Louis Guespin 1. Problématique des travaux sur le discours politique In: Langag

Louis Guespin 1. Problématique des travaux sur le discours politique In: Langages, 6e année, n°23, 1971. pp. 3-24. Citer ce document / Cite this document : Guespin Louis. 1. Problématique des travaux sur le discours politique. In: Langages, 6e année, n°23, 1971. pp. 3-24. doi : 10.3406/lgge.1971.2048 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1971_num_6_23_2048 L. GUESPIN Rouen PROBLÉMATIQUE DES TRAVAUX SUR LE DISCOURS POLITIQUE Ce travail se voudrait une mise au point sur les problèmes théoriques et pratiques de l'analyse du discours. En même temps qu'il introduit le présent numéro de Langages, il fera fréquemment référence au numéro 9 de la revue Langue française, dont le titre, Linguistique et société, indique une orientation particulière et indispensable, prise aujourd'hui par l'analyse du discours *. Au long de l'article, on traitera donc de l'analyse du discours en général, mais le lecteur s'apercevra de la conception de plus en plus restrictive de cet objet; ceci n'est pas l'effet d'un hasard ni d'une négligence. En fait, l'exposé commence dans une problématique du mot, qui ne comporte pas même la notion de discours, pour s'achever sur une évocation des techniques actuelles de l'analyse du discours poli tique. Confronté à un texte, l'analyste a tenté diverses méthodes, et de ces différentes approches sont nés certains concepts, qui ont été en s'affi- nant, donc en se divisant. La notion de mot, prépondérante en début d'étude, disparaîtra progressivement. La notion de texte, vague et inopé rante (sauf à retrouver sa validité à l'occasion du travail de D. Slakta), se verra substituer les concepts d'énoncé et de discours. Enfin, la structure, évidente et de « bon sens », apparaîtra au fil de l'exposé comme sans cesse plus construite, toujours plus dépendante de la construction même qu'on en veut faire. Langue française, 9 est une présentation, aussi ouverte que possible au non-spécialiste, de l'état actuel de l'analyse du discours et, singuli èrement dans sa première partie, du discours politique. On y trouve, encadrés par une introduction et une synthèse de J.-B. Marcellesi, un article théorique de G. Provost-Chauveau, puis un échantillonnage de 1. Ce papier intègre les éléments d'une discussion qui, lors de la parution de Langue française, 9, a réuni, autour de J. Dubois et L. Guilbert, divers usa gers de l'analyse de discours : A.-A. Archibald, F. Dubois-Charlier, B. Gardin, J. Guespin-Michel, J. Guilhaumou, M. HoussiN, D. Maldidier, J.-B. Marcellesi, B. Perrier, R. Robin, J. Rony, С Serrano, J. Touar-Estrada. Qu'ils soient ici remerciés de leurs suggestions et de leurs critiques; les premières ont enrichi l'exposé sur bien des points, les secondes nous ont en particulier amené à modifier la conclu sion : la définition même du discours politique ainsi que la considération de la lecture comme condition de production ont été l'objet de précisions fructueuses. travaux méthodologiques, portant sur renonciation (L. Courdesses), l'application de la méthode de Z. Harris (D. Maldidier), l'application à l'analyse du discours de la grammaire des cas de Fillmore (D. Slakta), la contribution linguistique d'une historienne (R. Robin); une deuxième partie échappe à notre objet immédiat, en posant les problèmes socio- linguistiques hors de la perspective de l'analyse du discours. Cette orientation, féconde et enrichissante tant pour la linguistique que pour de nombreuses études fondées sur le texte, est particulièrement issue de l'initiative de J. Dubois; elle a pris conscience de son originalité à l'occasion du colloque de Saint-Cloud en 1968 (voir Cahiers de Lexicologie nos 13, 14, 15). De nombreux travaux ont été entrepris dans cette optique, sous la direction de J. Dubois et de L. Guilbert. Outre les nombreuses références fournies plus loin, nous aimerions signaler ici un article sur Lu formation du nom la Commune de Paris dans le discours de Marx 2 par l'équipe de L. Guilbert, ainsi que le travail de M. Barat sur Le vocabulaire des ennemis de la Commune 3. La nouveauté ainsi que la richesse de la production dans le domaine de l'analyse du discours poli tique ont fait naître un besoin, que cherche à combler l'actuel numéro de la revue Langages, qui se veut une mise au point sur la problématique la plus actuelle de la sociolinguistique. 