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