L’école musulmane algérienne de Ibn Bâdîs dans les années 1930, de l’alphabétis

L’école musulmane algérienne de Ibn Bâdîs dans les années 1930, de l’alphabétisation de tous comme enjeu politique Ibn Bâdîs’ Algerian Muslim school in the 1930s : literacy for all as a political stake Charlotte Courreye Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur s FrançaisEnglish Le mouvement d’éducation de l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, et de son chef de file Ibn Bâdîs en particulier, s’est caractérisé dans les années 1930 par le développement d’écoles enseignant les sciences religieuses associées aux sciences profanes élémentaires. La défense de l’enseignement de la langue arabe et de l’islam en contexte colonial a donné une dimension éminemment politique à l’action des Oulémas, qui arrive à son paroxysme en 1938 lorsque le gouvernement français promulgue un décret visant les écoles coraniques en Algérie, décret contre lequel Ibn Bâdîs a organisé la lutte. S’il sert la diffusion des conceptions religieuses de l’Association des Oulémas (l’iṣlâḥ), c’est aussi dans le but de fédérer les musulmans algériens par une culture commune qu’est pensé l’enseignement de Ibn Bâdîs, dans un sens large allant de la madrasa au nâdî (le cercle) et de la troupe théâtrale au club sportif. Il s’adresse ainsi à tous les publics, enfants et adultes, issus de catégories sociales diverses – contrairement à la vision élitiste qui lui est souvent attribuée – dans le but de former (au sens d’éduquer mais aussi de constituer) la umma musulmane algérienne. Haut de page d’index Mots-clés : Algérie, madrasa, école, Ibn Bâdîs, Association des Oulémas Musulmans Algériens, al-tarbiya u l- taʿlîm, décret du 8 mars 1938, iṣlâḥ Keywords : Algeria, madrasa, school, Ibn Bâdîs, The Association of Algerian Muslim Ulamas, al-tarbiya u l- taʿlîm, decree of 8th March 1938, iṣlâḥ Haut de page La volonté de donner une culture de base commune à toute la umma musulmane algérienne Le public majoritaire : la jeunesse Un public adulte pour des cours d’alphabétisation ou d’initiation aux sciences religieuses Des initiatives similaires en métropole Permettre à tous d’étudier, sans conditions de ressources Fédérer l’action éducative des musulmans, dans et hors l’école Le rêve d’un système d’enseignement musulman unifié en Algérie, sous la direction des Oulémas Créer des manuels de langue arabe et d’histoire proprement algériens, un projet inachevé Les activités extrascolaires comme prolongement de l’action de l’école L’attaque de l’Administration contre l’école musulmane : le décret du 8 mars 1938 La réaction des Oulémas et son agitation dans la presse L’organisation de la lutte pour la défense de l’enseignement musulman algérien comme préfiguration du combat national ? Conclusion Haut de page PDFSignaler ce document s ont été translittérés, sauf dans le cas d’un usage courant de leur forme francisée (...) 1Dans l’Algérie coloniale, la volonté qu’eurent des Algériens musulmans de former les esprits, d’organiser un milieu intellectuel et de se regrouper en toute légalité prit une nouvelle forme quand ils s’approprièrent la loi de 1901 sur les associations (Bozzo, 2011). Ainsi, dans cet élan, le Cercle Salah Bey fut-il fondé à Constantine en 1907. Parmi ses fondateurs se trouvait al-Mûlûd b. al-Mûhûb1 (1863-1935), élève de ʿAbd al-Qâdir al-Majjâwî (1848- 1913), précurseur de l’iṣlâḥ en Algérie (Christelow, 1982). C’est aussi en association que les Oulémas Musulmans Algériens se sont rassemblés, à l’échelle nationale en 1931, mais déjà auparavant à l’échelle locale, comme en témoigne l’Association pour l’Éducation et l’Instruction Professionnelle des Enfants Musulmans (jamʿiyya(t) al- tarbiya wa l-taʿlîm al-islâmiyya en arabe) formée en 1930 par Ibn Bâdîs à Constantine. 2Le chef de file de l’Association des Oulémas Musulmans Algériens et rédacteur de différents journaux en langue arabe, ʿAbd al-Ḥamîd Ibn Bâdîs (1890-1940), considérait comme préalables d’une prise de conscience par les musulmans algériens de leur identité propre, à la fois la promotion d’un islam attaché aux sources scripturaires et délesté des pratiques « superstitieuses » (l’iṣlâḥ, le réformisme), et la connaissance de la langue arabe en Algérie. Le savoir que diffusait Ibn Bâdîs dans ses écoles (madrasa-s) fut donc politique, par ses conditions d’énonciation. Son expérience d’enseignement depuis les années 1920 avait renforcé ses convictions et imposé son autorité, faisant de Constantine un centre d’impulsion des politiques éducatives de l’Association des Oulémas. des études ultérieures se focaliseront sur d’autres villes ou régions et d’autres a (...) 