Editions Esprit LA FAIBLESSE DE CROIRE Author(s): Michel de Certeau Source: Esp
Editions Esprit LA FAIBLESSE DE CROIRE Author(s): Michel de Certeau Source: Esprit, No. 4/5 (4/5) (Avril-mai 1977), pp. 231-245 Published by: Editions Esprit Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24267154 Accessed: 03-01-2018 13:54 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Editions Esprit is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit This content downloaded from 141.250.250.194 on Wed, 03 Jan 2018 13:54:48 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms LA FAIBLESSE DE CROIRE par Michel de Certeau Autrefois une Eglise organisait un sol, c'est-à-dire une terre consti tuée : à son intérieur, on avait la garantie sociale et culturelle d'habiter le champ de la vérité. Même si l'identité liée à un lieu, à un sol, n'était pas vraiment fondamentale dans l'expérience chrétienne (l'institution n'est que ce qui permet à la foi une objectivité sociale), sur cette terre pouvaient s'enraciner des cohortes de militants qui y trou vaient la possibilité et la nécessité de leur action. Les uns géraient le propre : les œuvres, l'école, les associations découpées par secteurs ou par milieux ; d'autres se vouaient à un travail social, y compris à travers le champ du politique, assurés d'être conduits et inspirés par une « éthique chrétienne », élus et liés par l'obéissance à une « mission chrétienne ». Quel qu'en fût l'objet, cette militance agissante au dehors n'était que l'expansion bienfaisante de la vérité tenue au dedans. A présent, semblable à ces ruines majestueuses d'où l'on tire des pierres pour construire d'autres édifices, le christianisme est devenu pour nos sociétés le fournisseur d'un vocabulaire, d'un trésor de symboles, de signes et de pratiques réemployés ailleurs. Chacun en use à sa manière, sans que l'autorité ecclésiale puisse en gérer la distribution ou en définir à son gré la valeur de sens. La société y puise pour mettre en scène le religieux sur le grand théâtre des mass media ou pour composer un discours rassurant et général sur les « valeurs ». Des individus, des groupes empruntent des « matériaux chrétiens » qu'ils articulent à leur façon, faisant encore jouer des habitudes chrétiennes sans pour autant se sentir tenus d'en assumer l'entier sens chrétien. Aussi le corps1 chrétien 1. Par corps, j'entends l'unité sociale que constituent des réseaux de pratiques, d'idéo logies et de cadres de référence. Des limites (des initiations et des exclusions), des conduites (hiérarchisées selon des critères de reproduction et de sélection) et des conve nances (postulées et manipulées par des « stratégies » internes) la spécifient. Je renvoie ainsi à une opacité, à une singularité et à un vécu du lieu où se fabriquent les discours de l'élucidation, de la généralisation et du rapport à ce qui échappe au vécu (c'est-à dire le dogmatique, le primitif, le futur, l'extériorité, l'absence). Entre les procédures sociales qui rendent possibles et contrôlent les discours, et les productions discursives 231 This content downloaded from 141.250.250.194 on Wed, 03 Jan 2018 13:54:48 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms LA FAIBLESSE DE CROIRE n'a-t-il plus d'identité récapitulatrice ; fragmenté, disséminé, il a p son assurance et son pouvoir d'engendrer, sur son seul nom, des mili Du pluralisme de Vatican II, inscrit sous le signe d'une idéologie l et d'une administration soigneusement conservée dans sa hiérarc en est venu à cette longue hémorragie qui vide en silence des struct laissées intactes mais exsangues, coquilles abandonnées par la vi parallèlement, à la prolifération de petits groupes qui cultivent d'être ensemble et de construire un discours à la place du corps n'existe plus. Un corps imaginaire : le produit des discours Même érigé en vedette, un « spécialiste » reste contrôlé par le social auquel il appartient ; il ne peut pas se permettre n'importe Mieux le corps est organisé, plus sa discipline trace des arêtes d discours. Ainsi la parole est retenue, en même temps que soutenu des groupes professionnels, politiques ou scientifiques. La loi (sec du discours, c'est l'institution (forte). Le rapport au réel s'introduit le discours par la médiation de ce qu'autorise ou interdit le corps qui le soutient. Dès le principe, ce qui permet de tenir un discours m cal, universitaire, voire psychanalytique, c'est l'agrégation à un Aussi bien, dans toute société, une initiation et une sélection so ouvrent seules l'accès à la place d'où l'on tient tel ou