Claude Mossé DICTIONNAIRE DE LA CIVILISATION GRECQUE Note liminaire Civilisatio

Claude Mossé DICTIONNAIRE DE LA CIVILISATION GRECQUE Note liminaire Civilisation vient du latin civis, citoyen. En grec, citoyen se dit politès, celui qui appartient à la polis, à la cité, d’où vient le terme « politique ». C’est assez dire que la civilisation grecque est d’abord civilisation de la cité, civilisation politique. D’où le choix déli- béré des entrées de ce dictionnaire, axées d’abord sur ce qui faisait la spécificité de la civilisation grecque, cette dimension politique qui se retrouve non seule- ment au niveau événementiel, mais tout autant sur le plan religieux, artistique, et dans les différents domaines de la vie de la pensée. Quand Aristote définissait l’homme grec comme un zoôn politikon, un « animal politique », c’est bien cette réalité qu’il exprimait. Civilisation de la cité donc en premier lieu. Mais aussi, du fait de nos sources et de cette primauté du politique, civilisation d’une cité qui pendant deux siè- cles a tenu la première place bien qu’elle ne soit qu’une parmi les centaines de cités qui composaient le monde grec, à savoir Athènes. Certes, la domination exercée par Athènes sur ce monde grec est relative- ment tardive, puisqu’elle débute à l’aube du Ve siècle. L’épopée, la pensée philosophique et scientifique sont nées en Ionie, dans cette Grèce d’Asie où s’était d’abord produit le réveil de la civilisation après les « siècles obscurs ». L’époque dite « archaïque » con- nut un brillant essor de l’art et de la poésie aussi bien dans la Grèce d’Occident née de l’expansion des VIIIe- VIIe » siècles que dans les îles de l’Egée. Mais c’est à Athènes que fut établie la démocratie, ce régime poli- tique original dont nous nous réclamons encore, même si notre démocratie est différente de celle des Athéniens. Et c’est Athènes qui devint le centre incon- testé de la vie littéraire et artistique et du mouvement des idées dans les deux siècles d’apogée de la civili- sation grecque. D’où la place privilégiée qu’elle occupe dans cet ouvrage, choix délibéré qui récuse par avance l’accusation « d’athénocentrisme ». C’est aussi pourquoi la période qui suit les conquêtes d’Alexandre a été volontairement limitée à un bref développement. Certes, les cités grecques continuent à exister, théoriquement indépendantes, et leurs insti- tutions sont souvent mieux connues que pour la péri- ode précédente. Et si Athènes n’est plus une cité hégémonique, elle demeure le foyer d’une importante activité philosophique. Pourtant c’est désormais ailleurs que s’élabore une nouvelle civilisation, dans les capitales de ces royaumes nés de la conquête d’Alexandre, à Alexandrie, à Antioche, à Pergame. Une civilisation où se conjuguent l’apport hellénique NOTE LIMINAIRE 4 et celui des civilisations orientales, et que depuis l’historien allemand Gustav Droysen on appelle « hel- lénistique ». NOTE LIMINAIRE 5 Une partie des articles de cet ouvrage a déjà été publiée sous le titre La démocratie grecque (Le monde de...), M.A. Éd., Paris, 1986. Introduction La civilisation grecque s’est épanouie entre le VIIIe et le IVe siècle avant J.-C. sur une vaste aire géo- graphique allant des colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) aux rives du Pont-Euxin (mer Noire). Le cadre de cette civilisation a été cette forme politique spécifique qu’on appelle la Cité (Polis). Elle subsiste certes après le IVe siècle, mais comme une survivance dans un monde dominé par les grands états mo- narchiques nés de la conquête d’Alexandre, où se développe une civilisation dans laquelle l’héritage hellénique se mêle aux apports des civilisations orien- tales et qu’on appelle la civilisation hellénistique. On situe généralement l’arrivée des Grecs — c’est- à-dire de gens parlant une langue qui deviendra le grec — au début du second millénaire avant J.-C. On sait peu de choses en dépit des progrès constants de la recherche archéologique, sur les établissements humains qui précédèrent cette arrivée des Grecs et sur les conséquences qu’eut sur la civilisation matérielle la pénétration de nouveaux arrivants. Mais, à partir du XVe siècle, se développe une civilisation qu’on appelle mycénienne, du nom du principal centre où elle allait atteindre son apogée : le site de Mycènes dans le Péloponnèse. On sait que c’est en cherchant les traces des héros d’Homère que l’Allemand Schliemann fit entreprendre des fouilles qui allaient révéler l’exis- tence d’un palais de vastes dimensions, cependant que les tombes livraient un riche matériel où abondaient en particulier des objets d’or. Ils témoignaient de l’im- portance des souverains qui régnaient sur l’Acropole de Mycènes, cependant que la présence dans les tombes d’objets d’importation laissait deviner des relations entre ce monde mycénien et l’Orient médi- terranéen. Les progrès de l’archéologie et le déchiffrement des tablettes d’argile trouvées dans les ruines des palais mycéniens permettent aujourd’hui d’entrevoir, malgré les nombreux problèmes qui subsistent, ce qu’étaient ces états mycéniens qui connurent leur apogée entre le XVe et le XIIe siècle avant J.