JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 2021/28 - 1255 être prises en compte
JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 2021/28 - 1255 être prises en compte en tant que dispositions plus favorables, au sens de l’article 8, paragraphe 1er, de cette directive, dans le cadre de l’examen du carac- tère approprié d’une différence de traitement indirectement fondée sur la reli- gion ou les convictions. Siég. : M. K. Lenaerts (prés.), Mmes R. Silva de Lapuerta, A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan, L. Bay Larsen, N. Piçarra, A. Kumin, T. von Danwitz, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, F. Biltgen (rapp.), P.G. Xuereb, Mme L.S. Rossi et M. I. Jarukaitis. Greffier : M. D. Dittert. M.P. : M. A. Rantos. Plaid. : Mes K. Bertelsmann, C. Hoppe, F. Werner et G. Sendelbeck. J.L.M.B. 21/313 Observations La neutralité d’apparence n’est pas discriminatoire, la Cour du Luxembourg l’affirme sans ambage 1. La Cour de justice de l’Union européenne a rendu un important arrêt le 15 juil- let 2021 dans des affaires jointes I.W. contre Wabe eV et M.H. Müller Handels GmbH contre M.J.1. La question posée concerne la possibilité d’interdire le port de signes convictionnels – en l’espèce le foulard islamique – au sein d’entreprises privées. Cet arrêt précise et complète la jurisprudence antérieure de la Cour telle qu’elle avait été exprimée dans deux arrêts du 14 mars 20172. Plus particulièrement, la Cour était appelée à se prononcer sur l’interprétation de la directive 2000/78, laquelle a pour objet « d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement » et d’interdire toute discrimination directe ou indirecte dans les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de li- cenciement et de rémunération3. La première affaire concerne l’entreprise Wabe qui exploite des crèches en Alle- magne. Cette société a adopté des « instructions de service pour le respect du prin- cipe de neutralité en vue de les appliquer dans ses établissements ». Ces instruc- tions prévoient notamment que Wabe « est neutre à l’égard des confessions reli- gieuses et réserve expressément un accueil favorable à la diversité religieuse et culturelle. Afin de garantir le développement libre et personnel des enfants en ce qui concerne la religion, la croyance et la politique, les employés (...) sont tenus de respecter strictement le principe de neutralité applicable envers les parents, les ___________ 1 https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=244180&pageIndex=0&doclang=FR&mode =lst&dir=&occ=first&part=1&cid=5204727 – consulté le 9 août 2021. 2 C.J.U.E., 14 mars 2017, Bougnaoui c. Micropole S.A. (https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=188853&pageIndex=0&doclang=fr&mo de=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=99020 – consulté le 9 août 2021) et CJUE 14 mars 2017, Achbita contre G4 S https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62015CJ0157&from=FR– consulté le 9 août 2021). 3 Articles 1er, 2 et 3 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (https://eur-lex.europa.eu/legal- content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32000L0078 – consulté le 9 août 2021). Cette directive a pour objet « la dis- crimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de trai- tement ». Elle ne vise donc pas la discrimination sur le sexe, problématique évoquée dans l’une des questions préjudicielles et qui n’a dès lors pas été examinée par la Cour (voy. point 58 de l’arrêt et point 59 des conclusions de l’avocat général Rantos – https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=244180& pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=5204727 consulté le 10 août 2021). JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 1256 - 2021/28 enfants et les tiers ». Ainsi a-t-il été décidé que « les employés ne portent sur leur lieu de travail aucun signe visible, à l’égard des parents, des enfants et des tiers, de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ». Ces obligations, en revanche, « ne s’imposent pas aux employés de Wabe travaillant au siège de l’entreprise puisqu’ils n’ont de contacts ni avec les enfants ni avec les parents ». I.X., employée en contact avec le public, a refusé d’enlever son foulard islamique. Elle a fait l’objet d’avertissements et d’une suspension dont elle a contesté le bien-fondé devant le juge national, lequel a saisi la Cour à titre préjudiciel. Dans la seconde affaire, M.J., caissière et conseillère vente au sein d’une entreprise, conteste la validité d’une « directive interne interdisant le port de signes ostenta- toires et de grande taille de nature religieuse, politique ou philosophique sur le lieu de travail s’appliquait dans toutes ses