73 L’Africa tra vecchie e nuove potenze DOSSIER La France et l’Afrique sous Emm

73 L’Africa tra vecchie e nuove potenze DOSSIER La France et l’Afrique sous Emmanuel Macron. Stagnation ou reconfiguration ? Roland Marchal Introduction Emmanuel Macron, surnommé ironiquement Jupiter par les médias français, est partout. Au niveau intérieur, il multiplie les réformes dans des secteurs très différents et ainsi donne le sentiment qu’il est en train de débloquer le pays. Il répète à qui veut l’entendre qu’il fait ce qu’il a promis, ce qui constitue une rupture radicale avec ses prédécesseurs versatiles durant les campagnes électorales et timorés une fois arrivés au pouvoir. Il n’a pas d’opposition : aucun parti politique, aucune personnalité politique ne peut aujourd’hui s’opposer frontalement au nouveau président de la République de façon crédible. Ce sont les mêmes recettes qui sont utilisées au niveau international. Emmanuel Macron est partout : il est en Chine à évoquer un partenariat France-Chine (rien de moins), va libérer un premier ministre libanais en délicatesse fiscale et diplomatique à Riyad, tente à Abidjan de monter une opération militaire pour sauver les migrants réduits en esclavage en Libye (et les raccompagner chez eux). Comme promis, il parle avec tout le monde de Vladimir Poutine à Recep Tayyib Erdogan en passant par Donald 74 Dossier Trump. Évidemment, son franc-parler a quelques fluctuations et la question des droits de l’homme est bien sûr évoquée, mais dans les entretiens privés : il se conforme là à une certaine tradition des démocraties inquiètes des chiffres de leur commerce extérieur. Enfin, il agit sur cette scène internationale dans un moment très particulier. Angela Merkel peine à se rétablir après des résultats électoraux plutôt mauvais et à constituer une coalition pour gouverner. Theresa May est en difficulté dans son propre parti et, de toute façon, complètement absorbée par la négociation du Brexit. Donald Trump, quant à lui, est Donald Trump et, hormis twitter, il est difficile de savoir ce qu’il veut faire à part créer un peu plus de chaos. C’est donc dans cette configuration tout à fait singulière que les relations entre la France et le continent africain doivent trouver de nouvelles marques. En effet, comme souvent lorsqu’on considère la politique extérieure française, on a le sentiment rétrospectif d’une assez forte continuité mais aussi de quelques décisions qui constituent des ruptures fortes avec une certaine tradition. Il est trop tôt pour réellement entrevoir les grandes priorités d’Emmanuel Macron. Certes, celui-ci les a déclinées à plusieurs moments, notamment lors d’un voyage en Afrique de l’Ouest où il a dialogué avec les étudiants à Ouagadougou avant de participer à un sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan. Mais il faut raison garder dans la mesure où la politique de communication du nouveau président français reste souvent plus importante que les décisions concrètes plus difficiles et lentes à mettre en œuvre – dès lors qu’elles ne concernent ni la présence militaire française sur le continent ni la crise migratoire. Pour mieux saisir les évolutions possibles sous la présidence Macron, il est sans doute plus utile de revenir sur trois aspects structurant la politique de la France vis-à-vis du continent africain. Afin de mieux en rendre compte, il convient de prendre un certain recul, d’où dans ce texte la volonté de faire référence à des transformations sous les mandatures de Jacques Chirac (1995-2002 et 2002-2007), Nicolas Sarkozy (2007-2012) et François Hollande (2012-2017). Les trois thèmes retenus sont les suivants. Le premier concerne les mécanismes décisionnels dans la mesure où chaque président français a mobilisé de façon relativement différente l’appareil d’État et que les rigidités de ce dernier ont également pesé sur les politiques mises en œuvre. La volonté de réforme du nouveau président français touche tous les secteurs de la société française et même la Constitution. Un second aspect est la montée de l’interventionnisme militaire depuis une quinzaine d’année. La politique française en Afrique depuis le Rwanda a été marquée par une certaine prudence pendant quelques années1 mais celle-ci s’est dissipée dans la décennie suivante et soulève d’importantes questions sur l’évolution de l’appareil militaire français, les impulsions données à certaines politiques européennes et l’acquiescement des opinions publiques à une présence militaire en terre étrangère qui est mal ressentie par les autochtones quand bien même elle serait motivée par la lutte contre le terrorisme. Un troisième thème est le redéploiement du capitalisme 75 L’Africa tra vecchie e nuove potenze français en Afrique même si cela peut être considéré comme une dimension relativement mineure (au niveau international) eu égard à ce qui se produit simultanément ailleurs, dans les pays émergents et dans les pays centraux. Cet aspect est important tant le nouveau président entend soutenir les intérêts