3Ali Mérad a présenté ce système d’enseignement dans son étude globale sur le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 (1967 : 337-351), s’intéressant aux retombées psychologiques et sociales de cet enseignement. Nous ne ferons pas ici l’histoire à proprement parler de l’association al-tarbiya wa l-taʿlîm, elle a été l’objet d’un article de Abdelmadjid Merdaci, paru dans la revue Insaniyat, qui redonnait sa place à cette association méconnue et à son histoire au sein de l’essor associatif des années 1930 (Merdaci, 2007). Nous tenterons d’apporter notre contribution pour affiner la connaissance de ce système éducatif et saisir, outre l’apport culturel, la dimension éminemment politique que comporte la formation – tant éducative que performative – de la umma algérienne (communauté religieuse et nationale, nous le verrons) que Ibn Bâdîs appelait de ses vœux. Tout comme nos prédécesseurs cependant, nos observations se fonderont sur l’expérience badisienne, à partir de Constantine.2 4Le rôle de guides de la population musulmane d’Algérie que se sont donnés les Oulémas, et la mission d’éducation et de porte parolat dont ils se sentent par conséquent investis, ont été relevés par James McDougall (2006). Pour notre part, nous considérons qu’aux yeux de Ibn Bâdîs, éduquer la umma ne se réduit pas à une action scolaire, mais constitue une œuvre totale d’éducation. Omar Carlier a bien soulevé l’importance des réseaux de sociabilités et notamment des activités sociales, sportives ou artistiques dans le processus de définition d’une identité algérienne en contexte colonial (Carlier, 1995). Quant à la stratégie de l’Association des Oulémas, Mohammed al-Korso a démontré qu’elle ne dissociait pas les aspects culturels et religieux des aspects sociaux ou politiques (Korso, 1989). Son article « Structures islahistes et dynamique culturelle dans le mouvement national algérien, 1931-1954 » (Korso, 1988) met en avant les liens entre « espaces culturels » (dont le cercle et la madrasa) et « luttes idéologiques » (notamment politiques et religieuses) dans l’action des Oulémas. Mais il nous semblait manquer une analyse se nourrissant tant des sources arabes que des archives, de l’œuvre éducative de Ibn Bâdîs. La politisation que ce système total d’éducation a impliquée empêche la réduction du champ politique aux seuls cadres du parti politique et du système électoral. Notre mise en regard de la vision du colonisateur (archives françaises) et de celle d’un groupe de colonisés (journaux al-Shihâb et al-Baṣâʾir, tracts en arabe) permet la mise en valeur d’informations sous-exploitées ou méconnues par l’historiographie. Cela n’autorise pas encore toutefois, et c’est là une limite de notre article, d’atteindre une vision par le bas des adhérents ou des scolarisés. 5Par l’étude de l’action de Ibn Bâdîs au sein de l’association al-tarbiya wa l-taʿlîm à Constantine dans les années 1930, nous souhaitons montrer que, contrairement à l’idée que l’on se ferait d’un mouvement élitiste, cette action prouve le souci de toucher tous les publics, toutes les classes sociales. C’est dans le but de fédérer la umma musulmane algérienne par une culture commune qu’est pensé l’enseignement de Ibn Bâdîs, dans un sens large, allant de la madrasa au nâdî (le cercle) et de la troupe théâtrale au club sportif. Il se rapproche en cela de l’activité des partis politiques, comme la Fédération des Élus Musulmans du Département de Constantine par exemple. L’aspect politique de cette conception arrive à son paroxysme en 1938, lorsque le gouvernement français promulgue un décret visant les écoles coraniques en Algérie, décret contre lequel Ibn Bâdîs a organisé la lutte. Cette politisation s’est effectuée à la fois consciemment, compte tenu de l’implication forte des choix de Ibn Bâdîs, et sans être revendiquée comme telle. Le légalisme affirmé dont il fait preuve a ainsi pu provoquer chez lui un réel sentiment d’injustice face à la forte répression de l’administration au cours de l’année 1938. 6Nous étudierons donc en premier lieu les publics auxquels s’adresse le mouvement d’éducation des Oulémas, ainsi que les moyens employés pour diffuser une éducation musulmane par mais aussi hors de l’école. Enfin, nous consacrerons la troisième et dernière partie de cet article au décret du 8 mars 1938, renforçant le contrôle des écoles musulmanes algériennes, qui, s’il affaiblit le mouvement éducatif en provoquant la fermeture de madrasa-s de l’Association, a permis à Ibn Bâdîs et à l’Association des Oulémas de renforcer ses soutiens politiques et de réaffirmer son rôle de porte-parole de la umma. La volonté de donner une culture de base commune à toute la umma musulmane algérienne 7Avant toute chose, il convient de préciser ce que recouvre le terme de umma pour Ibn Bâdîs. Le terme est communément traduit par « communauté », mais aussi par « nation » en fonction du contexte. Parmi les définitions données par le dictionnaire Lisân al-‘Arab on trouve la définition suivante : « Tout groupe (qawm) qui s’apparente à un Prophète (nabî) et qui s’y ajoute (uḍîfû ilayhi) constitue sa umma ». uploads/Politique/ l-x27-e-cole-musulmane-alge-rienne-de-ibn-ba-di-s-dans-les-anne-es-1930.pdf

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