-C. : des états centralisés autour d’un palais où se concentraient non seulement l’autorité politique, militaire, religieuse, mais aussi les activités économiques, cependant que s’accumu- laient dans les magasins du palais les redevances acquittées par les populations des campagnes qui en dépendaient. On a souvent comparé la structure des états mycéniens à celle de certains états de l’Orient ancien, en dépit des différences d’échelle considérables. De fait on y retrouve l’existence d’une bureaucratie de scribes chargée de tenir à jour les archives et la INTRODUCTION 7 comptabilité du palais, d’une classe de guerriers pro- fessionnels, d’une paysannerie dépendante, même si cette paysannerie se distinguait, au sein des commu- nautés villageoises, des esclaves du palais et des dieux. Ce monde mycénien, dont nous sommes incapables de reconstituer l’histoire de façon précise, puisque les documents écrits que nous possédons sont essentielle- ment des comptes rédigés à la veille de la disparition des palais, s’effondre brusquement à l’aube du XIIe siè- cle avant J.-C. Les modernes ont avancé diverses hypothèses pour rendre compte de cet effondrement : arrivée de nouveaux envahisseurs qui seraient ces Doriens qui dans la tradition grecque se rendirent maîtres du Péloponnèse au lendemain de la guerre de Troie ; troubles intérieurs dont les traces lointaines se retrouveraient dans certains épisodes mythiques ; voire catastrophe naturelle qui aurait affecté princi- palement le Péloponnèse. Sans exclure en effet que de nouveaux arrivants aient pu provoquer ici ou là des incendies et des destructions, il faut se garder d’une explication trop schématique. Et ce d’autant plus que certains palais ne furent pas détruits en même temps que les autres, celui d’Athènes en particulier, et que l’on tend aujourd’hui à nuancer l’importance de la catastrophe et de la disparition de tous les sites mycéniens. La période de quatre siècles, qui sépare la fin des palais mycéniens de la renaissance de la civilisation INTRODUCTION 8 grecque à l’aube du VIIIe siècle, et que les archéo- logues appellent les « âges obscurs », se révèle en effet beaucoup plus complexe que cette appellation le laisserait supposer. Certes, il y a bien disparition de l’usage de l’écriture, abandon de nombreux sites, appauvrissement de la civilisation matérielle. Mais, au fur et à mesure que se multiplient les fouilles, on découvre que les ruptures sont moins catégoriques qu’on l’avait cru d’abord, que la civilisation mycéni- enne ne disparaît pas brutalement du jour au lende- main, qu’on retrouve la trace de continuités qui incitent à une appréciation plus nuancée des siècles obscurs. On savait déjà que c’est alors que des popu- lations grecques émigrèrent vers les îles et les côtes d’Asie Mineure. On pense de plus en plus aujourd’hui que la tradition qui faisait partir une partie d’entre eux d’Athènes n’était pas « infondée » et que l’Attique était demeurée pendant ces quatre siècles un centre relativement actif. Enfin, on tend à faire remonter au IXe siècle la renaissance d’où devait sortir le monde grec de la période historique. C’est alors en effet que commencent à réapparaître de nombreux sites abandonnés ou dont la population s’était considérablement réduite. Souvent ces regrou- pements se font autour d’une tombe monumentale ou d’un sanctuaire. Mais très vite s’affirme une structure « urbaine » différente de la structure palatiale mycéni- enne et qui va caractériser pendant les siècles suivants INTRODUCTION 9 cette forme nouvelle d’état, la cité, qu’on peut définir comme un centre urbain, généralement voisin de la mer, contrôlant un territoire plus ou moins vaste partagé entre les membres de la communauté civique. C’est cette forme d’état que les Grecs allaient bien- tôt diffuser dans tout le bassin méditerranéen avec le vaste mouvement d’expansion qui commence vers le milieu du VIIIe siècle et qu’on appelle la colonisation grecque. Suscitée en premier lieu par le besoin de terre, conséquence de l’explosion démographique, mais aussi par le souci de se procurer des biens dont la Grèce était dépourvue, essentiellement des métaux comme le fer ou l’étain, cette expansion des Grecs se traduisit en effet par la fondation d’établissements qui étaient des cités autonomes, indépendantes de leur cité mère (métropole) d’où étaient partis les premiers colons. Les fouilles qui ont été menées sur le site de certains de ces établissements permettent de mieux comprendre la nature de la cité grecque. On uploads/Politique/dictionnaire-de-la-civilisation-grecque.pdf

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