tel type de disc Une appartenance sociale fonde une « compétence2 » linguistiqu rigueur d'une recherche n'est pas annulée pour autant, mais développe à l'intérieur d'un espace limité, inscrit dans un jeu de f soutenu par des préalables historiques, économiques et politique recherche est indissociable d'une violence du corps. En principe, le discours chrétien se soutient aussi d'une relation groupe : traditionnellement, le logos, ou discours, est autorisé p ekklesia, ou communauté. Mais que devient ce langage lorsque se mine le corps sur lequel il s'articule ? Il ne peut survivre intac relatives à ce qui manque au présent, il y a une permanente tension qui fait la vie du corps. Le déséquilibre commence lorsqu'une défection des pratiques organisant une épaisseur du présent entraîne un surcroît de discours. A la limite, il n'y a plus que des discours, un corpus — corps mort, texte du corps absent. 2. Il y a un passage entre les deux usages du mot compétence : l'un, sociologique, renvoie au rapport que le savoir entretient avec une place sociale (une « compétence ») ; l'autre, linguistique, désigne le fait de connaître assez une langue pour construire ou comprendre des phrases. 232 This content downloaded from 141.250.250.194 on Wed, 03 Jan 2018 13:54:48 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms MICHEL DE CERTEAU détachement. Premier indice : il camoufle ou le lieu de sa production ou le changement qui affecte ce lieu mué en objet imaginaire ; il cache c qui d'autre le fait fonctionner. Dans le passé, la théologie ancienne s'armait, légitimement, de réfé rences à des « autorités » qui avaient valeur de « vérités » (textes cano niques, définitions du magistère, Pères de l'Eglise, etc.) ; de cette manière, elle explicitait sa dépendance à l'égard de la société ecclésiale, finalement seule à l'autoriser. Maintenant voici qu'elle tend à effacer ces marques pour se prétendre porteuse de messages accrédités par une « conscience » ou un « esprit » évangélique : au discours déterminé par le corps succède un corps défini par la théologie. Inversion décisive. Il ne s'agit plus d'une réalité ecclésiale incertaine qu'il faudrait ressaisir à partir des textes, mais de la fabrication d'une représentation par le discours. Il y a toujours un lieu de production, mais il n'est plus avouable par le discours qui se veut théologique. Il s'agit toujours de l'Eglise, mais c'est désor mais un corps représenté, un produit du discours3. Les résistances du corps s'effacent. Là où, même introduit dans le systèm de l'opinion, le discours médical se heurte aux limites que lui signifie un corps, le discours religieux s'étend, glisse, prolifère, sans que rien ne l'arrête. Il vaque dans une région de « prestiges » et de plaisirs, porté par les jeux de l'apparence, pris aux sorcelleries du langage. Il détermine, ou croit déterminer lui-même le corps dont il parle. En échappant aux contraintes d'un corps réel, il entre dans une logique de la perversion Et si la tromperie n'est pas de l'ordre du mensonge ou de l'erreur mai de l'illusion, il y a ici de la tromperie. La sincérité n'est pas en cause. Il s'agit du fonctionnement qu'engendre une modification structurelle, il s'agit de ce qui se passe quand un langage n'est plus articulé sur un corps, n'est plus soutenu et tenu par lui. De ce point de vue, la référence explicite et didactique aux « autorités » reçues dans le milieu ecclésiastique ne donne aujourd'hui qu'une autr version de la même situation. Elle prétend seulement mieux cacher pa des textes ce que le corps est devenu : malléable à des pouvoirs d'un autre ordre. L'essentiel, ce n'est pas que des textes survivent ; c'est qu'un corps social chrétien, une Eglise, reste capable de déterminer la pratique de ces textes. Or le corps ecclésial n'organise plus les opérations qui se disent chrétiennes, pas plus les pratiques textuelles (lectures de la Bible) que les conduites éthiques (morale sexuelle, par exemple). Ce corps n'es 3. Pendant le deuxième tiers de ce siècle (de 1933 à 1966 ; je rappelle que Catho licisme de Henri de Lubac date de 1938 et que le concile Vatican II a duré de 196 à 1965), l'ébranlement interne de l'Eglise se traduit par une surproduction « ecclési logique » : l'objet produit par le discours prend lentement le relais du corps producteur Mais il a encore la forme de ce qui vient à manquer. Ensuite, une uploads/Politique/ la-faiblesse-de-croire.pdf
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- Publié le Nov 13, 2021
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