1 . Le point de vue lexical. Cette première partie du travail parlera du vocabulaire des textes politiques. Il n'y a en effet aucune raison pour l'instant d'employer le mot discours. Ce terme ne pourrait avoir ici que le sens qui est le sien dans le vocabulaire général. Précisons donc cette première approche : l'analyste qui emploie les méthodes lexicologiques traditionnelles travaille sur des textes, qu'il regroupe en corpus. A travers les travaux du centre de Saint-Cloud, on ne voit pas que le fait de travailler sur un corpus de textes politiques puisse être à la source d'un problème particulier de méthode lexicale. Restera bien sûr posé le problème des idiolectes, inévitable en lexicologie structurale; si l'analyste s'intéresse à des microsystèmes linguistiques, il pourra être amené par exemple à étudier le passage d'un terme du vocabulaire général au voca bulaire de la politique; ainsi Mme Viguier s'intéresse-t-elle à l'entrée du mot individu dans le lexique politique du xvine siècle 4. Nous voudrions poser le problème de la légitimité, puis du profit à tirer des études de ce type. Leur bien-fondé est mis en doute par M. Pêcheux 5, tout au moins en ce qui concerne les méthodes reposant sur le décompte fréquentiel, les méthodes statistiques appliquées aux signes linguistiques à l'intérieur d'un corpus : « Le rapport au domaine 2. La Nouvelle Critique, numéro spécial, Expériences et Langage de la Commune de Paris. 3. La Pensée, avril 1971. 4. Cahiers de Lexicologie, 13, « Individu » au xvine siècle. 5. Analyse automatique du discours, Dunod, 1969. linguistique est ici réduit au minimum; on peut dire que le seul concept d'origine linguistique est celui de la bi-univocité du rapport signifiant- signifié, ce qui autorise à noter la présence du même contenu de pensée à chaque fois que le même signe apparaît. Mais ce concept appartient à un champ théorique pré-saussurien, et la linguistique actuelle repose en grande partie sur l'idée qu'un terme n'a de sens dans une langue que parce qu'il a plusieurs sens, ce qui revient à nier que le rapport du signi fiant au signifié soit bi-univoque... » « Les effets de sens qui constituent le contenu du texte sont négligés; on paye l'objectivité de l'information recueillie par la difficulté d'en faire l'usage qu'on prévoyait. » C'est dénoncer le mécanisme d'une telle étude, si elle vise à établir des résul tats culturels, sociaux, politiques en même temps que linguistiques. Or, le cas peut se produire. On en trouve l'exemple dans la conclusion de l'article cité de Mme Viguier : « Le signe ne change point de sens en entrant dans le lexique politique; c'est bien plutôt l'attitude politique qui se modifie à l'insertion de ce nouveau vocable » : non seulement le mot a un sens, mais encore, transféré à un domaine qui ne lui est pas originel, il ne va pas modifier un « filet linguistique » 6, mais une attitude poli tique. Il existe donc bien un point de vue encore attesté en lexicologie, selon lequel le rapport signifiant-signifié est bi-univoque, conformément aux postulats implicites de la plupart des travaux antérieurs à F. de Saus sure. La notion de lexique politique nous amène à poser la question des champs sémantiques. On trouvera chez G. Mounin (op. cit.) un rappel du problème qui se posait à J. Trier : celui du rapport entre les structures du lexique et la structure de la réalité. Pour qu'un champ conceptuel de l'observateur linguistique puisse être réputé champ lexical, il faut et il suffit que son système s'oppose aux autres microsystèmes de la langue 7. On s'aperçoit vite à la pratique que ce point de vue a abouti à des études brillantes mais limitées; on en prendra pour exemple le travail de Louns- bury sur la parenté (Langages, 1); il est de fait que certains vocabulaires sont particulièrement accueillants à un rapport immédiat expression- contenu. On pourra citer les vocabulaires technico-scientifiques, part iculièrement étudiés par L. Guilbert 8, les termes de parenté (Lounsbury, op. cit.; J. Dubois et L. Irigaray, Cahiers de Lexicologie, 8), ainsi que l'étude de divers classements lexicaux (plantes, etc.). Toutefois, le nombre même des études faites en ce sens, leur validité même, permettent de conclure a contrario pour l'ensemble du vocabulaire : si certains micro systèmes, parfois importants, permettent à l'observateur un compte rendu par structuration isomorphe expression-contenu, le vocabulaire général, c'est-à-dire ici les procédures générales de structuration linguis tique telles que l'analyste peut les construire, n'autorise pas la même démarche. Une autre approche peut être mentionnée ici, car nous voudrions 6. Selon l'expression de G. Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, 1963. 7. Voir J.-B. et Chr. Marcellesi, « Les études de lexique, points de vue et perspectives », Langue française, 2. 8. La formation du vocabulaire de l'aviation, 1965; Le vocabulaire de l'astronaut ique, 1967. la soumettre à la même critique; on pense à la tentative d'ApRESJAN pour structurer un champ sémantique en fonction d'oppositions grammat icales (Langages, uploads/Politique/ guespin-louis-problematique-des-travaux-sur-le-discours-politique.pdf

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