LA JUSTICE POLITIQUE EN PERIODE DE TRANSITION DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE DE L’OUES
LA JUSTICE POLITIQUE EN PERIODE DE TRANSITION DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST « La justice est l’épine dorsale d’une nation et la culture de l’impunité ouvre la voie à sa ruine ». Colonel Toussaint MUNTAZINI MUKIMAPA1 La justice et la politique sont deux notions a priori opposées mais qui peuvent structurer les processus de sortie de crise dans nombre d’Etats. L’actualité de la question peut s’évaluer par un certain nombre d’indicateurs ou d’évènements qui ont marqué les relations internationales africaines. Il s’agit notamment de l’inculpation de Charles Taylor2, du mandat d’arrêt lancé contre le Président Laurent GBAGBO le 23 novembre 2011, suivi de l’arrestation de Charles Blé GOUDE au Ghana, pour crime contre l’humanité3. Ces évènements témoignent de la présence de la justice internationale en Afrique. En même temps, la justice transitionnelle mise en œuvre sous différentes formes au Rwanda, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire notamment, illustre l’institutionnalisation d’une politique- celle du pardon- en période post conflit. Au vrai, la justice semble connoter une culture de responsabilité nationale et internationale, ciblée sur les individus, et forgée dès le Tribunal de Nuremberg (pour la responsabilité internationale) chargé de réprimer les criminels nazis. La justice se décline ici aux échelles nationale et internationale. Ces deux niveaux d’observation posent la question du lien entre justice et politique. La valeur curative de cette forme de justice pourra être évaluée à l’épreuve de la réconciliation en Afrique de l’ouest. Mais au préalable, la délimitation du présent sujet par la clarification de ces concepts majeurs, ainsi que son intérêt se révèlent nécessaires. I/ Délimitation de l’objet et intérêt de l’étude A- Définition des concepts clés Dans sa visée objective ou institutionnelle, plusieurs variantes de « justice » ont été mises en place. La notion de justice-institution est généralement mise en œuvre par la justice civile. Toutefois, la justice politique ne constitue, loin s’en faut, la seule expression spécifique de la justice-institution. La justice aussi bien militaire, pénale qu’administrative en font également 1 Magistrat militaire, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), il a été nommé procureur spécial auprès de la Cour pénale spéciale centrafricaine depuis le 15 février 2017. 2 Ancien Président libérien dont le procès s'est ouvert à la Hayes le 4 juin 2007. 3 Voir Annexe 1. (Mandats d’arrêts) 1 partie. Chacune d’elle correspond à une spécialisation matérielle. Le regroupement des matières juridiques a permis, entre autre, la distinction entre justice civile, justice pénale, justice constitutionnelle, justice administrative. De toute cette dimension de la justice en tant qu’institution, la justice politique (1) est de loin la plus décriée et controversée surtout lorsqu’elle est envisagée comme auxiliaire du pouvoir qui plus est, en période de transition démocratique (2). 1-Le concept de Justice politique Si l’objet de la justice est connu tout comme l’est l’existence de la politique, la relation entre les deux l’est moins. Il ne suffit pas de connaitre l’une et l’autre indépendamment pour comprendre les relations qu’elles entretiennent dans un contexte souvent complexe. En effet, s’intéresser à la justice politique peut paraître incongru, tant la juxtaposition de ces notions semble choquante, voire antinomique. Qualifiée de « justice inféodée », « justice partisane » ou même de « justice extraordinaire », la justice politique est une notion sibylline. Cette affirmation de Jacques ISORNI semble corroborer cette vision : « la justice n’est jamais juste dès qu’elle juge la politique quel que soit le siècle, quel que soit l’Etat 4». Autrement, qualifier de politique une certaine justice tend, sans se méprendre, à réduire celle-ci en un instrument servile du Pouvoir. Toutefois, la justice politique n’a pas uniquement qu’une charge péjorative, un aspect négatif, une connotation dépréciative. Elle a été conceptualisée par la doctrine comme une infraction politique (a) avant de connaitre un relent prétorien (b). a/ Interprétation doctrinale de la justice politique L’opposition de la justice et de la politique a, de prime abord, été conceptualisée par la théorie de la séparation des pouvoirs. Dans son œuvre, L’Esprit des lois, MONTESQUIEU distingue idéalement l’indépendance des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire5. Les régimes démocratiques qui ont consacré cette distinction ont créé des voies d’accès différentes aux fonctions politiques et aux fonctions juridictionnelles : les premières impliquent naturellement une compétition électorale reposant sur une concurrence partisane nécessairement politisée, tandis que les secondes supposent la possession de compétences juridiques évaluées lors d’un concours professionnel en principe soustrait aux considérations politiques6. De là, nous pouvons affirmer que la justice constitue, dans tout système politique, un appareil de régulation aidant à maintenir l’organisation sociale en état de marche. 