économiques français à l’exportation. Un dispositif institutionnel amendé La modernisation de l’État – au moins pour ce qui touche son action à l’international (et tout particulièrement l’Afrique pour ce qui nous occupe) – a débuté dans les années 1990. On peut essayer d’en décrire la dynamique (et les ressacs) dans les deux dernières décennies. Plusieurs critiques étaient partagées par les décideurs politiques et les hauts fonctionnaires. D’abord, un certain gallicanisme était de rigueur : encore au début des années 1990, il était possible de trouver des ambassadeurs fiers de ne parler que français (Picq 1993). Ensuite, la conception du métier de diplomates était un peu surannée, coupée des réalités sociales et économiques françaises et évidemment distante du monde économique.2 La coopération vers l’Afrique était organisée d’une manière telle qu’elle autorisait le développement d’un clientélisme tant du côté français qu’africain et l’attribution de l’aide et ses priorités étaient sujets à de multiples interventions formelles et informelles dans l’appareil d’état français, que cela soit de ministres ou d’hommes politiques de la majorité au pouvoir.3 Ce système opaque autorisait bien des dévoiements au point que la critique de la Françafrique était devenue une ritournelle, sans toujours avoir de véritables fondements. La participation française dans la guerre du Golfe en 1991 avait également souligné la vétusté des moyens, du renseignement, de la formation des cadres militaires. Grâce à Alain Juppé (1993-1995) et Hubert Védrine (1997-2002), le Quai d’Orsay entreprenait une modernisation de sa formation (langues étrangères, connaissance des autres institutions, etc.) et une ouverture vers d’autres secteurs moins aristocratiques de la société française (universités, experts, entreprises qui travaillent à l’international). Depuis 2002, les avancées ont été plus rares si l’on excepte la mise en place d’une cellule de crises (sous Bernard Kouchner 2007-2010) et une politique de parité dans l’attribution des ambassades qui s’est mise en place plus facilement que dans d’autres ministères grâce surtout à Laurent Fabius (2012-2016). La plupart des ministres des affaires étrangères après 2002 n’ont pas montré un grand intérêt pour le métier de diplomate. Dominique de Villepin s’appuyait sur quelques personnes dont Paul Vilmont qui fit plus tard un passage remarqué à Bruxelles et traitait le reste de son ministère avec la plus grande condescendance. Son successeur, Philippe Douste-Blazy, est resté célèbre pour ses multiples ignorances (confusion entre Taïwan et Thaïlande, etc.), sa morgue et ses disputes de couple dans des hôtels internationaux. Si Bernard Kouchner est resté un personnage médiatique, le ministre qu’il a été a préféré les attributs du pouvoir à son exercice puisque l’essentiel de la politique étrangère était alors dirigé de l’Élysée. Sa remplaçante, Michelle Alliot-Marie, a dû être remplacée 76 Dossier très rapidement après avoir menti à la représentation nationale sur les affaires de ses parents en Tunisie alors que le Printemps arabe débutait. Son successeur, Alain Juppé occupa ce poste pour une période trop brève pour faire autre chose que du « damage control ». Laurent Fabius, quant à lui, s’est assez rapidement détaché du quotidien de son ministère. D’autre part, la crise budgétaire en France a pesé très lourd sur le fonctionnement du ministère des Affaires étrangères. Cette période de restrictions budgétaires a rarement affecté le train de vie des ministres mais a sérieusement limité les activités jugées non essentielles des ambassades. Cette pénurie a eu des effets paradoxaux aussi puisque les ambassades ont multiplié les activités financées par les grandes entreprises françaises au point à certains moments de créer le doute sur qui décidait de quoi. Enfin, l’intérêt pour l’Afrique a profondément évolué. Certes, il y a toujours ici et là le soupçon d’un certain affairisme qui touche un nombre limité d’hommes politiques (Kouchner, Villepin plus que Fabius, par exemple) et d’États sur le continent (Congo Brazzaville, Gabon, République centrafricaine - RCA, Togo, Côte d’Ivoire) mais c’est une réalité à la marge. Pour une carrière réussie, les diplomates tendent à éviter l’Afrique ou se concentrent alors sur les pays où la coordination multilatérale est le plus important (l’Éthiopie siège de l’Union africaine ou un pays face à une crise gérée de manière multilatérale comme le Soudan d’une certaine période) sauf si des liens économiques importants existent ou peuvent être développés (Côte d’Ivoire, Kenya, Afrique du sud, Nigéria ; Lequesne 2017). Comme le souligne Christian Lequesne (2017), leur état d’esprit a également changé. Les diplomates français s’inscrivent d’emblée dans une communauté occidentale et sont plus rétifs dans leurs analyses à faire preuve d’originalité et à aller contre le courant d’interprétation dominant uploads/Politique/ afriche-1-2-2018-marchal.pdf

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