filiales », étant entendu que « l’objectif de cette directive serait de maintenir la neutralité au sein de l’entreprise et ainsi de prévenir des conflits entre employés. De tels conflits, attribuables aux différentes religions et cultures présentes dans l’entreprise, se seraient déjà manifestés à plu- sieurs reprises dans le passé ». À cette occasion, le juge national interroge la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, plus particulièrement sur la diffé- rence de traitement existant entre signes convictionnels de grande taille et signes plus discrets et sur la manière de concilier le respect de droits et libertés dont la mise en œuvre peut s’avérer contradictoire. La question se pose ainsi de savoir s’il convient de hiérarchiser ces droits et libertés et s’il peut être tenu compte d’une protection supérieure offerte par le droit national à la liberté de religion. 2. Dans son arrêt du 15 juillet 2021, la Cour rappelle qu’une politique de neutralité d’apparence n’est pas, par principe, discriminatoire. Il convient, cependant, qu’elle s’applique de manière générale et indifférenciée à toutes les convictions religieuses, politiques et philosophiques. Il ne peut donc s’agir d’une discrimination directe. Ainsi la Cour indique-t-elle qu’une « règle interne d’une entreprise, interdisant aux travailleurs de porter tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail, ne constitue pas, à l’égard des travailleurs qui observent certaines règles vestimentaires en application de préceptes religieux, une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions, au sens de cette directive, dès lors que cette règle est appliquée de manière générale et indifférenciée »4. 3. La Cour de justice de l’Union européenne précise, ensuite, les conditions dans les- quelles pareille interdiction peut être édictée. Il incombe à l’employeur « d’établir en prenant notamment en considération les attentes légitimes desdits clients ou usagers ainsi que les conséquences défavorables que cet employeur subirait en l’absence d’une telle politique, compte tenu de la nature de ses activités ou du contexte dans lequel celles-ci s’inscrivent, en deuxième lieu, que cette différence de traitement soit apte à assurer la bonne application de cette politique de neutralité, ce qui suppose que cette politique soit suivie de manière cohérente et systématique, et, en troisième lieu, que cette interdiction soit limitée au strict nécessaire au regard de l’ampleur et de la gravité réelles des conséquences défavorables que l’employeur cherche à éviter par une telle interdiction ». Ces considérations interpellent. Rappelons, en effet, que dans son arrêt Bougnaoui du 14 mars 2017, la Cour avait relevé qu’il « convient par conséquent de répondre à la question posée par la juri- diction de renvoi que l’article 4, paragraphe 1er, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse ___________ 4 Point 55. JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 2021/28 - 1257 portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence pro- fessionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition »5. Il était donc permis de se demander, à la lecture de cet arrêt, si un employeur était autorisé à tenir compte des réactions de sa clientèle au moment d’interdire à ses travailleurs le port de signes convictionnels. L’arrêt du 15 juillet 2021 apporte une réponse claire à cette question : « Une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou les convictions, découlant d’une règle interne d’une entreprise interdisant aux travailleurs de porter tout signe visible de convic- tions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail, est susceptible d’être justifiée par la volonté de l’employeur de poursuivre une politique de neutralité politique, philosophique et reli- gieuse à l’égard des clients ou des usagers, pour autant, en premier lieu, que cette politique réponde à un besoin véritable de cet employeur »6. À l’estime de la Cour, il incombe à l’employeur de démontrer ce besoin véritable : « Dans ces conditions, aux fins d’établir l’existence d’une justification objective et, partant, d’un besoin véritable de l’employeur, il peut, en premier lieu, être tenu compte notamment des droits et des attentes légitimes des clients ou des usagers. Il en est ainsi, par exemple, du droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques reconnu à l’article 14 de la Charte et de leur souhait de voir leurs enfants encadrés par des personnes ne manifestant pas leur religion ou leurs convictions uploads/Politique/ la-neutralite-d-x27-apparence-n-x27-est-pas-discriminatoire.pdf
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- Publié le Jan 08, 2023
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