4 Jacques ISORNI, « O liberté, que de crimes » Janus, n°6, avril-mai 1965, p.115. 5 MONTESQUIEU, L’esprit des lois, Livre XI, ch.6, Œuvres complètes, II, Gallimard, La Pléiade, 1976, p. 396 et s. 6 Florence BUSSY, Yves POIRMEUR, La justice politique en mutation, Paris, LGDJ, 2010, p.13. 2 Ensuite, la justice et la politique sont indissociables. En effet, la justice est une institution politique par sa relation au pouvoir d’État et au droit, œuvre d’un législateur de nature nécessairement politique. Autrement dit, la justice est considérée comme une institution de l’Etat dont la fonction est de dire le droit ; droit résultant d’un travail législatif, donc politique. Dans cette perspective, la justice doit réprimer les infractions politiques. Mais celle-ci se laisse difficilement saisir ; il règne à son sujet une fâcheuse confusion qui fait naitre des difficultés d’ordre définitionnel. La notion d’infraction politique a été conceptualisée par de nombreux auteurs. De multiples travaux ont joué un rôle non négligeable afin de rendre universelle la définition de cette notion. Les auteurs ayant contribué à la définition de l’infraction politique sont nombreux. Nous ne retiendrons que les contributions les plus significatives. Ainsi, selon Kluit PROVO, les infractions ou crimes politiques sont ceux visant principalement la forme du gouvernement7. Selon ROSSI Pellegrino8, il s’agit de ceux dirigés contre la personnalité du corps social, contre le mode d’existence d’un Etat. Quant à Adolphe CHAUVEAU, Faustin HELIE et Jacques-Fréderic RAUTER, les infractions politiques « visent la forme sociale d’une nation déterminée9» ou « les institutions politiques d’un pays déterminé10». Pour BLUNTSCHLI, par contre, il s’agit de ceux dirigés contre la constitution et le système politique d’un Etat donné11. De ces définitions, il apparait clairement que les infractions dites politiques sont celles qui tendent au renversement de la chose publique. On peut donc estimer que toutes les infractions politiques sont, a priori, des délits publics, mais non réciproquement. En1856, Joseph ORTOLAN tenta une originale approche en ces termes : « Répondez à ces trois questions. Quelle est la personne directement lésée par ce délit ? L’Etat ; dans quelle sorte de droit l’Etat se trouve-t-il lésé ? Dans un droit touchant à son organisation sociale et politique ; quel genre d’intérêt a-t-il à la répression ? Un intérêt touchant à cette organisation sociale et politique. Le délit est politique»12. Si cette conception d’ORTOLAN semble 7Kluit PROVO, De deditione profugorum, 1829. 8 Homme politique et juriste italien d’origine, ROSSI défini ainsi l’infraction politique dans le volume 2 de son Traité de droit pénal en 1829. 9 Adolphe CHAUVAU, Faustin HELIE, traité de droit pénal, Bruxelles, t. I, 1843. 10 Jacques-Fréderic RAUTER, Traité théorique et pratique du droit criminel français ou Cours de la législation criminelle, t. I, Charles Hingray, Paris, 1836. 11 BLUNTSCHLI, le Droit international codifié, Paris, Guillaumin et Cie, 4em éd, revue et très augmentée, 1886. 12 Joseph ORTOLAN, Eléments de droit pénal, t. III, Plon n° 718, 1863. Voir aussi, GUALINO, Droit international humanitaire, Dalloz, Paris, 1998, p 128. 3 restreinte, elle va gagner en extension à travers l’apport du jurisconsulte allemand Von LISZT. Pour lui, «sont politiques, les délits commis intentionnellement contre l’existence de la sûreté de l’Etat ou d’un Etat étranger, de même que ceux qui sont dirigés contre le chef du gouvernement et les droits politiques des citoyens »13. Selon sa conception, « die Bedeutung des durch die that angegriffene Rechtsguts14», autrement, il faut examiner la portée du bien juridique attaqué. Chacune de ces définitions contient une part de vérité. Elles s’accordent également sur le fait qu’il faut considérer l’objet de l’infraction et non pas l’intention de son auteur, encore moins les effets probables ou effectifs de l’acte. Ces définitions de l’infraction politique constituent la base, à partir duquel la notion sera enrichie, notamment lors de la conférence internationale sur l’unification du droit pénal. Tenue à Copenhague en août 1935, il a été proposé au cours de cette conférence, de qualifier comme politiques « les infractions dirigées contre l’organisation et le fonctionnement de l’Etat, ainsi que celles qui sont dirigées contre les droits qui en résultent pour les citoyens »15. L’Etat constitue donc le sujet passif de toute infraction politique bien que celle-ci porte atteinte aux intérêts et aux droits de l’Etat considéré comme puissance publique. De là, nous pouvons exclure des infractions politiques, les délits contre l’Administration ainsi que ceux relatifs aux prérogatives de l’Etat. Une simple violation de l’ordre public ne saurait être considérée comme une infraction politique. Il faut y adjoindre une intention de destruction uploads/Politique/ jp-intro.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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